Quand le conseil municipal veut diriger; il peut s’agir d’une destitution
Résumé : Le Tribunal administratif du travail accueille les plaintes de harcèlement psychologique et de destitution d’une directrice générale en raison de l’ingérence du conseil municipal dans les affaires courantes de la Municipalité.
Dans la décision Godbout c. Municipalité de la paroisse de Saint-Cyrille-de-Lessard[1], la juge administrative Myriam Bédard est venue confirmer un principe extrêmement important pour les fonctionnaires municipaux, alors qu’elle était saisie d’une plainte de harcèlement psychologique, de pratique interdite et de destitution d’une directrice générale et secrétaire-trésorière d’une petite municipalité.
I. Faits
En janvier 2007, la plaignante, madame Godbout, devient directrice générale et greffière-trésorière de la Municipalité qui compte quelque 800 habitants. Il y a quatre employés qui travaillent à la Municipalité. Depuis son entrée en fonction, elle a toujours travaillé avec le maire. Le maire travaillait à la quincaillerie exploitée par le conjoint de la plaignante dans la localité voisine. Les relations de travail entre les employés sont excellentes et tout se fait dans le respect.
En 2017, la quincaillerie de la Municipalité ferme ses portes et le conjoint de madame Godbout acquiert le fonds de commerce dans le cadre des activités de sa propre entreprise. Plusieurs citoyens ont vu cet élément comme étant très négatif et des rumeurs se sont enflammées dans la Municipalité à l’effet que le maire (qui est employé de la quincaillerie acheteuse) et la directrice générale faisaient partie d’un complot.
En novembre 2017, lors des élections municipales, une nouvelle équipe se présente. C’est à ce moment que les problèmes débutent.
Le déroulement des événements peut être résumé comme suit :
- Un nouveau conseil est élu. La plupart des membres qui le composent ont déjà eu un différend avec la Municipalité. De plus, ceux-ci ne sont pas au fait des rôles et responsabilités de chacun prévus au Code municipal. Ceci sera un élément important dans la décision;
- Dès le lendemain des élections, les élus exigent de nombreuses informations et les clés des bureaux de l’hôtel de Ville. La plaignante considère que c’est elle qui a la responsabilité des biens municipaux et des archives, et ce, tel que le prévoit le Code municipal. Seules la plaignante et la mairesse devraient avoir les clés et non l’ensemble du conseil;
- Le vendredi 10 novembre 2017, alors que la plaignante explique la façon de procéder à la mairesse (budget, résolution, etc.), la mairesse souligne que son équipe est au pouvoir maintenant et que c’est leur façon de fonctionner. Elle lui mentionne que si cette situation ne lui convient pas, elle peut quitter;
- Le 13 novembre 2017, les élus réunissent tous les employés afin de les rassurer pour mettre fin aux rumeurs qui courraient à l’effet que des fins d’emploi seraient annoncées pour tous les salariés. À la suite de cette rencontre, les élus discutent avec la plaignante et il est question de la préparation d’un organigramme incluant les élus qui se sont attribués des fonctions. Or, la plaignante souligne qu’il n’est pas possible que ceux-ci effectuent des tâches. Les élus concluent que les remarques de la plaignante signifient qu’elle est réfractaire au changement;
- Le 15 novembre 2017, soit une semaine après l’arrivée du nouveau conseil, un courriel est transmis à madame Godbout. Le courriel fait référence à un article paru dans un journal faisant état d’une directrice d’une municipalité congédiée après avoir donné des contrats à une entreprise dont elle était propriétaire et un autre à un membre de sa famille. Pour la plaignante, ceci est un geste d’intimidation. Il constitue un message des nouveaux élus qui croient que la directrice générale a agi de façon illégale, faisant référence à l’entreprise de son conjoint;
- Le 23 novembre 2017, soit deux semaines après leur élection et neuf jours après leur prestation de serment, lors d’une réunion, le responsable des ressources humaines fait une série de reproches à la plaignante, tels que :
- Un comportement inadéquat;
- Une « apparence de conflit d’intérêts »;
- Un leadership démobilisateur;
- Une mauvaise attitude générale;
- Une absence de transparence.
Toujours lors de cette rencontre, elle est informée qu’aucune récidive ne sera permise et qu’une politique « tolérance zéro » sera appliquée. À la fin de la rencontre, une mise en garde est faite : « la récréation est terminée », « la cloche a sonné » et toute insubordination aura des conséquences. Finalement, la plaignante reçoit une lettre d’avertissement;
- En décembre 2017, des demandes détaillées sont faites et des instructions sont données de façon autoritaire à la plaignante, le tout assorti de délais et d’échéances stricts;
- Le 14 décembre 2018, lors d’une rencontre avec la mairesse, la plaignante apprend qu’elle est l’objet de dissensions au sein des membres du conseil municipal, ce qui commence à générer des conflits;
- Le 15 décembre 2017, un événement survient à la fête annuelle de la Municipalité. Un échange survient et fait culminer la situation. Madame Godbout expédie un courriel au responsable des ressources humaines qui dit :
« Pour ce qui est de […], je ne t’ai pas donné la bonne information hier lors de notre discussion. Oui on lui a donné un montant mais c’est en 2014. Tu en trouveras la preuve à la pièce attachée. L’an dernier c’est […] et moi qui lui avons fait un cadeau et on l’a payé de notre poche car elle avait été là du vendredi au dimanche car nous n’avions trouvé personne pour le bar à Place OTJ. Son cadeau, je l’avais acheté au Salon des Artisans et c’est une sacoche de Marie Sacoche. Tu peux confirmer avec […] si tu veux mais pas aujourd’hui son père est décédé hier soir. »
La réponse du conseiller est la suivante (le tribunal la qualifie de brutale) :
« Ha oui tu n’as pas trouvé personne pour la remplacer l’année passé. Foutaise moi j’ai travaillé au bar avec elle et je t’avais demandé en réunion 1 semaine avant as tu besoin d’un autre personne pour le bar ta réponse et toujours avec ton beau sourire, j’ai toute mon monde. Le snow fête avant un gros party de famille. Maudit ça fait du bien comme j’ai dit la récréation est TERMINÉ. »
- C’est à ce moment que madame Godbout quitte la Municipalité.
