Calcul des heures supplémentaires; arrêt récent de la Cour d’appel sur l’étalement et les périodes de repas rémunérées
Dans l’affaire 4036409 Canada inc. c. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail[1], la Cour d’appel était appelée à réviser un jugement de la Cour supérieure ayant conclu que l’employeur ne pouvait bénéficier des dispositions relatives à l’étalement des heures de travail sur une base autre qu’hebdomadaire (article 53 de la Loi sur les normes du travail « LNT »[2]) et que le calcul des heures à être payées à taux majoré devait tenir compte des périodes de repas rémunérées et d’une semaine de travail débutant le lundi (articles 55, 57 et 59 LNT). La Cour d’appel a infirmé le jugement de première instance concernant l’inclusion des périodes de repas et la question de la semaine de travail débutant le lundi.
I. Faits
L’employeur, 4036409 Canada inc., faisait affaires sous le nom de Gestion Danis & Frères (Gestion Danis). Depuis plusieurs années, l’employeur fournissait de la main-d’œuvre à la mise en cause PF Résolu Canada inc., qui exploitait une papetière à Gatineau. La papetière était en opération 24 heures sur 24, 365 jours par année. L’horaire de travail était de 84 heures sur deux semaines, incluant les périodes de repas rémunérées. Plus particulièrement, les salariés travaillaient sur des quarts de travail de 12 heures, de jour (7 h à 19 h) ou de nuit (19 h à 7 h), en alternant avec une semaine de 48 heures (quatre jours) et une autre de 36 heures (trois jours), la semaine de travail débutant le dimanche. Ainsi, il y avait 77 heures de travail pendant ces deux semaines et 84 heures au total en incluant les périodes de repas.
Saisie d’une plainte anonyme, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») estimait que l’employeur ne respectait pas les modalités de paiement des heures à taux majoré, ce qui fut confirmé par la Cour supérieure à trois égards :
- L’employeur ne pouvait se prévaloir de l’étalement des heures de travail sur une base autre qu’hebdomadaire;
- La rémunération du temps supplémentaire devait prendre en considération les périodes de repas rémunérées;
- Le calcul des heures supplémentaires devait tenir compte d’une semaine de travail débutant le lundi.
La Cour d’appel a analysé chacune de ces questions.
II. Analyse
1. L’employeur ne pouvait se prévaloir de l’étalement des heures de travail sur une base autre qu’hebdomadaire
Concernant l’étalement, l’employeur faisait valoir la validité d’ententes individuelles conclues avec 16 salariés sur les 34 visés par la réclamation de la CNESST. Ces ententes avaient été signées par les salariés concernés au mois de décembre 2019 et énonçaient s’appliquer rétroactivement au 1er septembre 2018. Elles prévoyaient que seules les heures travaillées au-delà de la semaine normale de travail de 40 heures, une fois réparties sur la période d’étalement de quatre semaines, devaient être rémunérées à un taux majoré de 50 %.
Analysant l’article 53 LNT, qui permet d’étaler les heures de travail des salariés autrement que sur une base hebdomadaire, la Cour supérieure a conclu que les conditions permettant l’étalement n’étaient pas remplies, dont notamment la nécessité d’une autorisation de la CNESST.
La Cour d’appel a confirmé la conclusion de la Cour supérieure suivant laquelle l’employeur ne pouvait bénéficier de l’étalement, mais en apportant certaines nuances au raisonnement. Elle rappelle que l’article 53 LNT a été modifié en juin 2018 pour prévoir dorénavant trois situations où un étalement est possible :
- Avec l’autorisation de la CNESST (alinéa 1);
- Lorsque l’étalement est prévu dans une convention collective ou un décret (alinéa 2);
- Depuis 2018, par le biais d’une entente entre l’employeur et le salarié, à certaines conditions (alinéa 3).
La CNESST prétendait que l’alinéa 3 de l’article 53 LNT ne pouvait servir d’échappatoire à la règle prévue à l’alinéa 1 exigeant l’autorisation de la CNESST. L’employeur plaidait plutôt que puisque le troisième alinéa trouvait application en raison des ententes individuelles signées avec les salariés, l’approbation de la CNESST prévue au premier alinéa n’était pas requise.
Vu sa conclusion sur la validité des ententes individuelles, la Cour d’appel n’a pas tranché ce débat. En effet, elle souligne que les ententes ont été signées en décembre 2019, alors que la période visée par l’enquête de la CNESST était du 1er janvier 2018 au 31 mai 2019 et que le premier avis d’enquête a été transmis le 25 avril 2019 à l’employeur. Elles se voulaient donc rétroactives puisqu’elles précisaient que la première période d’étalement débutait le 1er septembre 2018. La Cour conclut que l’effet rétroactif recherché par ces ententes est contraire à la lettre et à l’esprit de l’article 53, alinéa 3 LNT.
2.La rémunération du temps supplémentaire devait prendre en considération les périodes de repas rémunérées
L’employeur contestait la conclusion de la juge de première instance suivant laquelle les périodes de repas rémunérées devaient être considérées comme du temps travaillé aux fins du calcul des heures supplémentaires.
La Cour d’appel a donné raison à l’employeur, en résumant ainsi son avis :
[31] Une telle analyse est à mon avis incorrecte. Ce n’est pas parce que durant une période de repas, par ailleurs rémunérée, un salarié reste sur les lieux du travail que cette période doit nécessairement être considérée comme étant du temps travaillé aux fins du calcul des heures devant être rémunérées à taux majoré. Il faut plutôt déterminer si, durant la pause repas, le salarié exécute son travail ou est présumé exercer son travail. Je m’explique.
