Résumé : L’arbitre Richard Mercier a été appelé à se prononcer sur le bien-fondé d’un congédiement d’une agente des services correctionnels justifiant de 23 années d’ancienneté pour avoir organisé un événement via Facebook afin d’inciter les gens à défier les mesures sanitaires mises en place par le gouvernement dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Vu ses devoirs de loyauté et de réserve en tant qu’employée de l’État, le congédiement de la plaignante a été confirmé.
Dans une affaire impliquant le ministère de la Sécurité publique(1), l’arbitre Richard Mercier était saisi d’un grief contestant le congédiement d’une agente des services correctionnels possédant 23 années d’ancienneté pour avoir utilisé Facebook afin de critiquer les mesures sanitaires instaurées par le gouvernement et organiser un événement pour inciter les gens à défier les mesures sanitaires, plus particulièrement le port du masque et la distanciation sociale.
I. Faits
Le 13 mars 2020, le gouvernement du Québec a déclaré l’État d’urgence sanitaire sur tout le territoire québécois et a adopté des mesures sanitaires qui incluaient la distanciation sociale et le port obligatoire du masque.
Selon la preuve présentée, la plaignante a débuté un arrêt de travail au mois de juin 2020 pour un trouble d’adaptation avec humeur mixte, trouble panique. En effet, elle rencontrait des difficultés liées à la pandémie de COVID-19 depuis le mois d’avril. Elle était très émotive et faisait de l’insomnie et de l’anxiété et se sentait « heurtée dans ses valeurs » selon la preuve médicale présentée.
Durant le mois d’août 2020, alors qu’elle était toujours en absence maladie, la plaignante a publié sur sa page Facebook plusieurs commentaires et photos pour dénoncer la gestion de la pandémie par le gouvernement. Elle a également promu certaines idées issues de la théorie complotiste QAnon. Son profil était public et elle comptait 1400 amis.
À la fin du mois d’août 2020, la supérieure immédiate de la plaignante lui a écrit pour lui demander de cesser ses publications, que l’employeur jugeait irrespectueuses envers la ministre Guilbault et le gouvernement. À cette occasion, l’employeur a rappelé à la plaignante qu’elle avait un devoir de réserve et qu’elle ne pouvait dénigrer, critiquer ou ridiculiser ses supérieurs. Naturellement, la plaignante a nié avoir manqué à ses obligations à cette occasion.
Au mois d’octobre 2020, alors que la plaignante était toujours absente pour maladie, d’autres publications Facebook de même nature ont été portées à la connaissance de l’employeur. Le syndicat l’a d’ailleurs avisée relativement à ses récentes publications.
Au mois de novembre 2020, l’employeur a fait parvenir à la plaignante, par huissier, une enveloppe contenant une mise en demeure et des photos des publications qu’elle a affichées sur sa page Facebook. Il y était notamment indiqué que ses agissements ébranlaient sérieusement le lien de confiance avec l’employeur et qu’elle serait rencontrée à son retour au travail. La mise en demeure l’enjoignait de cesser immédiatement de ternir l’image de l’employeur sur Facebook, à défaut de quoi elle s’exposait à des mesures pouvant aller jusqu’au congédiement.
Le 21 novembre 2020, soit une dizaine de jours après la mise en demeure, une manifestation anti-masque a été tenue à la Place Rosemère, un centre commercial des Laurentides. C’est la plaignante qui a organisé cette manifestation, qu’elle qualifiait de « manifestation de la joie, de la vie ». La manifestation a duré un maximum de cinq minutes et regroupait une trentaine de personnes qui ont dansé sans masque et sans distanciation sur une musique festive. Des images de cette manifestation ont été largement diffusées dans les médias télévisés et radiophoniques.
Quelques jours après la manifestation, une journaliste a révélé le nom de la plaignante en précisant qu’elle était une agente des services correctionnels. Le ministère de la Sécurité publique a été appelé à confirmer que la plaignante était l'une de ses employés. Par ailleurs, au 98.5 FM, il a été dit que la plaignante administrait également le groupe « célibataires et complotistes QC », « groupe crée dans le but de favoriser la socialisation entre personnes éveillées devant l’arnaque COVID ».
Par la suite, l’employeur a suspendu la plaignante pour enquête et l’a informée que son dossier était soumis pour analyse au Comité d’examen des manquements, conformément à la procédure en vigueur.
