Que nous a apporté 2022, que pouvons-nous attendre de 2023 ?
« Embrassez le chaos » est le titre d’un livre censé nous redonner espoir en ces temps difficiles . On peut y lire qu’un monde meilleur émerge souvent du chaos. Mais le gouvernement a peut-être un peu trop compté là-dessus lors de l’introduction de l’une des mesures fiscales les plus controversées de l’année dernière : le nouveau régime des droits d’auteur (37/1 ). Après un projet de loi sujet à des interprétations contradictoires, le ministre a (plus ou moins) clarifié sa position lors du débat parlementaire. L’air de rien, un parti du gouvernement a ensuite fait savoir qu’il n’était pas d’accord avec cette interprétation. Pour finir, il a été décidé de rester vague afin de sauver la loi. Il y en a donc pour tous les goûts : chacun peut lire ce qu’il veut dans la loi.
Cet incident symbolise une année très chaotique à bien d’autres égards. La crise du coronavirus était à peine derrière nous que le gouvernement devait déjà s’efforcer de répondre à de nouvelles catastrophes : la crise énergétique et l’inflation galopante, conséquences de la terrible invasion de l’Ukraine par Poutine. [tir groupé]Il en a résulté un nouveau tir groupé de mesures fiscales, allant d’une réduction de la TVA sur l’électricité et les pompes à chaleur à des reports de paiement (36/8), en passant par une indexation rétroactive de l’indemnité kilométrique (23/6, 38/9, 40/7) . On n’a pas non plus reculé devant l’innovation. Un crédit d’impôt pour les événements annulés s’est attaqué aux répercussions de la crise du coronavirus (11/1). Les producteurs d’électricité doivent désormais compter sur une taxe sur les surprofits . Et sous l’impulsion des partenaires sociaux, le gouvernement a même proposé un avantage fiscal pour les employeurs qui accordent une indemnité kilométrique plus élevée à leurs travailleurs. Quand on parle de politique au lance-flammes...
Quoi qu’il en soit, on a ainsi (très) efficacement paré aux besoins les plus urgents. Mais toute vision à long terme a temporairement été mise de côté. La réduction des redevances et le plafonnement des prix n’incitent pas vraiment à diminuer massivement la consommation d’énergie et les émissions de CO2, ce qui est pourtant urgent. Les voitures électriques, favorisées fiscalement, fonctionnent avec de l’électricité produite grâce à la réouverture des centrales au lignite ou au charbon. En raison des tarifs sociaux pour l’énergie et de la hausse (parfois décidée à la hâte) de nombreuses autres indemnités et réductions, il est moins intéressant pour les inactifs d’aller travailler, alors que de nombreuses offres d’emploi restent non pourvues (et pas seulement dans l’enseignement...). Face à autant de contradictions, un sentiment de désespoir s’est emparé de beaucoup d’entre nous. Les Diables rouges ne nous ont pas non plus apporté une grande consolation lors de la Coupe du monde (heureusement qu’il y avait Nafi Thiam en heptathlon et Remco Evenepoel en cyclisme).
Le concept de « compétence de compensation de l’incompétence » a parfois été cité pour définir l’année 2022 . Le monde est devenu trop complexe pour que nous puissions encore tout gérer, mais nous sauvons les apparences parce que nous sommes passés maîtres dans l’art de camoufler notre « incompétence ». Nous nageons en pleine « polycrise », une situation dans laquelle plusieurs crises simultanées se renforcent mutuellement . À bien des égards, nous nous heurtons aux limites de ce qui est politiquement possible.
D’après un commentateur, le mot « limite » est en effet celui qui résume le mieux l’année 2022 . Et nous ne parlons pas ici seulement des limites territoriales bafouées par un agresseur haineux venu de Moscou. De nombreuses autres limites ont été dépassées : jour de l’an le plus chaud jamais enregistré, inflation la plus élevée depuis la crise pétrolière des années 70, hausse insensée des factures d’électricité... Certains membres de la famille royale britannique ont aussi fait preuve d’une « ouverture » inédite. Un ministre en planque, c’était également du jamais vu. Mais des limites plus positives ont aussi été franchies. Le télescope James Webb, par exemple, nous permet de voir plus loin dans l’univers que jamais auparavant. Grâce à DART, nous sommes maintenant capables de faire dévier des astéroïdes qui foncent droit sur nous. Les activistes climatiques, quant à eux, explorent les limites de la légalité avec leurs actions. Mais malheureusement, en 2022, nous nous sommes surtout heurtés à des limites. Des limites budgétaires par exemple, en matière de fiscalité. Quand l’argent vient à manquer, il n’est plus possible d’offrir un réel soutien au monde des entreprises.
Relâchement
« Presque tous les sujets donnent lieu à de pénibles négociations et à des compromis insipides. » Non, ce n’est pas ce que vous pensez. Il s’agit de l’évaluation de la politique du gouvernement néerlandais dans l’aperçu de l’année fiscale dans notre revue-soeur aux Pays-Bas (E. Heithuis dans Vakstudie Nieuws 2023.1, 12). Il y a des soucis partout, bien sûr... Et nombre des problèmes du moment sont la conséquence de circonstances exceptionnelles. Mais nous avons laissé traîner les choses trop longtemps et nous en payons maintenant le prix fort. De nombreux problèmes sont devenus la norme. En ce qui concerne la qualité de notre législation par exemple, il n’y a aucune amélioration en vue.
