La description des besoins en termes de performance ou de fonctionnalité : l’interprétation du TCCE
1. Contexte
Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur les contrats des organismes publics[1], plusieurs principes découlant des accords de libéralisation sont, par référence, applicables aux organismes publics, sans autre formalité :
2. Dans le respect de tout accord intergouvernemental applicable aux organismes publics, les conditions déterminées par la présente loi visent à promouvoir: […]
4° la mise en place de procédures efficaces et efficientes, comportant notamment une évaluation préalable des besoins adéquate et rigoureuse qui tienne compte des orientations gouvernementales en matière de développement durable et d’environnement; […]
Pour l’application de la présente loi, on entend par «accord intergouvernemental» un accord de libéralisation des marchés publics conclu entre le Québec et un autre gouvernement ou auquel le Québec, en application de la Loi sur le ministère des Relations internationales (chapitre M-25.1.1), s’est déclaré lié.
Ces principes obligent les organismes publics à décrire leur besoin en termes de performance et de fonctionnalité :
Il appartient à l’organisme public de spécifier dans les documents d’appel d’offres les matériaux ou les systèmes de construction qui sont requis. Toute spécification doit se faire du point de vue de la performance plutôt que de celui des caractéristiques descriptives. N’est considéré comme performant que le matériau ou le système qui répond au résultat attendu et qui permet aux entrepreneurs de présenter des produits de qualité similaire. La référence à une marque, idéalement à plusieurs, n’est valable que pour simplifier ou clarifier la rédaction d’un devis lorsqu’il existe des équivalents concurrentiels possibles. Les documents d’appel d’offres devront clairement prendre en considération ces équivalents, s’ils satisfont aux exigences du marché, en utilisant l’expression « ou équivalent ».[2]
La législation municipale ne prévoyait alors aucune contrainte à ce chapitre.
Au contraire, nos tribunaux ont longtemps reconnu une large discrétion aux organismes municipaux pour définir leurs besoins, allant jusqu’à leur reconnaître le droit de choisir un fabricant en particulier. En effet, une jurisprudence constante adoptait le raisonnement suivant :
[…] [L]e conseil d’une ville a le libre exercice de ses moyens administratifs et dans le cadre de ses pouvoirs, il a la faculté d'exercer un choix à la faveur d'un appareil et d'une marque particulière, dépendant de ses besoins, en autant qu'il fasse appel, par avis public, à tous ceux qui pourraient éventuellement l'offrir. Il n'est pas limité par la nature de la chose mais par les moyens de l'acquérir. [3]
Or, le 19 avril 2018, entrait en vigueur le projet de Loi 155 - Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal et la Société d’habitation du Québec[4]. Cette loi introduit notamment l’article 573.1.0.14 à la Loi sur les cités et villes (ci-après « LCV »), modification qui donne suite à l’une des recommandations no 5 de la Commission Charbonneau. Cette recommandation s’inspire d’une règle contenue dans différents accords de libéralisation des marchés qui n’avait jusqu’alors jamais été introduite dans les lois municipales québécoises[5].
À sa face même, depuis avril 2018, l’article 573.1.0.14 LCV ne permet plus aux organismes municipaux d’exercer un choix à la faveur d’une marque particulière dans le cadre d’un appel d’offres; l’ouverture à la concurrence, sans restriction, doit avoir préséance[6]. Toutefois, les acteurs de la gestion contractuelle ont mis du temps à réaliser pleinement les incidences de cette nouvelle disposition. Pour plusieurs, il s’agit d’une onde de choc qui heurte les pratiques bien ancrées et qui entrave les méthodes de travail.
Ces difficultés sont exacerbées par le fait que les personnes impliquées dans la définition du besoin ignorent encore aujourd’hui l’existence de cette nouvelle règle.
Afin de nous éclairer sur le sujet nous avons consulter et analyser les décisions du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) qui nous enseigne sur la manière de décrire les besoins déjà prévue par les accords de libéralisation des marchés publics.
2. Performance et fonctionnalité : le point de vue du TCCE
La loi ne définit pas les notions de « performance » et de « fonctionnalité ».
