Application de la RGAE dans le contexte de l’augmentation du taux d’inclusion du gain en capital
L’auteur discute d’une interprétation récente de l’ARC concernant l’application de la RGAE dans le contexte de l’augmentation prochaine du taux d’inclusion du gain en capital.
Dans le contexte d’une réponse à une demande d’interprétation technique datée du 1er mai 2024, l’ARC s’est prononcée sur l’application de la règle générale anti-évitement (RGAE) dans le contexte de la mise en place d’opérations visant à «cristalliser» le gain en capital avant le 25 juin 2024 afin de profiter du taux d’inclusion de 50 %.[1]
Cette demande d’interprétation fait évidemment suite aux mesures budgétaires contenues dans le Budget fédéral déposé le 16 avril 2024 (le Budget 2024) lesquelles prévoient notamment l’augmentation du taux d’inclusion du gain en capital au 2/3 au lieu du taux actuellement en vigueur de 1/2, sous réserve d’un montant de gain en capital annuel de 250 000 $ réalisé par un particulier qui sera toujours assujetti à un taux d’inclusion de 1/2 (les Nouvelles mesures).
Puisque les Nouvelles mesures s’appliquent au gain en capital réalisé après le 24 juin 2024, les contribuables peuvent légitimement considérer que l’ARC acceptera les opérations mises en place avant cette date afin de réaliser le gain en capital sur la disposition de biens en immobilisation dont la valeur s’est accrue au cours des années où le taux d’inclusion en vigueur du gain en capital était de 50 %.
Dans le contexte de l’interprétation technique en l’espèce, l’ARC clarifie sa position quant à l’application de la RGAE à ce type d’opérations (par. 245(2); (4) LIR).
La question posée à l’ARC consiste donc à savoir si la «cristallisation» du gain en capital avant la date du 24 juin 2024 est assujettie à la RGAE.
Dans sa réponse, l’ARC réfère notamment aux amendements apportés à la RGAE inclus dans le projet de loi C-59, Loi d’exécution de l’énoncé économique de l’automne 2023 (présentement à l’étape de la seconde lecture à la Chambre des communes), qui seront applicables aux opérations intervenues à compter du 1er janvier 2024, plus particulièrement quant à l’ajout du critère de «substance économique» d’une opération devant servir à la détermination du caractère abusif de l’opération.
Les paragraphes 245(4.1) et (4.2) LIR relativement au nouveau critère de substance économique, qui sont proposés dans le projet de loi C-59, se liront ainsi s’ils sont sanctionnés sans amendements:
(4.1) Substance économique — effet — Si une opération d'évitement—ou une série d'opérations comprenant l'opération d'évitement—manque considérablement de substance économique, il s'agit d'un facteur important qui tend à indiquer que l'opération constitue un abus en vertu des alinéas (4)a) ou b).
(4.2) Substance économique — sens — Les facteurs qui établissent qu'une opération ou une série d'opérations manque considérablement de substance économique peuvent comprendre, notamment, l'un des éléments suivants:
a) la totalité, ou la presque totalité des possibilités pour le contribuable de réaliser des gains ou des bénéfices et de subir des pertes, conjointement avec celles des contribuables ayant un lien de dépendance (sauf ceux qu'il est raisonnable de considérer, compte tenu des circonstances prises dans leur ensemble, comme ayant des intérêts économiques largement opposés à ceux du contribuable), reste inchangée, notamment en raison des éléments suivants:
(i) les flux circulaires de fonds,
(ii) la compensation des situations financières,
(iii) le délai entre les étapes d'une série,
(iv) le recours à une partie accommodante;
b) il est raisonnable de conclure que, au moment où l'opération ou la série était conclue, la valeur de l'avantage fiscal escomptée dépassait le rendement économique non fiscal escompté, lequel exclut aussi bien l'avantage fiscal que tout avantage fiscal se rattachant à une autre juridiction;
c) il est raisonnable de conclure que la totalité, ou la presque totalité, des objets d'entreprendre ou d'organiser l'opération ou la série était d'obtenir l'avantage fiscal.