II. Plaintes déposées
À la suite de ces événements, madame Godbout dépose plusieurs plaintes, soit :
- Une plainte pour harcèlement psychologique;
- Une plainte en vertu de l’article 122 de la Loi sur les normes du travail;
- Une plainte pour destitution.
Aussi, la plaignante a fait une réclamation pour accident du travail. Il est important de noter que la division de la santé et de la sécurité du travail du Tribunal administratif a déclaré que madame Godbout a subi une lésion professionnelle le 15 décembre 2017[2].
III. Décision
La décision est divisée selon le type de plainte. Nous allons étudier chacune des plaintes.
1. Plainte à l’encontre du harcèlement psychologique
Le tribunal conclut, et ce, en raison de la décision rendue par la division en santé du travail, qu’il y a eu harcèlement psychologique. Il accueille la plainte.
2. Plainte en vertu de la pratique interdite article 122 de la Loi sur les normes du travail
La plainte alléguait une pratique interdite résultant de l’exercice d’un droit, soit celui de s’absenter au travail pour cause de maladie. La plainte est rejetée, étant donné que l’article 79.1 de la Loi sur les normes du travail prévoit que l’article ne trouve pas application s’il y a lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Ainsi, la plainte est rejetée.
3. Plainte de destitution en vertu de l’article 267.0.1 du Code municipal du Québec
Pour la Municipalité, celle-ci allègue que madame Godbout n’a jamais été destituée, tel que cela a été expliqué et que celle-ci a orienté sa carrière. Quant à la plaignante, celle-ci prétend avoir été forcée de partir puisque ses conditions d’emploi étaient devenues intenables.
Après avoir cité de nombreuses décisions, le Tribunal arrive à la conclusion que le rôle premier d’une fonctionnaire responsable de l’administration d’une Municipalité consiste seulement à diriger les activités de la Municipalité et à faire le pont entre les élus et les autres fonctionnaires et employés municipaux dont elle est la supérieure. La directrice générale relève du conseil et non du maire, qui exerce tout de même un « droit de surveillance, d’investigation et de contrôle sur les affaires et les officiers de la municipalité ».
La distinction entre les rôles de chacun a été discutée par la Cour supérieure dans plusieurs décisions, dont la décision Alain c. 3104-2955 Québec inc.[3] qui prévoit ce qui suit :
« [46] Le maire, en intervenant suite à une plainte d’un citoyen relativement à l’utilisation du gravier de l’assiette du chemin et dans l’application du règlement, ne s’est pas mêlé de ses affaires.
[47] La preuve révèle qu’il a maintenu une administration centralisée entre ses mains. Il incarnait le pouvoir municipal. Comme chef du conseil, c’est l’article 142 du Code municipal qui définit ses pouvoirs et qui lui dicte son devoir :
« Le chef du conseil exerce le droit de surveillance, d’investigation et de contrôle sur les affaires et les officiers de la municipalité, […], veille à l’accomplissement fidèle et impartial des règlements et des résolutions […] ». »
Or, le nouveau conseil municipal arrive en poste le 5 novembre 2017 et s’immisce aussitôt dans la gestion quotidienne des activités. La volonté d’inscrire les élus à l’organigramme, par exemple, révèle cette intention, tout comme les différentes interventions des élus dans les dossiers relevant de l’administration. Le conseil municipal n’exerce plus seulement le pouvoir politique, mais aussi le pouvoir administratif dévolu à la direction générale par le Code municipal du Québec. Ce faisant, il procède à une destitution déguisée en ce qu’il prive la directrice générale de sa « charge, de sa fonction ou de son emploi » qui est de diriger et contrôler les activités de la Municipalité.
Qui plus est, il faut ajouter que le comportement des élus à l’égard de la directrice générale et greffière-trésorière ne lui a laissé d’autre choix que de se retirer du travail.
Selon le tribunal, les accusations et reproches non étayés à l’encontre de la plus haute fonctionnaire de la Municipalité portent directement atteinte à sa crédibilité, la privant du coup de la possibilité d’exercer pleinement ses fonctions, ce qui constitue une destitution.
Ainsi, la Municipalité est condamnée à verser des dommages moraux et punitifs ainsi qu’une indemnité de perte d’emploi de 12 mois.
IV. Conclusion
Cette affaire souligne l’importance de maintenir une séparation claire entre les responsabilités politiques et administratives au sein des gouvernements municipaux, afin de protéger non seulement les employés municipaux de la destitution injustifiée, mais aussi de préserver l’intégrité et l’efficacité de l’administration municipale.
- 2023 QCTAT 4929.
-
2021 QCTAT 3703.
- 2001 CanLII 11766 (QC CS).