Par opposition à l’identification d’un modèle ou d’un fabricant, une description en termes de performance ou de fonctionnalité implique un énoncé neutre du besoin, sans référence à des caractéristiques descriptives de ce modèle proposé par le fabricant. Elle repose sur un résultat attendu ou la description du besoin[7].
Il s’agit bien plus qu’une question de formulation; elle fait appel parfois à la capacité de l’organisme à développer des indicateurs de performance, objectifs et vérifiables et une description simple et exhaustive des fonctionnalités recherchées.
Dans l’affaire Waters Chromatography Limitée[8], le TCCE reformule en critère de performance les caractéristiques descriptives utilisées pour l’acquisition d’un équipement de laboratoire. Bien qu’un peu longue, cette citation présente un grand intérêt :
Voici quelques exemples de ces justifications :
1. Dans les spécifications, on exigeait la fourniture d'une [TRADUCTION] «pompe de mélange à haute pression, à gradient ternaire, munie d'un seul piston». La justification présentée à l'égard de cette condition essentielle est, de fait, exprimée dans la perspective de la performance du produit, où la fiabilité du système et la simplicité des méthodes d'entretien périodique que devra appliquer l'opérateur constituent des éléments importants. On note également, dans cette justification, que l'exigence relative à la fourniture d'une pompe munie d'un seul piston découle d'une observation selon laquelle les défaillances des pistons sont une cause fréquente des pannes des systèmes de CLHP. Or, en exigeant que la pompe ne soit munie que d'un seul piston, on réduit le nombre de pièces mobiles ce qui, il faut en présumer, accroît la fiabilité de la pompe. Cependant, le besoin réel, c'est un degré élevé de fiabilité et c'est cette propriété d'emploi qui aurait dû être consignée dans les spécifications.
Pour l'entité acheteuse, la difficulté que pourrait poser la formulation en ces termes de cette condition consisterait à mettre au point des indicateurs de fiabilité afin de mesurer le degré de fiabilité de chacun des produits proposés par les soumissionnaires. De tels indicateurs ne semblent pas avoir été arrêtés, à tout le moins, on ne les précise pas dans les spécifications. On a plutôt pris la décision, avant de lancer l'appel d'offres ouvert, d'opter pour une pompe munie d'un seul piston afin d'obtenir le degré de fiabilité souhaité et, par conséquent, cette caractéristique particulière a été retenue à titre de condition essentielle. Cette façon de procéder pourrait, évidemment, avoir pour effet d'écarter du processus tous les fournisseurs potentiels de pompes de conception différente même s'il pouvait faire la preuve, sans conteste, que leur pompe est plus fiable qu'une pompe munie d'un seul piston. Par conséquent, le besoin réel du ministère client n'est pas précisé dans les spécifications, sans oublier qu'il aurait été possible de l'exprimer autrement et de façon intelligible.
2. De la même façon, en ce qui concerne l'exigence selon laquelle il devait s'agir d'une pompe de mélange à haute pression, la justification donnée est tout simplement la suivante : [TRADUCTION] «la capacité d'effectuer des mélanges à haute pression est absolument essentielle». On y trouve également l'affirmation suivante : [TRADUCTION] «Le CRA ne parvient pas, au moyen du matériel dont dispose à l'heure actuelle, à effectuer les analyses requises de la vitamine B2. Après avoir consacré plusieurs milliers de dollars à sa réparation, le CRA ne dispose toujours pas d'un système de CLHP adapté à l'exécution de telles analyses. Les préposés à l'entretien en cause ont souvent affirmé que le noeud du problème découle du dégazage insuffisant des solvants. En utilisant une pompe de mélange à haute pression, il ne s'avère plus nécessaire de dégazer les solvants.»