En Angleterre, goblin mode était le terme de l’année . L’expression fait référence à l’attitude paresseuse et négligée d’une personne qui se moque de ce que les autres pensent. Ce « relâchement » est en partie une conséquence de l’isolement dû au coronavirus. Mais le laisser-aller de notre législation ne date pas d’hier . Et nous ne parlons ici pas seulement du régime des droits d’auteur (voy. supra). En 2022, une série de réponses à des questions parlementaires ont étonnamment créé plus de problèmes qu’elles n’en ont résolu . Plusieurs circulaires ont souffert du même mal. Ou ont ajouté des conditions à la loi . On se plaint d’un formalisme exagéré, par exemple en ce qui concerne les réductions du Pr. P. ou les paiements à des paradis fiscaux (27/3). [qualité de la législation : un problème de longue date]La législation de réparation reste monnaie courante. Par exemple parce que des références sont oubliées lors de la refonte d’articles. Pour pouvoir appliquer un accroissement d’impôt en cas de déclaration tardive, trois tentatives ont même été nécessaires : la première modification législative était si confuse qu’on ne savait pas exactement quelle partie de la loi avait été adaptée. Et le fait de semer délibérément le doute sur l’intention du législateur ne facilite pas l’interprétation d’une loi, comme cela a été le cas avec les droits d’auteur (voy. supra) ou avec des déclarations contradictoires sur l’objectif de redistribution ou non de la taxe annuelle sur les comptes-titres dans les [doute sur l’intention du législateur]médias et l’exposé des motifs .Une excuse qui revient parfois est qu’on doit se débrouiller avec des textes européens d’un niveau encore plus médiocre . Et admettons-le : contre toute attente, la taxe sur les comptes-titres évoquée ci-avant a passé le test de la Cour constitutionnelle. La transformation du prélèvement en une « taxe d’abonnement » sans objectif (officiel) de redistribution a été accueillie avec cynisme dans la littérature, mais elle s’est après coup révélée être un coup de maître – du moins sur le plan légistique. Ajoutons à cela que la taxe atteint aussi les objectifs budgétaires (à quelques euros près). Mais le gouvernement n’a (encore une fois) pas tenu compte des remontrances du Conseil d’État à propos du non-respect du principe d’égalité – cette fois en ce qui concerne le nouveau régime pour les activités d’association (Chambre, 2569/1, 30).
Le rapport du fisc
Le fisc lui-même ne s’est pas toujours montré très coopératif. À la stupéfaction de beaucoup, il s’est soudain avéré – nota bene : sans annonce officielle – que les fonctionnaires des contributions ne seraient dorénavant plus joignables par e-mail ou téléphone (ligne personnelle) (16/1). Les tentatives de justifier cette démarche par des arguments de sécurité ou de la placer dans une perspective plus large ne sont pas parvenues à dissiper l’impression que cette opération avait été menée à la hâte et sans concertation. Le nouveau phénomène des « contrôles Excel » nuit lui aussi aux contacts directs entre le fisc et le contribuable . Et l’apparition des fonctionnaires chez les contribuables sous forme d’hologramme, preuve que le fisc vit avec son temps, est une maigre consolation.
Une affaire dans le cadre de laquelle une direction de l’ISI a froidement ignoré un accord qui avait pourtant été conclu par une autre direction a fait grand bruit (17/5) . (Précisons que cette affaire a aussi fait jaser au sein de l’administration et qu’il a ensuite été convenu en interne qu’une telle situation ne pouvait plus se reproduire). [positions logiques ?]On remarque aussi que, dans sa volonté d’avoir gain de cause, le fisc défend parfois des positions illogiques. Peut-on en dire autrement lorsque l’administration pénalise (!) le contribuable qui décide de soumettre une plus grande partie de ses revenus à l’impôt des personnes physiques au lieu de l’impôt (réduit) des sociétés ? Dans cette affaire, le fisc était tellement décidé à rejeter la déductibilité de frais d’un logement privé appartenant à une société qu’il a perdu tout sens commun. Toujours sur cette même question, il n’a pas non plus fait preuve de beaucoup de sympathie en accablant le contribuable à deux reprises, au moyen de l’article 49, mais aussi de l’article 47 CIR 92 (31/5).
Entre parenthèses : il n’en demeure bien sûr pas moins que la plupart des fonctionnaires sont raisonnables et compréhensifs . Par ailleurs, l’administration (certes, en dehors du domaine de la fiscalité proprement dite) mérite aussi nos félicitations pour sa lutte contre le trafic de drogue, tellement efficace que [succès pour les douanes]les services chargés de brûler la cocaïne saisie ont eu du mal à suivre. Les douanes espèrent en saisir encore beaucoup plus dans un avenir proche grâce à davantage de scans. Compte tenu des récentes violences liées à la drogue à Anvers et des sombres prévisions selon lesquelles la Belgique va devenir un narco-État, il reste à voir si ces succès anéantiront le pouvoir des barons de la drogue ou, au contraire, intensifieront le combat pour les parts de marché perdues. Et enfin : le fisc a trouvé un défenseur très inattendu en la personne de G.-L. Bouchez. Très récemment, ce dernier s’est plaint que la préparation de la réforme fiscale était confiée à des avocats, alors qu’il y a tellement de talents au sein de l’administration, qui auraient donc selon lui mieux assumé cette tâche . Le moins qu’on puisse dire, c’est que personne ne l’avait vu venir...