Rappelant le raisonnement retenu dans l’arrêt[3], la Cour d’appel conclut ainsi :
[[38] À mon avis, la juge de première instance devait appliquer ces principes aux faits de l’espèce et ne pouvait arrêter son analyse au motif que les pauses repas étaient rémunérées et que les salariés pouvaient être disponibles en cas d’urgence. Tout comme dans l’affaire Plastique Micron, Gestion Danis, sans interdire à ses salariés de quitter l’usine, préfère qu’ils demeurent sur place vu le peu de temps alloué, la grandeur de l’usine et leur disponibilité éventuelle en cas d’urgence et, pour ces raisons, met à leur disposition un local. Toutefois, ceux-ci ne sont pas requis de rester au lieu de l’exercice normal et habituel des tâches assignées ni d’exécuter leur travail durant ces périodes. Dès lors, bien que les périodes de repas soient rémunérées, les art. 57 et 79 al. 2 LNT ne s’appliquent pas. Partant, ces périodes ne doivent pas être prises en considération aux fins du calcul de la semaine normale de travail ni, par conséquent, pour celui des heures devant être rémunérées à taux majoré (art. 55 LNT).
[39] L’affaire Commission des normes du travail c. 3979229 Canada inc., sur laquelle s’appuie la Commission, ne lui est d’aucune aide. Les faits de cette affaire se distinguent de ceux de l’espèce en ce que l’horaire de travail des salariées concernées, serveuses dans un bar, ne comportait aucune plage pour les pauses repas, que les salariées n’étaient pas autorisées à quitter les lieux du travail et qu’elles devaient répondre en tout temps aux besoins des clients.
[40] Dès lors, l’intervention de la Cour s’impose sur cette question.
3. Le calcul des heures supplémentaires devait tenir compte d’une semaine de travail débutant le lundi
L’employeur prétendait que la juge de première instance avait erré en retenant les semaines de travail débutant le lundi et se terminant le dimanche. Il prétendait que la semaine de travail était plutôt du dimanche au samedi, ce qui aurait eu une incidence sur le quantum.
Sur cette question, la Cour d’appel intervient également pour infirmer le jugement de première instance :
[45] Une telle erreur justifie à mon avis l’intervention de la Cour. La détermination des heures devant être rémunérées à taux majoré est fonction du « […] travail exécuté en plus des heures de la semaine normale de travail / any work performed in addition to the regular work-week » (art. 55 LNT). Or, la juge retient que la semaine normale de travail au sein de l’entreprise s’échelonne du dimanche au samedi. Cette semaine normale de travail pour les salariés est une semaine de 3 jours consécutifs, cumulant 36 heures, et une deuxième semaine de 4 jours consécutifs, pour 48 heures. Compte tenu du calendrier de travail déposé en preuve, un tel horaire, 36 h / 48 h, n’est possible que si la semaine de travail débute un dimanche.
[46] Il est vrai que les registres de Gestion Danis ne reflètent pas cette réalité d’une semaine de travail du dimanche au samedi puisque ceux-ci seraient plutôt fonction des heures de travail indiquées sur les feuilles de poinçon (du lundi au dimanche). Toutefois, je ne peux y voir un motif pour interpréter la « semaine normale de travail » du salarié en fonction de cette preuve documentaire. Cette semaine doit correspondre à la réalité des salariés, que la LNT vise à protéger. Le défaut de l’employeur de tenir ses registres correctement, conformément à ses obligations documentaires, peut être autrement sanctionné, mais il ne peut être source d’avantages non recherchés par le législateur. Dès lors, vu les circonstances de l’espèce et la bonne foi de l’employeur, tel que noté par la juge[27], une application de l’art. 55 LNT qui tient compte de la réalité des salariés, de leur horaire de travail et donc de leur « semaine normale de travail » permet d’atteindre l’objectif du législateur.
[47] Somme toute, le quantum de la réclamation devait être établi en fonction d’une semaine de travail débutant le dimanche, et non pas le lundi, comme l’a conclu la juge en accordant le montant réclamé par la Commission.
III. Conclusion
La Cour d’appel n’a pas tranché la question de la nécessité d’une autorisation de la CNESST lorsque des ententes individuelles interviennent entre l’employeur et ses salariés pour l’étalement des heures de travail, conformément à l’article 53, alinéa 3 LNT. Elle a toutefois souligné, sans se prononcer sur le bien-fondé des prétentions de la CNESST, que cette dernière semblait ajouter au texte de la loi en plaidant que le troisième alinéa ne pouvait s’appliquer si l’employeur pouvait par ailleurs obtenir l’autorisation de la Commission selon le premier alinéa. Il est sous-entendu que c’est cette conclusion que la Cour aurait retenue si elle s’était prononcée formellement.
Comme l’a indiqué la Cour d’appel, il demeure qu’un employeur, dont les opérations sont 24 heures sur 24, a tout intérêt à obtenir l’autorisation de la CNESST plutôt que de dépendre de l’accord individuel de chacun de ses salariés.
Quant à l’inclusion des heures de repas rémunérées dans le calcul du temps supplémentaire, nous retenons que lorsque les employés n’exécutent pas leurs tâches durant ces périodes et qu’ils ne sont pas non plus obligés d’attendre sur les lieux du travail qu’on leur confie une tâche (selon l’article 57, paragraphe 1 LNT), ces périodes n’ont pas à être prises en considération aux fins du calcul du temps supplémentaire, et ce, même si les salariés peuvent être disponibles en cas d’urgence comme c’était le cas en l’espèce.
- 2024 QCCA 1250.
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RLRQ, c. N-1.1.
- Plastique Micron inc. c. Blouin, 2003 CanLII 14708 (QC CA); Domtar inc. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 1492, 1991 CanLII 3378 (QC CA).