Encore une fois, la justification est formulée en des termes clairs dans la perspective de la performance du produit : le client veut un appareil capable d'exécuter des analyses de la vitamine B2. Et, encore une fois, une décision a été prise avant le lancement de l'appel d'offres ouvert, à savoir que la conclusion à laquelle étaient arrivés les préposés au service devait être valable et que c'était le dégazage insuffisant des solvants qui était à la source du problème. Par conséquent, les intéressés ont convenu de faire de la capacité de mélange à haute pression une condition essentielle car, grâce à cette capacité, le problème était réglé. Peut-être est-il juste de faire une telle affirmation, mais en procédant ainsi, on écarte tout autre produit qui, moyennant une approche différente, aurait permis de résoudre le problème – même s'il était en mesure de satisfaire le besoin réel, à savoir effectuer des analyses de la vitamine B2. Évidemment, la difficulté à laquelle serait alors confrontée l'entité acheteuse c'est qu'elle devrait mettre à l'épreuve les autres appareils proposés afin d'établir s'ils sont en mesure d'effectuer les analyses en question. Plutôt, les responsables semblent être parvenus à la conclusion (encore une fois, avant le lancement de l'appel d'offres ouvert) que l'un des produits parmi ceux vendus sur le marché pouvait, de fait, effectuer les analyses requises et c'est ce produit qu'ils ont mentionné dans les spécifications – en se fondant sur le critère du mélange à haute pression – à titre de condition essentielle. Malgré tout, il aurait été de fait possible d'exprimer le besoin réel en des termes intelligibles.
3. Il est précisé, dans les spécifications, que le produit recherché [TRADUCTION] «doit être muni d'une soupape de retenue d'entrée à commande mécanique et non d'une soupape à bille». La justification proposée est fort simple [TRADUCTION] «Il est absolument essentiel d'éliminer les problèmes attribuables aux phénomènes de cavitation éprouvés par le passé (se reporter ci-dessus). Il a été établi que les soupapes de retenue d'entrée à commande mécanique exigent moins d'entretien que les soupapes à bille, réduisant ainsi les temps d'arrêt et les frais d'entretien.» Encore une fois, le besoin réel concerne la résolution des problèmes imputables aux phénomènes de cavitation et la réduction des frais d'entretien (il s'agit manifestement, encore une fois, d'accroître la fiabilité). Cependant, dans les spécifications, ce besoin est exprimé en se reportant à une caractéristique bien précise d'un produit. Or, sont encore une fois écartés du processus tous les produits ne justifiant pas de cette caractéristique peu importe les attestations que pourraient présenter son fabricant concernant la cavitation ou la fiabilité.
De même, une caractéristique qui reprend la conception d’un équipement en particulier sera généralement suspecte, même si le texte n’identifie pas la marque ou le nom du fabriquant expressément. Dans l’affaire Halkin Tool Ltd.[9], le TCCE devait déterminer si les exigences suivantes constituaient des énoncés génériques :
2. Spécifications techniques obligatoires
La proposition doit comprendre tous les éléments suivants :
[...]
2.1 Le système de presse-plieuse doit comprendre les éléments suivants :
[...]
2.1.2 Vérins hydrauliques montés sur chape et chargement axial afin de concentrer les contraintes de fonctionnement dans le bâti principal de façon à éliminer le grippage des vérins et des pistons et, par conséquent, à réduire les fuites;
[...]
2.1.17 Les vérins avec des tiges de piston trempées et rectifiées sont montés sur chape avec chargement axial;
Remarque : ces exigences ont pour objet de concentrer les contraintes de fonctionnement dans le bâti principal de façon à éliminer le grippage des vérins et des pistons et, par conséquent, à réduire au minimum les fuites des vérins et des pistons.
Malgré cette dernière « Remarque » qui évoque le résultat attendu, le TCCE conclut que cette façon de décrire le besoin ne respecte pas l’ALÉNA :
31. Selon Halkin, les exigences obligatoires relatives à l’invitation en cause n’étaient pas énoncées en termes de critères de rendement, mais elles visaient plutôt un modèle ou un type particulier, soit avec vérins montés sur chape et chargement axial. Par ailleurs, TPSGC est d’avis que les exigences obligatoires sont conformes aux besoins opérationnels légitimes du MDN, qu’elles ont un caractère générique et qu’elles ne sont pas propres à un modèle en particulier.
32. Selon le Tribunal, les exigences énoncées dans les spécifications techniques obligatoires 2.1.2 et 2.1.17 désignent un modèle ou un type en particulier et ne peuvent être réputées avoir un caractère générique. Il est clair pour le Tribunal qu’en faisant mention des vérins hydrauliques montés sur chape et du chargement axial, TPSGC faisait référence à un modèle ou des caractéristiques descriptives relatives au produit dont il voulait faire l’acquisition plutôt que d’énoncer des critères de rendement qu’il cherchait à respecter au moyen de ce type de modèle, même si ce dernier est bien connu dans l’industrie.