Quoi qu’il en soit, le fisc belge a encore fait mauvaise impression à la Cour de justice de l’Union européenne lorsqu’il s’est avéré que l’anarchie régnait dans le pays quand il s’agissait d’appliquer le taux de TVA correct [anarchie]à un abonnement à la salle de sport (ici aussi, « il y en a pour tous les goûts »). Et – comprenne qui pourra – le fisc refusait jusqu’il y a peu la restitution d’un crédit TVA si l’assujetti à la TVA attendait plus de trois ans pour en faire la demande. Heureusement, la Cour de cassation a remis les pendules à l’heure : un crédit TVA ne se prescrit (évidemment) pas (26/1). Le nouveau calcul de la limite des 80 % pour les pensions complémentaires a aussi provoqué beaucoup de remous. L’inclusion de la pension légale majorée des indépendants dans le calcul pour les années avant 2021 porterait un coup dur à la constitution de pensions complémentaires et annulerait l’effet de l’augmentation de la pension légale (36/1, 39/6). Il est vrai que le fisc a réagi assez rapidement à la critique et a entre-temps corrigé cette « erreur » (circ. 2023/C/10, 16 janvier 2023). Mais n’auraient-ils vraiment pas pu y penser avant ?
[plus de litiges]Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le nombre de litiges portés devant un tribunal soit en hausse . Avec pour conséquence l’augmentation de l’arriéré judiciaire. La situation est si dramatique qu’un (assez jeune) avocat fiscaliste s’est récemment plaint sur Twitter que son affaire ne serait jugée qu’après sa pension.
La jurisprudence au secours du fisc
La jurisprudence vient rarement en aide au contribuable. S’il y a bien une disposition dans notre fiscalité qui donne lieu à des discussions sans fin, c’est l’article 90 CIR 92 et la gestion normale d’un patrimoine privé. [la C.C. trouve l’art. 90 suffisamment clair…]Mais la Cour constitutionnelle a affirmé sans sourciller que cette disposition était suffisamment claire (10/1). Signalons également une affaire dans laquelle la cour a suivi une idée particulièrement créative de l’ISI : engager la responsabilité (civile) d’un fournisseur pour la fraude de ses clients (35/1). La Cour constitutionnelle estime aussi qu’une majoration d’impôt et une amende peuvent aller de pair, malgré le principe non bis in idem et ce, contre l’avis de la Cour de cassation (19/1). Et la Cour de cassation quant à elle ne voit pas d’inconvénient à utiliser des données trouvées lors d’une visite dans une habitation privée sans autorisation valable (insuffisamment motivée) du juge de police (23/1). Antigone poursuit sa marche triomphale (v. aussi 24/1).
En outre, la jurisprudence a tout d’un coup tourné en défaveur du contribuable en ce qui concerne deux de ses thèmes traditionnellement les plus « populaires ». La déduction des frais d’une habitation appartenant à la société est encore un peu plus difficile maintenant que la Cour de cassation a rejeté la théorie de la plus-value future . L’année avait pourtant bien débuté, avec des décisions positives dans la droite ligne de la jurisprudence favorable d’autrefois (16/4).
Le deuxième sujet pour lequel la tendance s’est soudain inversée pour le contribuable est l’abus fiscal. Jusqu’il y a peu, beaucoup espéraient encore que l’article 344, §1er CIR 92 resterait dans la plupart des cas une boîte plus ou moins vide (v. aussi 12/1). Mais il s’avère maintenant que la jurisprudence ne voit aucune objection à ce que les objectifs de la loi ne soient pas minutieusement exposés dans les travaux préparatoires. Et l’application de la disposition générale anti-abus à une construction (un ensemble d’opérations juridiques) n’est pas non plus soumise à des conditions trop strictes : il n’est pas nécessaire que toutes les opérations émanent du contribuable lui-même (26/3 et un numéro prochain). Pour beaucoup, ce revirement a été aussi violent que la gifle de Will Smith à la cérémonie des Oscars. Vlabel s’est pour la première fois exprimé sur l’abus du droit de vente réduit – à deux reprises au détriment du contribuable.
Toujours en matière d’abus, la jurisprudence a tourné en défaveur d’une Stiftung du Liechtenstein. Mais heureusement, la Cour constitutionnelle a fait voler en éclats la présomption irréfragable d’abus de la taxe sur les comptes-titres.
