Droit fiscal, recherche universitaire, publication et politique : entretien avec le professeur Luc De Broe
Luc De Broe
Fonction : Professeur et directeur de l’Institut de droit fiscal à la KU Leuven.
Spécialisation : Droit fiscal, en particulier le droit fiscal européen et international.
Auteur pour les publications Wolters Kluwer : Editeur et co-auteur du Vademecum Fiscale Falconis, auteur régulier pour Algemeen Fiscaal Tijdschrift (AFT) ainsi que des lettres d’info Fiscale Actualiteit/Actualités fiscales et de Internationale Fiscale Actualiteit.
Livre préféré : “Taxing the Rich” - Scheve en Stasavage.
Quel est le moment de votre vie où vous avez réalisé que vous étiez passionné par le droit fiscal et qu’est-ce qui vous a poussé à lui consacrer votre carrière ?
Luc De Broe : Il a fallu un certain temps avant que je ne commence à trouver les études de droit vraiment passionnantes. Le tournant s’est produit au cours de mes première et deuxième licences avec des matières telles que le droit commercial, le droit des sociétés et le droit international public avec le professeur Hans Vanhoutte.
Ma passion pour le droit fiscal a été éveillée par le professeur Vanistendael quand j’étais en deuxième licence. J’ai commencé à réaliser à quel point les impôts sont essentiels au bon fonctionnement de l’État dans toutes ses composantes, mais aussi leur impact sur le droit de propriété des citoyens et des entreprises. Cela explique pourquoi les gens essaient d’échapper à l’impôt et pourquoi le législateur doit constamment intervenir contre de tels comportements.
En troisième licence, j’ai élaboré un programme fiscal complet, avec des matières telles que l’impôt des sociétés, la TVA et la fiscalité internationale, où on comptait tout au plus 20 étudiants à l’époque. Aujourd’hui, ils sont cinq à six fois plus nombreux. Mon activité professionnelle s’est rapidement orientée vers la fiscalité internationale, puis vers la fiscalité européenne.
Votre expertise a influencé la prise de décision en matière de politique fiscale pendant des décennies. Pouvez-vous nous parler d’un moment précis où vous avez réalisé que votre travail avait un impact significatif sur la politique ?
Luc De Broe : Cet impact ne m’est apparu que lorsque j’ai été nommé professeur à temps plein à la KU Leuven en 2007. Dans ma vie antérieure d’avocat, mes priorités étaient ailleurs. Outre l’amour de l’enseignement, la possibilité d’influencer la politique fiscale a été l’une des motivations qui m’ont poussé à entrer dans le monde universitaire. J’ai toujours aimé enseigner. Entre 1990 et 2007, j’ai déjà enseigné la matière "conventions de double imposition" à l’Ehsal et à la Fiscale Hogeschool.
La rédaction de la disposition générale anti-abus en 2012 a peut-être été ma contribution la plus importante. Ayant rédigé un modèle de disposition pour un article paru dans une revue fiscale, j’ai rapidement été invité par John Crombez, alors secrétaire d’État à la lutte contre la fraude, à le convertir en texte législatif. Ce processus n’a pas été de tout repos. Je ne me suis pas fait d’amis à l’époque et j’en ai peut-être même perdu. Au cours du processus législatif, de nombreuses critiques ont été émises : cela signifierait la fin de la voie la moins imposée, doterait le fisc d’un bazooka fiscal et entraînerait un traitement arbitraire et une incertitude juridique pour les contribuables... Mais nous avons persévéré. Comme prévu, une foule de personnes se sont rendues à la Cour constitutionnelle. C’était l’épreuve décisive. Finalement, la Cour a jugé que la disposition était conforme aux principes constitutionnels. C’est une grande satisfaction, et cette jurisprudence est toujours valable aujourd’hui. Une disposition fiscale importante avec une durée de vie exceptionnelle !
Vous êtes l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le Vademecum Fiscale Falconis, et de contributions à des revues belges et étrangères. Quel aspect du processus d’écriture préférez-vous et de quel ouvrage êtes-vous le plus fier ?
Luc De Broe : J’ai commencé à écrire très tôt. Mon premier article a été publié dans l’Algemeen Fiscaal Tijdschrift (AFT) de 1984. Il portait sur les commissions secrètes, un concept que je trouvais mystérieux et qui méritait d’être approfondi.
En tant qu’avocat, j’étais quotidiennement confronté à des questions complexes, aux multiples facettes et dimensions, mais je devais faire pour mon client les choix qui servaient le mieux son dossier. Tant d’aspects restaient dans l’ombre, ce qui m’a motivé à explorer ces sujets de manière plus approfondie dans des publications.
La publication dont je suis le plus fier – question d’endurance – est ma chronique annuelle de la jurisprudence belge sur l’application et l’interprétation de nos conventions de double imposition. Je l’ai commencée en 1990 et je l’ai poursuivie sans interruption jusqu’à aujourd’hui. Je suis très reconnaissant à Wolters Kluwer d’avoir repris ma chronique sans hésitation en 2016, après que l’éditeur précédent l’eut interrompue. Elle est désormais publiée chaque année dans l’AFT.
Comment vos décennies d’expérience pratique ont-elles influencé votre approche du travail académique, et vice versa ?
Luc De Broe : Grâce à plus de 40 ans d’expérience en tant qu’avocat, je peux, pour ainsi dire, illustrer n’importe quel article d’un code ou d’un traité international dans les cours destinés aux étudiants par un cas tiré de ma pratique. J’adapte alors les faits et anonymise les noms des parties impliquées pour ne pas violer mon secret professionnel. A l’inverse, en tant qu’universitaire, il faut avoir le sens du détail et rechercher l’exactitude, ce que j’ai toujours fait en tant que juriste.
Quel rôle joue le mentorat pour vous, et pouvez-vous partager avec nous un moment particulier où vous avez vu que vos conseils ont fait la différence dans la vie d’un étudiant ou d’un collègue ?
Luc De Broe : En tant que professeur, je m’occupe quotidiennement de jeunes gens, d’étudiants, d’assistants et de doctorants qui veulent apprendre et maîtriser le droit fiscal afin d’appliquer ces connaissances dans leur future carrière. Mon travail consiste non seulement à leur transmettre la passion du droit fiscal, mais aussi à les doter des connaissances et de l’esprit critique nécessaires dans ce domaine.
L’un des aspects les plus gratifiants de mon rôle se révèle lorsque d’anciens étudiants me disent qu’ils ont choisi une carrière fiscale parce que nos chemins se sont croisés. Ou lorsqu’un assistant, après des années de recherche intensive et les défis inévitables, défend avec succès son doctorat et que j’y participe en tant que directeur de thèse. Ces moments confirment la valeur du mentorat dans le monde universitaire.
Comment voyez-vous votre propre rôle en tant que pont entre l’université et le monde politique, et comment voyez-vous ce rôle évoluer à l’avenir ?
Luc De Broe : Les décideurs politiques savent qu’ils peuvent faire appel à moi, en particulier dans le domaine de la législation anti-abus et de l’interaction entre le droit national, international et européen, y compris les aides d’État et la mise en œuvre des directives européennes dans la législation nationale. Mon rôle immédiat pourrait bientôt prendre fin, mais j’espère que mes successeurs poursuivront avec succès ce rôle important pour un universitaire.