33. TPSGC a annexé à son RIF une lettre datée du 28 janvier 2010 signée par un employé du MDN (un ingénieur) qui a participé à l’élaboration des spécifications techniques relatives à l’invitation en cause; dans cette lettre, l’employé soutient que les concepts de vérins hydrauliques montés sur chape et de chargement axial ne sont pas propres à un modèle en particulier. Cependant, le Tribunal souligne que, malgré cette allégation, la lettre comprend les passages suivants : « [...] l’utilisation du montage sur chape permet une conception de qualité supérieure [...] » [traduction] et « [l]’installation des vérins directement au-dessus du bélier dans la construction à chargement axial permet une conception simplifiée [...] » [traduction]. Ces passages ne font que renforcer l’impression du Tribunal selon laquelle les exigences énoncées dans les spécifications techniques obligatoires 2.1.2 et 2.1.17 désignent un modèle ou un type en particulier.
34. En n’incorporant pas des termes comme « ou l’équivalent » dans ses spécifications, tel que requis par le paragraphe 1007(3) de l’ALÉNA et les dispositions semblables des autres accords commerciaux pertinents , des presses-plieuses hydrauliques fondées sur d’autres modèles, qui peuvent possiblement satisfaire aux besoins opérationnels du MDN, sont exclues du processus d’évaluation de TPSGC. Le Tribunal conclut que cette omission crée ou a pour effet de créer un obstacle non nécessaire au commerce.
Par ailleurs, en matière de solutions impliquant des composantes technologiques, l’interopérabilité, lorsque largement définie, est un critère de performance et non une spécification restrictive. Il s’agit également d’une exigence légitime en regard des principes prévus aux accords, comme le souligne le TCCE dans l’affaire Bajai Inc.[10] :
En ce qui concerne l'inquiétude de Bajai à propos des solutions de module d'extension, le Tribunal accepte les observations de TPSGC selon lesquelles l'obligation de la section 6.1.1 de l'appendice « B » de la DP n'est pas limitée à une solution de module d'extension, étant donné qu'il est clair que le terme « interopérabilité » peut signifier soit que 1) la solution fonctionne indépendamment des dispositifs énumérés, mais sans interférer avec ceux-ci, ou que 2) la solution interagit directement avec eux, c'est-à-dire qu'il s'agit bel et bien d'un module d'extension. Par conséquent, le Tribunal n'estime pas que cette obligation ait favorisé le produit de Websense.
En ce qui concerne la plainte de Bajai relative à l'exigence que la solution pour le filtrage des sites Internet puisse fonctionner avec les pare-feu Cisco PIX et son allégation que Websense a une relation exclusive avec Cisco PIX et que c'est le seul produit qui puisse satisfaire à cette exigence, le Tribunal conclut que ce motif de plainte n'est pas fondé. Dans le RIF, TPSGC a indiqué que l'argument de l'exclusivité de Websense était sans fondement. Lorsque le Tribunal lui a demandé s'il serait possible pour un fournisseur d'offrir une solution qui ne soit pas la solution Websense, qui puisse interopérer avec les pare-feu Cisco PIX et qui satisfasse aux exigences de l'invitation, TPSGC a indiqué que, une fois l'évaluation technique terminée, il y avait eu trois propositions conformes à cette exigence obligatoire et dont les solutions techniques étaient différentes de celle de Websense. TPSGC a inclus la documentation technique pertinente à sa réponse pour appuyer son argument . Même si, à l'origine, la documentation technique incluse avec le RIF portait sur un autre logiciel et non pas sur Cisco PIX, les documents supplémentaires inclus par TPSGC dans sa réponse subséquente appuient son argument que le pare-feu Cisco PIX est suffisamment polyvalent pour être compatible avec divers types de logiciels. Le Tribunal est également convaincu par l'explication fournie par TPSGC selon laquelle Cisco PIX est l'un des trois leaders sur le marché dans ce domaine et que la solution pour le filtrage des sites Internet doit pouvoir fonctionner dans un vaste éventail d'environnements réseau, actuels et potentiels. Par conséquent, la solution retenue par TPSGC doit pouvoir « interopérer » avec d'autres logiciels qui pourraient se trouver dans divers ministères et agences du gouvernement. Le Tribunal est donc convaincu qu'il s'agit d'une exigence opérationnelle légitime et non pas d'une spécification partiale.