L’application d’une disposition anti-abus revient souvent à une imposition sur la base de la réalité économique. Il est clair que la réalité et la substance sont bien plus souvent prises en compte qu’autrefois , aussi indépendamment des abus. Et pas que dans le domaine de la fiscalité, d’ailleurs. Pensez par exemple à l’explosion de bulles sous la forme de l’effondrement du cours des cryptomonnaies ou de certaines valeurs technologiques. Une constatation frappante s’est toutefois imposée : l’imposition sur la base de la réalité économique ne se fait pas nécessairement au détriment du contribuable. Il a ainsi été décidé qu’une activité immobilière, s’il s’agit d’une activité économique réelle, a aussi droit au régime flamand préférentiel pour les sociétés familiales. Et la Cour d’appel de Bruxelles a rejeté une taxe d’inoccupation pour une habitation qui n’était pas effectivement inoccupée. Cependant, ce genre d’approche débouche parfois sur des conclusions irréalistes, comme lorsque la Cour d’appel de Mons a voulu imposer non pas les dividendes proprement dits, mais l’enrichissement réel d’une spin-off (28/1).
La suppression des forfaits est aussi une forme de retour à la réalité. Mais les forfaits (à la place des montants réels) offrent une certaine facilité. C’est pourquoi les règles relatives au remboursement du plein d’électricité à domicile et à l’avantage de toute nature pour les factures d’énergie payées par l’employeur suscitent beaucoup d’incompréhension. Les intéressés sont supposés prouver les frais réels, ce qui, en pratique, peut s’avérer très compliqué. La technologie évolue rapidement, mais tout le monde n’a pas directement accès aux applications et appareils de mesure nécessaires. Pour ces personnes, il est donc irréaliste de se baser sur la réalité...
Moyens
Non seulement le fisc fait usage de ses compétences au maximum, mais il bénéficie de toujours plus de moyens. À cet égard, 2022 n’a pas beaucoup différé des années précédentes. Cette fois, [délais d’imposition prolongés]c’est la procédure fiscale qui a connu une réforme approfondie, sous la forme d’une prolongation des délais d’imposition et d’investigation (25/1, 41/5). Le fisc pourra ainsi examiner de nombreux dossiers plus en profondeur et remonter plus loin dans le temps. Et il pourra aussi infliger une astreinte au contribuable s’il ne collabore pas. Les éditorialistes se sont donc demandé si la balance ne penchait pas d’un seul côté .
Un prix de consolation a toutefois été envisagé pour le contribuable, sous la forme d’une prolongation du délai de réclamation . Mais cette « amélioration » met justement en lumière un point sensible : beaucoup ne comprennent toujours pas pourquoi ce délai est si court. Pourquoi le contribuable ne bénéficie-t-il pas d’autant de temps que le fisc pour effectuer une rectification ? Qu’est-ce qui s’oppose à l’octroi d’un avantage auquel le contribuable a droit, mais qu’il a oublié dans sa déclaration pendant plus d’un an par ignorance (et pour lequel les conditions pour une taxation d’office ne sont pas réunies) ?
Signalons encore que la Charte du contribuable semble mise à mal par la création des MOTEM, des cellules spéciales au sein desquelles le fisc peut collaborer à des enquêtes judiciaires . L’échange d’un nombre croissant de données n’est en revanche plus tellement digne d’intérêt (DAC7 et DAC8), contrairement au rôle de précurseur de la Belgique en la matière (« DAC7 light » : 16/8).
Bonne administration
Les principes de bonne administration compensent toutefois tous ces « moyens » du fisc. L’« arrêt de l’année » 2022 est donc tombé à pic. La Cour de cassation a en effet semblé rompre avec une règle jusque-là absolue : la primauté du principe de légalité sur les principes de bonne administration. La Cour estime maintenant que le contribuable doit pouvoir se fier à ce que dit le fisc, même si le point de vue du fisc n’est pas conforme à la loi (18/1). On en oublierait toute la misère du monde...
Dans la même veine, signalons aussi quelques victoires dans la jurisprudence en matière de droits fondamentaux, et plus précisément de respect de la vie privée (accès au registre UBO) et de secret professionnel (obligation de déclaration DAC6). Et un avocat général de la Cour de justice a avancé un principe peut-être aussi important que l’arrêt sur les principes de bonne gouvernance : une entreprise ne peut pas être la victime de la complexité de la réglementation (C 378/21, P GmbH, opinion du 8 septembre 2022).
Sécurité juridique
Il y a donc également eu beaucoup de bonnes nouvelles (peut-être inattendues) à annoncer en 2022. La sécurité juridique est aussi un principe essentiel en ce qui concerne les droits fondamentaux. Et le gouvernement lui accorde toujours la plus [respect pour les droits acquis]haute importance, comme en témoigne le soin apporté aux longs régimes de transition, dans un souci de ne pas porter atteinte aux droits acquis. Cela frise même parfois l’obsession : un régime de transition a ainsi été ajouté, pour à peine quelques centaines de personnes, au règlement qui supprime le piège aux revenus pour les allocations de chômage (23/7, 38/4). Quelques exemples : les régimes d’imposition forfaitaires restent valables pendant encore six ans pour ceux qui en bénéficiaient déjà. Les délais d’imposition et d’investigation prolongés ne s’appliquent pas au passé – contrairement à la règle habituelle pour les mesures procédurales. Et, comme vous le savez, la nouvelle fiscalité automobile entre elle aussi en vigueur très progressivement. Cette législation ne faisait pas partie de l’actualité de l’année dernière, mais elle a continué à dominer une bonne partie des conversations (fiscales) en raison de l’entrée en vigueur de certains éléments de la réglementation en 2023 (1er janvier pour la déduction des frais de carburant des hybrides rechargeables, 1er juillet pour la disparition de la déduction des frais pour les voitures thermiques) (39/7) et parce qu’elle a maintenant définitivement mis le parc des voitures de société sur la voie de l’électrification. En Région flamande, cette attention portée aux longs régimes transitoires s’illustre notamment dans les nouvelles règles concernant les pick-up.