Les notes explicatives[2] accompagnant ces modifications proposées à la RGAE et l’introduction du critère de substance économique à l’article 245 LIR précisent:
Le paragraphe (4.1) précise la façon d'intégrer le concept de substance économique dans l'analyse de la RGAE. En particulier, il prévoit que, si une opération manque considérablement de substance économique, il s'agit d'une considération importante qui tend à indiquer que l'opération entraîne un abus au sens de l'alinéa (4)a) ou de l'alinéa (4)b), selon celui qui s'applique à la situation donnée. […]
Le sens de l'expression «manque considérablement de substance économique» est fourni au nouveau paragraphe (4.2). Il présente un bon nombre de facteurs susceptibles d'établir qu'une opération manque considérablement de substance économique. Certains facteurs seront plus ou moins pertinents, selon les circonstances données, et il ne s'agit pas d'une liste exhaustive. La détermination du manque considérable de substance économique d'une opération est binaire et alimente la règle du paragraphe (4.1). Si elle en manque, le paragraphe (4.1) s'applique au moment de mener l'analyse de l'«abus»; dans le cas contraire, l'analyse standard de l'«abus» s'applique.
Le qualificatif «considérablement» garantit que les opérations qui n'ont qu'un élément de planification fiscale ne sont pas incluses. Cela se reflète dans les facteurs particuliers énoncés aux alinéas a) à c), dont chacun contient un seuil assez élevé pour que le critère soit rempli. En règle générale, ces facteurs visent à faire la distinction entre les opérations entreprises principalement à des fins non fiscales et les opérations qui visent fondamentalement à obtenir un résultat fiscal donné. […]
L’ARC réitère que l’application potentielle de la RGAE requiert une analyse de tous les faits propres à une situation donnée. L’ARC reconnait cependant que le Budget 2024 ne prévoit aucune limite quant à la possibilité de réaliser le gain en capital avant le 25 juin 2024 et que le délai prévu entre la date du Budget 2024 et le 24 juin 2024 pour la mise en vigueur des Nouvelles mesures est un choix de politique fiscale délibéré. Ainsi, l’ARC indique que lorsqu’un contribuable cristallise un gain en capital avant le 25 juin 2024 (afin de bénéficier du taux d’inclusion de 1/2), la RGAE ne s’appliquera généralement pas pour «redéterminer» le taux d’inclusion du gain en capital.
Cependant, l’ARC souligne que la RGAE pourra s’appliquer si l’opération mise en place par le contribuable permet de réaliser des avantages fiscaux autres que le taux d’inclusion du gain en capital. L’ARC réfère à cet égard à l’interprétation technique (TWF) 2023-0987941I7,[3] dans le cadre de laquelle l’ARC mentionne qu’elle ne rendra aucune décision anticipée relativement à une opération ou série d’opérations impliquant une situation où un particulier actionnaire met en place une opération visant à extraire des surplus corporatifs sous une forme autre qu’un dividende. Ce type d’opération pourrait être visé par la RGAE.
Il est donc important de s’assurer que les opérations mises en place avant le 25 juin 2024 se limitent à bénéficier du taux d’inclusion de 50 % à l’exclusion de tout autre avantage fiscal pouvant découler de l’opération et ce, afin de s’assurer que la RGAE ne sera pas invoquée par l’ARC.
Cela étant dit, si cette condition est respectée, il ne devrait pas y avoir d’autres paramètres à respecter quant aux types de planification adoptés par les contribuables pour atteindre l’objectif de bénéficier du taux d’inclusion du gain en capital de 1/2 avant le 25 juin 2024.
- ARC, Interprétation technique (TWF) 2024-1016011E5, General Anti-Avoidance Rule, 1er mai 2024.
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Canada, Ministère des Finances, Notes explicatives relatives à la Loi de l’impôt sur le revenu et au Règlement de l’impôt sur le revenu: https://fin.canada.ca/drleg-apl/2023/nwmm-amvm-1123-n-fra.html, 30 novembre 2023.
- ARC, Interpretation technique (TWF) 2023-0987941I7, Amendments to GAAR and Advance Income Tax Rulings, 29 février 2024.