Dans l’affaire Cabletron Systems of Canada Ltd.[11], le TCCE devait déterminer si les caractéristiques recherchées par TPSGC pour des composantes réseau constituaient des critères de performance et respectaient les dispositions de l’ALÉNA. Des caractéristiques qui n’imposent pas de conception particulière mais reposent sur la configuration des installations existantes et les besoins futurs de l’organisation sont fondées sur le rendement, selon le TCCE :
Quant au débit que permet le fil (article 5.3.2), à la perte de blocs (article 5.3.3), à la compatibilité avec un fournisseur donné (article 5.2.11), aux 60 000 blocs par seconde (article 5.3.5), au commutateur de dérivation optique (article 5.2.10) et à la sélection de densité de port (article 5.0), le Tribunal conclut qu’il s’agit de spécifications fondées sur le rendement résultant soit de la configuration des systèmes actuels et des charges de travail, soit des besoins futurs prévus soit de l’ensemble de ces facteurs. Certains des critères de rendement sont étayés par de la documentation indépendante sur les essais de produits dont l’achat est recherché. En fait, la documentation fournie par le plaignant indique qu’au moins neuf fournisseurs peuvent respecter l’exigence relative à la perte de blocs. De l’avis du Tribunal, le Ministère a fait tous les efforts raisonnables pour conserver l’ampleur de la portée de ces critères de manière à inclure un aussi grand nombre de fournisseurs que possible sans toutefois atténuer ses exigences. Le Tribunal estime qu’aucun élément de preuve ne montre que le fait d’avoir établi la Spécification de cette manière consiste en une violation de l’ACI ou de l’ALÉNA.
Concernant les RLV (articles 5.2.14, 5.2.17, 5.2.18, 5.4.11 et 5.4.12), le Tribunal conclut que cette exigence est également liée au rendement et qu’elle repose sur une justification raisonnable du Ministère. Même s’il n’existe pas de norme industrielle dans ce domaine, le Ministère n’a pas spécifié un ensemble particulier de caractéristiques de conception, mais a plutôt laissé aux fournisseurs la latitude d’indiquer comment ils respecteraient cette exigence. Le Tribunal conclut que la formulation de cette exigence ne constituait pas une violation de l’ACI ni de l’ALÉNA. [Nos soulignements]
Fait intéressant, la démonstration faite par l’organisme qu’un nombre important de fournisseurs est susceptible de participer au marché convainc le TCCE du respect des exigences de l’ALÉNA.
Inversement, les moyens, méthodes ou procédés pour parvenir au résultat attendu ne réfèrent pas à la performance. Dans l’affaire StorageTek Canada inc.[12], le TCCE considère que les propriétés relatives à la conception sont étrangères à la performance :
Ayant examiné avec soin les éléments de preuve, le Tribunal est d'avis que l'article 1.2.8 des exigences techniques, tel que modifié (l'exigence obligatoire invoquée pour déclarer la soumission de StorageTek non conforme) est rédigé de façon à préciser les propriétés relatives à la conception et établit précisément comment la fonction de restauration autonome doit être exécutée, c'est-à-dire en utilisant seulement des unités virtuelles. Avant que le Ministère ne dépose sa réponse à la question 8, ce qu'il a fait le 18 février 2000, il n'était nullement mentionné que le système sur bande virtuel, qui faisait l'objet de la DP, devait comprendre nécessairement une unité virtuelle. Ni la GRC, ni quiconque, n'a en aucun temps laissé entendre qu'un système d'entreposage sur bande virtuel, par déduction nécessaire, doit comprendre une unité virtuelle. De toute évidence, ce n'est pas ce que StorageTek a compris.