Dans d’autres domaines, le succès n’a toutefois pas toujours été au rendez-vous. Les bonnes résolutions du gouvernement ou du fisc en matière de simplification administrative se sont malheureusement souvent heurtées à la réalité. [moins (et plus) de fiches]Parmi les éléments positifs, nous pouvons en tous cas citer la disparition de l’obligation de fiche en cas de facture (33, 16/12), la suppression des attestations du maître d’ouvrage pour la TVA à 6 % (40/6), le précompte professionnel libératoire pour les travailleurs saisonniers (3/4) et l’harmonisation du taux de TVA réduit pour les travaux de rénovation d’habitations de plus de 10 et 15 ans. Mais la volonté de fournir davantage de moyens de contrôle au fisc a en revanche entraîné une forte hausse des formalités administratives. Pensez aux déclarations au Pr. P. pour ceux qui font usage de la dispense de versement du Pr. P., aux fiches obligatoires pour les droits d’auteur (3/3), aux nouvelles fiches en ce qui concerne la DAC7 et à la notification pour les contribuables qui souhaitent appliquer le régime TVA suivant l’affectation réelle (40/7). Et comme nous l’avons déjà indiqué ci-avant, les contribuables sont apparemment maintenant censés calculer laborieusement leurs frais d’électricité professionnels réels.
Heureusement, le législateur et le fisc ont tendance à se montrer plus souples dans l’octroi de reports quand les délais sont trop serrés. Nous l’avons constaté avec les demandes pour le nouveau régime des impatriés (21/1, 34/5) ou la prolongation des avantages fiscaux pour les bornes de recharge. Mais en ce qui concerne les délais d’introduction des déclarations, le fisc trouve justement qu’il faut cesser d’accorder sans cesse des reports. À partir de 2024, des dates fixes seront en vigueur, et il ne sera plus possible d’y déroger. Et ces nouveaux délais ne seront pas favorables aux professionnels du chiffre... Ajoutez à cela que le fisc et le législateur ont eux-mêmes pas mal de difficultés avec les échéances. La législation est souvent publiée trop tard. Trop tard pour que le contribuable ait encore le temps de réagir. Ou si tard que le législateur doit avoir recours à la rétroactivité (illégale). Pensez aux nouvelles règles relatives au régime VVPRbis, à la prolongation du régime pour les activités d’association à la gestion des pensions néerlandaises ou encore au tax shelter pour les jeux vidéo qui est enfin entré en vigueur – après quatre ans d’attente . Même les délais fixés par la Cour constitutionnelle sont ignorés (en particulier celui concernant la supervision des professionnels du chiffre non certifiés). Autres exemples frappants : la réduction du Pr. P. pour les zones d’aide n’a tout d’un coup plus pu être appliquée par les grandes [procrastination]entreprises parce que la Belgique n’avait pas réagi à l’expiration de la carte européenne d’aide à finalité régionale (12/6, 32/7). Quant à l’avantage fiscal, évoqué plus tôt, relatif à l’indemnité kilométrique plus élevée, il a été d’application du 1er mars au 31 décembre 2022, mais la loi n’est parue que le 30 novembre. Une récente étude auprès d’étudiants a démontré que la procrastination contribuait à la dépression. Dans la fiscalité belge, on peut carrément parler de maladie chronique. Comme si l’année n’avait pas déjà été suffisamment déprimante...
Colmater les brèches
Mais comme déjà indiqué, il y a aussi, heureusement, de bonnes nouvelles. Le gouvernement se targue, grâce au mini-tax shift, de pouvoir enfin supprimer progressivement la cotisation spéciale de sécurité sociale (pour l’instant uniquement pour les bas revenus).
Et sur le plan législatif, il s’est passé encore bien plus de choses – ce qui peut surprendre vu que la flambée des factures d’énergie semblait accaparer toute l’attention. Toutes ces mesures partagent un objectif commun : colmater les brèches. Sous couvert (ou non) de fiscalité juste [« fiscalité juste »], des possibilités d’optimisation sont bloquées ou des lacunes législatives sont comblées . La réduction drastique des droits d’auteurs déjà évoquée est peut-être l’exemple le plus frappant . Mais la liste est longue. Pensez aux dispenses de versement du Pr. P. (41/14), à l’interdiction du cumul des avantages fiscaux (crédit d’impôt ou taxation au tonnage avec réduction du Pr. P. pour la R&D, déduction de frais majorée et déduction pour investissement pour les bornes de recharge, déduction d’intérêts et bonification d’intérêts – 32/4, 39/2), à la taxation explicite des revenus de remplacement des conjoints aidants (30/11), aux pensions étrangères, à la disparition des avantages fiscaux pour les résidences secondaires, à la limitation de la corbeille (38/2, 39/5), au renforcement du régime TVA pour les logements meublés (7/1, 24/5) , aux commissions secrètes et aux bénéfices dissimulés (17/1, 22/2), à la réduction des avantages pour le secteur sportif (15/8) et (en Flandre) pour les pick-up, à la suppression de la déduction des intérêts notionnels (ou plutôt : à l’administration de son coup de grâce – certains ont admis honnêtement que prolonger inutilement vie de la mesure avait peu de sens) (38/1). Même les à-côtés des influenceurs ne sont pas oubliés par le fisc.