Quatre éléments de preuve ont été soumis au Comité :
- Une clé USB sur laquelle on entend des réactions de plusieurs animateurs de radio condamner la manifestation organisée par la plaignante;
- Des articles de journaux en lien avec la manifestation, dans lesquels il est question de la plaignante à titre d’organisatrice;
- Des captures d’écran de certaines publications de la plaignante sur Facebook. Une partie de ces extraits est reproduite intégralement dans la décision de l’arbitre. On constate que la plaignante nomme, entre autres, les noms du premier ministre Legault, de la ministre Guilbault et de Dr Arruda, en critiquant et en dénigrant leurs décisions. Elle incite également explicitement à la désobéissance civile en publiant des propos tels que « désobéissance civile ça presse », « la désobéissance civile devient un devoir sacré quand l’État devient hors-la-loi ou corrompu »;
- Le relevé provisoire du 25 novembre 2020, la mise en demeure et les courriels faisant état des interventions auprès de la plaignante.
Conformément à la recommandation du Comité d’examen, la plaignante a été congédiée le 11 décembre 2020. Lors de l’audience, elle a reconnu avoir manqué à son devoir de loyauté, mais n’a pas été en mesure d’expliquer son comportement ou de reconnaître ses torts. Elle s’est limitée à affirmer « qu’elle s’est mise dans le trouble ».
II. Décision
Au début de ses motifs, l’arbitre précise que sa décision ne sera pas influencée par le choix idéologique de la plaignante, puisque ce choix relève de sa liberté d’expression.
Il retient toutefois qu’elle a manqué à ses devoirs de loyauté et de réserve prévus dans la Loi sur la fonction publique(2)et dans le Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique(3).
Plus particulièrement, il retient qu’elle a omis de respecter les articles 5 et 11 de la Loi sur la fonction publique, qui énoncent ce qui suit :
5. Le fonctionnaire est tenu d’office d’être loyal et de porter allégeance à l’autorité constituée.
[…]
11. Le fonctionnaire doit faire preuve de réserve dans la manifestation publique de ses opinions politiques.
Il en est de même de l’article 2 du Règlement sur l’éthique et la discipline de la fonction publique, qui énonce que :
2. En cas de doute, le fonctionnaire doit agir selon l’esprit des normes d’éthique et de discipline qui lui sont applicables.
L’arbitre précise que pour les agents de la paix en services correctionnels, l’autorité constituée est l’employeur au sens de la convention collective, soit « le gouvernement du Québec ou ses représentants désignés selon l’exercice du pouvoir concerné ou dévolu ». Par ailleurs, il indique que même si la plaignante était en absence de maladie tout au long des faits reprochés, elle était quand même tenue à son obligation de loyauté.
À titre d’agente en services correctionnels, elle avait le statut d’agente de la paix. À ce titre, elle participe au maintien de l’ordre et à l’application de la discipline en milieu carcéral. Elle est par ailleurs tenue au respect de la règle de droit, qui est au cœur du système judiciaire.
Or, en insultant son employeur, en défiant les consignes sanitaires et en appelant à la désobéissance civile sur sa page Facebook, l’arbitre retient qu’elle a eu un comportement indigne de sa fonction. Ses manquements sont objectivement graves, d’autant plus qu’elle a ignoré les avertissements qu’elle a reçus de son employeur et de son syndicat.
En arbitrage, le syndicat a fait valoir la détresse psychologique de la plaignante pour expliquer ses gestes. Le syndicat suggérait d’ailleurs de substituer une suspension d’un mois au congédiement. L’arbitre n’a pas retenu cette suggestion. Il a conclu que le lien de confiance était irrémédiablement brisé, et ce, malgré les 23 années d’ancienneté de la plaignante et son dossier disciplinaire vierge.
L’arbitre a terminé sa décision en mentionnant ce qui suit :
[85] Le devoir de loyauté ne signifie pas que l’employé est réduit au silence, mais celui-ci doit faire preuve de retenue dans ses propos. Étaler ses différends avec son employeur sur les réseaux sociaux en l’insultant, le ridiculisant, comme l’a fait la Plaignante, est condamnable.
[86] L’obligation de loyauté de la Plaignante était d’autant plus contraignable qu’elle était une employée de l’État, une ASC ayant le statut d’agente de la paix.
[87] Compte tenu de la fonction de la Plaignante, compte tenu de la gravité objective des manquements, compte tenu du bris du lien de confiance, le Tribunal juge que la décision de congédier la Plaignante n’est ni déraisonnable ni injuste.
III. Commentaires
Cette décision est une illustration intéressante de la portée de l’obligation de loyauté et du devoir de réserve d’un employé de l’État. En critiquant les décisions prises par le gouvernement, la plaignante se trouvait à critiquer directement et vigoureusement les décisions de son employeur, ce que ses fonctions ne lui permettaient pas de faire. Naturellement, le statut de la plaignante est à notre avis un élément fondamental de la décision. La conclusion de la décision aurait vraisemblablement été différente si la plaignante n'avait pas été une employée de l’État, vu la liberté d’expression consacrée par les chartes.
- Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec et Gouvernement du Québec – ministère de la Sécurité publique, 2022 QCTA 56 (Me Richard Mercier).
-
c. F-3.1.1.
- c. F-3.1.1, r.3.