Le Tribunal n'est pas convaincu que la GRC ne puisse exprimer son besoin en termes de rendement plutôt que de conception. Il doit exister un rendement spécifique que la GRC désire atteindre lorsqu'elle précise une conception particulière (c.-à-d. des unités virtuelles), et c'est ce rendement précisément qui doit être décrit dans la DP. Il se peut fort bien que, pour des raisons de rendement, une unité virtuelle soit le seul appareil pouvant répondre aux besoins de la GRC. Il faudra toutefois que cette situation soit clairement formulée et adéquatement énoncée dans la DP. Le Tribunal conclut que, contrairement à l'article 1007 de l'ALÉNA, l'actuelle formulation de l'article 1.2.8 du cahier des charges, tel que modifié, se rapporte à une conception particulière et, en tant que telle, pose ou a pour effet de poser un obstacle inutile au commerce.
3. Conclusions
De ce qui précède, nous pouvons tirer les constats suivants :
- La performance reposera sur des éléments quantifiables ou mesurables, telles la puissance, la capacité, la charge, la force, la pression, la vitesse, etc.
- Quant aux fonctionnalités, elles peuvent s’exprimer en termes de commodités, de dimensions, d’attributs particuliers ou tout autre élément répondant au besoin exprimé.
- La performance attendue ou les fonctionnalités recherchées ne doivent pas faire référence à la manière, au concept, au design, à la solution retenue ou la méthodologie pour atteindre le résultat attendu[13]. Elles reposent sur des concepts génériques ou des propriétés d’emploi.
En définitive, la description en termes de performance ou de fonctionnalité présente certains avantages.
D’une part, l’établissement d’une norme minimale de performance ou l’énoncé de fonctionnalités qui reflètent les besoins opérationnels est une prérogative des organismes et, par conséquent, les tribunaux feront preuve de réserve avant d’en réviser l’opportunité[14].
D’autre part, les soumissions reçues qui ne satisfont pas aux exigences de performance ou ne comportent pas les fonctionnalités souhaitées seront simplement rejetées pour non-conformité, sans autre formalité.
- RLRQ c. C-65.1
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Spécifications de matériaux ou de systèmes de construction dans les documents d'appel d'offres - RCTC. 5-1 (28 octobre 2010)
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Les Équipements Diésels Abitibi Inc. c. Ville de Val D'Or, [1981] C.S. 434, cité avec approbation dans Camion Freightliner Mont-Laurier inc. c. St-Aimé-du-Lac-des-Îles (Municipalité de), 2014 QCCQ 12090 ; Soprema inc. c. Commission scolaire du Chemin-du-Roy, 2009 QCCS 3018; Meclox inc. c. Société de transport de l'Outaouais, 2011 QCCS 2789.
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L.Q. 2018 chapitre 8.
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Voir à titre d’exemple : Accord de libre-échange canadien (ALEC), art. 509, https://www.cfta-alec.ca; GOUVERNEMENT DU CANADA. (2016). Texte de l'Accord économique et commercial global – Table des matières, [En ligne]. http://www.international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/ceta-aecg/text-texte/toc-tdm.aspx?lang=fra (13 septembre 2018).
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En spécifiant une marque ou le non du fabricant sans possibilité de soumettre un produit de remplacement, les spécifications restreignent indûment l’appel d’offres. Re plainte de Lexmark Canada inc. (12 avril 2001) PR-2000-070, (TCCE); Recommandation 2020-08 formulées au conseil municipal de la Ville de Trois-Rivières concernant la demande de soumissions 1404731, 11 novembre 2020.
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National Institute of Governmental Purchasing, Public Porcurement Practice, Specification, 2016, http://www.nigp.org/docs/default-source/new-site/global-best-practices/specifications-practice-final-version.pdf?sfvrsn=8799317c_0 ; Idaho. Dept. of Administration. Division of Purchasing. Guidelines for Writing Effective Specifications. Boise: Idaho, Dept. of Admin, Div. of Purchasing, Aug. 2010.
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E91PRF6601-021-0022 (TCCE).
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Halkin Tool Ltd, 2010-05-03, PR-2009-066 (TCCE).
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Bajai Inc [2003] C.I.T.T. No. 73.
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Cabletron Systems of Canada Ltd [1996] C.I.T.T. No. 48.
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Storage Tek Canada inc., 2000-06-13, PR-99-050 (TCCE).
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COGNOS Inc. (Re), [2002] C.I.T.T. No. 13.
- FLIR Systems Ltd., PR-2001-077 (TCCE).