En outre, la non-indexation des montants fiscaux revient à une sérieuse majoration d’impôt déguisée. Certes, les échelles tarifaires sont encore indexées . Mais les plafonds pour les avantages fiscaux ne sont, eux, plus indexés (depuis quelques années déjà). Cette mesure apparaissait comme une source de revenus pratique (car détournée) lorsque l’inflation était encore faible, mais elle a d’importantes répercussions maintenant que nous sommes confrontés à une inflation à deux chiffres (en ce qui concerne les allocations familiales flamandes, ce même phénomène a aussi entraîné des débats enflammés). On notera aussi que le ministre refuse explicitement d’indexer le forfait kilométrique pour la déduction des déplacements domicile-travail. Une indexation semble non seulement urgente après autant d’années, mais il est aussi difficile d’imaginer comment un refus d’indexer peut être compatible avec un nouvel avantage fiscal pour indemnité kilométrique plus élevée et une indexation plus rapide du forfait kilométrique général dans le contexte des frais propres à l’employeur (voy. supra).
D’abord les charges et puis les avantages
Toutes ces mesures donnent à penser que l’équilibre est complètement rompu. Tout le monde peut accepter le principe officiel selon lequel une baisse générale de la taxation du travail doit s’accompagner (pour des raisons financières) d’un élargissement de la base imposable en supprimant les avantages fiscaux et en remédiant au méli-mélo fiscal. Mais, dans la pratique, ces deux éléments ne vont pas du tout de pair. Plutôt que de mettre en œuvre le tout en une fois, le gouvernement procède de manière sélective. Nous sommes déjà confrontés aux hausses d’impôt, alors que les [problème de timing]diminutions – de même que la grande réforme fiscale prévue – sont sans cesse remises à plus tard. D’aucuns craignent même qu’elles n’arrivent jamais.
Cette crainte s’inscrit bien dans l’air du temps. Actuellement, à la surprise de bien des fiscalistes, on parle en effet davantage de hausses d’impôt (du moins pour les riches) que de baisses. C’était par exemple l’étonnant avis du conseil des sages qui assiste le gouvernement allemand. Avec son Inflation Reduction Act, Joe Biden a aussi introduit une imposition minimale de 15 % pour les (très) grandes entreprises. Aux Pays-Bas, l’imposition des revenus d’épargne et de placement (« cadre 3 ») est [air du temps fiscal]progressivement relevée, passant de 30 % à 34 %. Et Liz Truss – rappelez-vous, la Première ministre britannique qui a perdu son duel de longévité contre une salade – a été terrassée par les marchés financiers après avoir présenté des baisses d’impôts drastiques, surtout pour les plus hauts revenus . Après quoi son successeur, Rishi Sunak, a annoncé différentes majorations d’impôt. Les économistes ont aussi souligné que, lors d’une crise de l’offre (comme c’est le cas actuellement), il serait contreproductif d’injecter plus de fonds dans l’économie à l’aide de baisses d’impôt : cela ne ferait qu’aggraver l’inflation. Il convient toutefois d’ajouter que de telles considérations trouvent leurs limites dans un pays où la pression fiscale est l’une des plus élevées au monde et où les revenus moyens en particulier sont très lourdement taxés, la tranche d’imposition supérieure s’appliquant déjà à partir d’un revenu bien trop bas. Et alors que (comme d’autres pays européens) nous devons éviter que les entreprises ne délocalisent aux États-Unis à cause des prix de l’énergie élevés chez nous .
Soif de réforme européenne
On observe néanmoins un manque de projets de réforme, en particulier à l’échelon européen. À la suite de la crise du coronavirus et de la guerre en Ukraine, l’Union européenne a trouvé un nouvel élan et élargi ses compétences. De nombreuses nouvelles réglementations sont en chantier, y compris dans le domaine fiscal. De manière assez inattendue, un accord a quand même été trouvé quant à l’imposition minimale internationale pour les multinationales. La prochaine étape est la « digitaxe ». Le projet de directive sur la facturation électronique (obligatoire) est maintenant une réalité. Il annonce une vraie révolution. Les formalités administratives seront sensiblement réduites pour le contribuable. Mais le fisc pourra suivre le flux de factures presque en temps réel et donc mieux le contrôler. De plus, on s’attend à de nouvelles tentatives d’harmonisation de l’impôt des sociétés dans les États membres en 2023. À cet égard, DEBRA, une déduction d’intérêts notionnels imposée par l’Europe, reviendra probablement sur la table. Mi-décembre, un accord a en outre été atteint en ce qui concerne le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), qui devrait entrer en vigueur le 1er octobre 2023 .
