Un organisme public doit d’emblée présumer que l’intérêt public est mieux servi par le recours à la procédure d’appel d’offres public. La procédure d’appel d’offres public remplace la négociation par la concurrence.
L'Autorité des marchés publics (AMP) a récemment rendu deux décisions importantes concernant l’application de l'article 13(2) de la Loi sur les contrats des organismes publics (LCOP)[1]. Cette disposition prévoit :
13. Un contrat comportant une dépense égale ou supérieure au seuil d’appel d’offres public prévu à l’article 10 peut être conclu de gré à gré dans l’un ou l’autre des cas suivants:
[…]
2° lorsqu’un seul contractant est possible en raison d’une garantie, d’un droit de propriété ou d’un droit exclusif, tel un droit d’auteur ou un droit fondé sur une licence exclusive ou un brevet, ou de la valeur artistique, patrimoniale ou muséologique du bien ou du service requis;
[…]
Dans les cas visés aux paragraphes 2° à 4° du premier alinéa, le contrat doit être autorisé par le dirigeant de l’organisme public qui doit en informer le Conseil du trésor annuellement.
[…]
Ces deux décisions de l’AMP mettent en lumière les critères stricts que doivent respecter les organismes publics lorsqu’ils dérogent à la règle de l’appel d’offres public.
Le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal (CIUSSS-CSM) a conclu un contrat de gré à gré d'une valeur de 502 057,60 $ avec Precicom Technologies (Precicom) pour des pare-feux Fortinet. Cette acquisition vise l’ajout de deux nouveaux pare-feux parmi un parc d’équipement qui en renferme 150.
Le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue (CISSS-AT) avait également conclu un contrat de gré à gré avec Precicom pour l’acquisition de pare-feux Fortinet. Cette acquisition d’une valeur moindre, soit 297 150 $, visait l’ajout de six pare-feux au parc d’équipement existant du CISSS-AT.
Le CIUSSS-CSM et le CISSS-AT ont justifié leur attribution de gré à gré en invoquant l'article 13(2) de la LCOP, affirmant que Precicom était le fournisseur désigné par le manufacturier Fortinet, ce qui leur garantissait le meilleur prix du marché.
De plus, en raison de la présence de pare-feux de marque Fortinet dans leurs réseaux respectifs, les deux organismes publics ne souhaitaient pas faire cohabiter des pare-feux provenant de deux manufacturiers différents ni remplacer l’ensemble de leur parc d’équipements.
Dans ses deux décisions, l’AMP a rappelé qu’un organisme public doit effectuer des vérifications préalables et sérieuses afin d’établir les conditions d’application de l’article 13(2) de la LCOP. S’appuyant sur un jugement de la Cour supérieure du Québec datant de 2021 portant sur cette exception[2], l’AMP a indiqué que les contrats de gré à gré avec Precicom devaient satisfaire à deux conditions :
- L’existence d’un droit de propriété ou d’un droit exclusif.
- La présence d’un seul contractant possible en raison de l’un de ces droits.
Au terme de son examen, l'AMP a conclu que les contrats attribués par le CIUSSS-CSM et le CISSS-AT ne remplissaient pas ces deux conditions.
En effet, des vérifications de l’AMP auprès du manufacturier ont permis de constater qu’il existait d’autres revendeurs autorisés et qualifiés, bien que certains d’entre eux puissent bénéficier d’un tarif plus avantageux. Pour cette raison, au sens strict de l’article 13(2) de la LCOP, le CIUSSS-CSM et le CISSS-AT ne pouvaient prétendre à l’existence d’un droit exclusif de Precicom lui permettant de leur vendre des pare-feux Fortinet. Vu l’absence de droit exclusif, les deux organismes publics ne pouvaient se retrouver dans une situation où un seul contractant était possible.
De plus, l’AMP a souligné que le motif de cohabitation de deux marques de pare-feux n’était aucunement pertinent aux fins de déterminer si Precicom était le seul contractant possible en vertu d’un droit exclusif.
Dans ces circonstances, l'AMP a conclu au recours injustifié de l’exception prévue à l’article 13(2) de la LCOP.
Ces décisions récentes de l'AMP soulignent l'importance pour les organismes publics de respecter rigoureusement les conditions d’application d’une exception prévue à la LCOP lorsqu'ils attribuent des contrats de gré à gré. Ces décisions rappellent également l’importance d’effectuer les vérifications appropriées afin de conclure à l’existence d’un droit exclusif et, en raison de ce droit, la présence d’un seul contractant possible.
Rappelons, en terminant, que l’article 13(2) de la LCOP, une exception à la règle de l’appel d’offres, doit recevoir une interprétation restrictive[3]. La nullité absolue du contrat pourrait découler d’une application erronément extensive de cette exception[4].
- Recommandations formulées au dirigeant du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal concernant le processus identifié au SEAO sous le numéro de référence 1826724, 2025-02 (5 février 2025); Recommandations formulées au dirigeant du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue concernant le processus identifié au SEAO sous le numéro de référence 1816324, 2025-03 (7 février 2025).
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CMC Électronique inc. c. Procureure générale du Québec, 2021 QCCS 3169.1
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Compagnie de recyclage de papiers MD inc. c. MRC de Vaudreuil-Soulanges, 2019 QCCS 4169, para. 190 (appel accueilli en partie dans 2021 QCCA 1535 sur une autre question). Voir également CMC Électronique inc. c. Procureure générale du Québec, 2021 QCCS 3169, para. 95.
- Compagnie de recyclage de papiers MD inc. c. MRC de Vaudreuil-Soulanges, 2019 QCCS 4169, para. 93 (appel accueilli en partie dans 2021 QCCA 1535 sur une autre question).