Et qu’en est-il en Belgique ? L’année 2022 a clairement été marquée par la débâcle d’« hommes forts » qui avaient montré leurs muscles : Poutine, Xi Jinping, Trump, Bolsonaro et même Johnson. Pensez aussi au macho britannique brillamment remis à sa place par Greta Thunberg (ou même au fiasco de Musk avec Twitter). Mais cette symbolique semble complètement glisser sur deux présidents de partis francophones, qui s’acharnent à bloquer toute tentative de réforme. Conséquence : en ce qui concerne la grande réforme fiscale prévue, rien n’a bouchez, pardon, bougé en 2022. La récolte a été aussi mauvaise que la pousse du gazon pendant la sécheresse de l’été 2022 .
Et cela ne vaut d’ailleurs pas uniquement pour le niveau fédéral. En Wallonie, une réforme de la fiscalité automobile (imposition sur la base de critères plus logiques : le CO2 et le poids, plutôt que la cylindrée, afin de pénaliser davantage les SUV) est prévue, mais les travaux piétinent. La « résistance » était aussi l’un des grands thèmes de 2022 (que ce soit celle de Zelenski et de ses courageux Ukrainiens – personnalités de l’année selon Time Magazine –, des Iraniennes... ). Les réformes n’y ont pas échappé…
Autre sujet en pleine impasse politique, malgré ce qui avait été convenu dans l’accord de gouvernement : une nouvelle réforme de l’État. Pourtant, la répartition illogique des compétences est aussi un frein aux innovations fiscales. Et il devient de plus en plus difficile de mener une politique cohérente à cause de la fragmentation des compétences. Nous risquons de nous enliser dans une situation dans laquelle des réformes sont bloquées à l’échelon fédéral parce que les régions en profitent (en raison de leur part dans l’IPP). Le crédit d’impôt pour les événements annulés en est un exemple saisissant. Il a été vidé de sa substance de manière discriminante parce qu’on a considéré que les régions en profiteraient aussi si la mesure s’appliquait également à l’IPP. Il convient de noter que la Wallonie reste frileuse face à la reprise du « service » des droits d’enregistrement et de succession (déjà reportée), alors que la qualité du service fourni par l’administration fédérale en la matière s’est dégradée, cette dernière ne voulant plus investir dans ce domaine (on peut le comprendre) . Indépendamment de cela, il s’est avéré que la régionalisation n’était pas une mauvaise chose parce qu’il est plus facile d’introduire des innovations à l’échelle réduite d’une région. Les bonnes idées peuvent ensuite être recopiées ailleurs . Une septième réforme de l’État est donc loin d’être exclue (même si l’anomalie la plus flagrante – la différence entre les avantages fiscaux pour les résidences principales et secondaires – sera bientôt de l’histoire ancienne et même s’il est frappant de constater que les régions n’ont encore rien fait de leur compétence sur les taux d’IPP). Dans la même veine, il est plus que jamais évident que nous avons en fait deux Cours de cassation dans ce pays, avec des décisions souvent contradictoires entre les sections néerlandophone et francophone. C’est peut-être la conséquence inévitable de la coexistence de deux cultures juridiques distinctes, mais la sécurité juridique n’y gagne pas.
Une autre réforme à venir concerne la transformation numérique des administrations fiscales, pour laquelle l’OCDE a élaboré l’an dernier une « feuille de route » intitulée Tax Administration 3.0 .
Accord ou désaccord ?
Les prochains mois seront passionnants car ce n’est qu’en mars ou en avril que nous saurons si le gouvernement a atteint un consensus en ce qui concerne la réalisation de la première phase de la réforme fiscale. Nous ne pouvons qu’espérer que ce sera le cas, notamment en vue de l’équilibre évoqué ci-avant. Dans un éditorial paru dans la revue AFT, Mark Delanote qualifie le projet du ministre Van Peteghem d’« équilibré » et nous nous rangeons à cet avis . Enfin, les propositions correspondent dans les grandes lignes aux recommandations des organisations internationales. Nous n’avons pas le temps ici de procéder à une analyse complète. Mais nous souhaitons attirer l’attention sur quelques points qui n’ont pas été suffisamment pris en compte dans les commentaires.
Ainsi, dans les projets de réforme aussi, on reste fidèle au principe selon lequel la suppression des avantages doit avoir lieu de manière très progressive et dans le respect des situations existantes. Les détails ne sont pas encore fixés, mais il nous semble par exemple logique qu’une imposition supplémentaire des cartes de carburant (imposées de manière forfaitaire en tant qu’avantage de toute nature, d’après ce qui est prévu) ne soit d’application qu’à l’achat d’une nouvelle voiture et donc pas pour les leasings en cours. Pensez aussi à la critique selon laquelle la majoration de la quotité exemptée d’impôt favoriserait aussi les inactifs et ne contribuerait donc pas à l’augmentation indispensable du taux d’emploi, et accentuerait même le piège à l’emploi. Mais le projet prévoit entre autres aussi de rendre le revenu d’intégration imposable et de supprimer progressivement les réductions d’impôt pour les revenus de remplacement. Cela ne changera rien à la situation concrète de la plupart des intéressés, mais sur le principe, il s’agit toutefois d’une étape importante (et logique) : les inactifs n’auront plus droit à un traitement plus favorable que les actifs. Un autre point (certes, pas encore dans la première phase) concerne la réforme redoutée de la fiscalité immobilière. L’imposition ne devrait plus être calculée sur la base du revenu cadastral, mais des revenus locatifs réels. À noter que cette réforme impliquera une diminution d’impôt pour de nombreux intéressés, notamment grâce à un généreux abattement de 6 000 € et une importante déduction de frais, en combinaison avec une imposition distincte dans l’esprit d’une dual income tax . Enfin, remarquons que c’est justement un ministre issu d’un parti familial qui formule des propositions impliquant la suppression de la fiscalité familiale typique, comme le quotient conjugal. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, il le sait bien.
Les clivages politiques qui ont jusqu’ici empêché une grande réforme sont aussi liés à un autre phénomène de 2022 : le retour de l’idéologie. Dans l’histoire récente, les mesures fiscales ont souvent été prises sur la base d’arguments technocratiques, indépendants de toute couleur politique. Par exemple : tel incitant fiscal stimulera probablement l’économie et est donc souhaitable. Mais ce genre d’argumentation ne suffit plus (de la même manière que le rapport d’un technocrate pouvait faire pencher la balance dans une discussion sur les lignes à haute tension aériennes ou souterraines). Le sociologue et économiste Ive Marx a récemment encore souligné que les extrêmes inégalités de revenus aux États-Unis, non seulement dans la société dans son ensemble, mais aussi au sein des entreprises ou organisations, ne signifiaient pas que ces dernières étaient plus performantes que des entreprises ou organisations européennes comparables, avec des écarts salariaux bien moins marqués. Ce qui semble à première vue un argument objectif et technocratique (incitants fiscaux pour de meilleures performances) est donc en fait purement idéologique .
Le retour de l’idéologie explique peut-être aussi la violence des débats politiques actuels. Mais il offre aussi des possibilités de surmonter ces clivages. Quand on sait que les opinions sont surtout idéologiques, il n’est plus question de reprocher à l’autre de ne pas connaître les faits ou de les ignorer.
La crise du coronavirus nous a d’ailleurs encore appris autre chose. Il est important de décloisonner notre réflexion. Les touche-à-tout, avec une vision globale, sont plus nécessaires que jamais. Un virologue peut nous apprendre comment endiguer la propagation d’un virus, mais il n’est pas la première autorité en ce qui concerne les conséquences sur le bien-être psychique ou social de la population ou encore les dommages économiques potentiels des mesures sanitaires. Dans le contexte de la politique fiscale, cela implique qu’il peut être enrichissant de réunir des personnes avec des idéologies différentes. Et qu’il ne faut pas se laisser aller à des micro-analyses obsessionnelles des inconvénients fiscaux pour des niches très réduites. Et surtout : que tout est lié. On ne peut donc pas considérer une réforme fiscale indépendamment d’autres réformes essentielles, notamment dans les domaines du marché du travail ou des pensions. La recherche de plus de neutralité dans notre système fiscal peut au moins inciter à en faire de même dans les pensions, par exemple. Les cyniques disent souvent que la réforme fiscale proposée par le ministre est « élaborée par des fonctionnaires », qui seraient jaloux des voitures de société ou des assurances groupe de certains travailleurs du secteur privé, mais oublient qu’ils bénéficient eux-mêmes d’avantages spécifiques, comme une pension légale plus généreuse . Ce reproche est infondé car les voitures de société ne sont justement pas concernées par les projets de réforme (à la consternation de nombreux observateurs étrangers, d’ailleurs). Mais dans le fond, on tient là quelque chose : tout est en effet lié. Il n’est pas illogique de considérer la réforme fiscale sous cet angle. Et cela tombe bien, car la réforme des pensions est elle aussi reportée. Il est donc encore possible d’examiner les deux sujets (et celui du marché du travail) ensemble et de créer des liens entre eux. Il sera ainsi peut-être aussi plus facile, sur le plan politique, de trouver un compromis qui convient à tout le monde. Comme on le disait au début : il y en a pour tous les goûts.
À bien des égards, 2022 a marqué la fin d’une époque. Nous avons dû renoncer à de nombreuses illusions géopolitiques. Nous avons fait quelques volte-face en ce qui concerne notre approvisionnement énergétique. La transition énergétique est lancée de manière définitive (v. aussi le mot de l’année vélotafer : aller au travail en bicyclette). Nous avons aussi dit adieu à la reine Élisabeth II, après 70 ans de règne. Milton Grundy, l’avocat fiscaliste britannique considéré comme le père des paradis fiscaux et l’éminence grise de la planification fiscale internationale, nous a aussi quittés (1926-2022). Même si l’événement n’a pas fait la une de la presse internationale, il n’en est pas moins symbolique sur le plan fiscal. Ce n’est pas pour rien que Zeitenwende (revirement historique) est le mot de l’année en Allemagne. Au niveau international, la révolution fiscale est déjà en cours. D’ici quelques mois, nous saurons si c’est aussi le cas en Belgique. Nous saurons donc enfin si, dans le domaine fiscal aussi, quelque chose de positif a pu émerger du chaos, comme certains auteurs l’avaient prédit (voy. supra) ou si la montagne a accouché d’une souris.
Koen Janssens