Primes d’assurance et paiements incitatifs: la fin d’un stratagème
En mars dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision[1] modifiant celle rendue par la juge de première instance qui avait rejeté l’appel de deux nouvelles cotisations fiscales ajoutant des revenus additionnels de 250 000 $ pour l’année 2008 et de 44 250 $ pour l’année 2009 à l’encontre de l’appelant, M. Verrier.
Les montants visés par les cotisations représentent des paiements reçus par l’appelant d’un courtier en assurance, afin qu’il souscrive à une police d’assurance vie dite «universelle» de la Financière Manuvie, offrant à la fois une protection d’assurance vie et un placement financier avec un traitement fiscal privilégié.
Du côté de l’Agence du revenu du Québec (ARQ), la position était à l’effet qu’il s’agissait de paiements incitatifs faisant partie du revenu de l’appelant pour les années visées en vertu du paragraphe 87w) LI. L’appelant soutenait plutôt que les conditions d’application de ce paragraphe n’étaient pas rencontrées.
La Cour d’appel a accueilli l’appel en partie.
Dans cette affaire, l’appelant s’était laissé convaincre par un courtier d’assurance, Guillaume Chabot (Chabot), de participer à un stratagème lui permettant de souscrire à une police d’assurance vie universelle à coût nul pour l’appelant.
La police visait un volet assurance vie et un volet placement. Cette police offrait des avantages fiscaux importants du fait que les revenus générés au sein du compte de placement n’étaient pas imposables annuellement.
Considérant que les coûts pour ce type de contrats étaient élevés, les commissions versées aux courtiers étaient considérables.
Le stratagème mis sur pied par Chabot, visant à lui obtenir de généreuses commissions, permettait à Chabot de rembourser à ses clients les versements minimaux requis pour maintenir le contrat en vigueur pour les premières années, puisqu’elles étaient moindres que les commissions versées. Les remboursements étaient faits par Chabot ou l’une de ses sociétés le temps requis afin que les commissions deviennent acquises. Après cette période, le client pouvait choisir de cesser les versements à l’assureur, ce qui menait à la déchéance du contrat, comme il pouvait tout aussi bien continuer les versements afin de maintenir en vigueur le contrat. Dans le présent cas, l’appelant a cessé les versements aux assureurs dès que ladite période s’est terminée.
L’appelant a souscrit auprès de la Financière Manuvie au contrat portant le numéro 8424752 entré en vigueur le 28 janvier 2008 (le Contrat). En vertu du Contrat, l’appelant devait verser mensuellement à l’assureur un montant minimal de 24 862,31 $, et dans les faits, l’appelant versait environ 25 000 $ mensuellement.
L’assureur devait utiliser ces versements mensuels à deux fins principales, soit:
- couvrir les coûts d’une assurance vie d’une couverture de plus de 5 000 000 $ pour l’appelant, mais dont le montant pouvait s’accroître avec les années; et
- déposer le solde des versements dans un compte de placement au nom de l’appelant, lequel était alors investi par l’assureur dans des placements selon les instructions du client, tels que des dépôts garantis à intérêts simples ou composés ou des portefeuilles indiciels de placements boursiers.
Le Contrat prévoyait aussi qu’à compter du cinquième anniversaire, l’assureur versait un boni annuel, établi sur la valeur moyenne des comptes pour les 12 mois précédents, calculé selon un taux d’intérêt garanti.
Le Contrat prévoyait également que l’appelant ne pouvait exercer un droit de rachat pendant les deux premières années de son exécution.
La plupart des sommes versées par l’appelant ont été créditées par l’assureur dans le compte de placement, puisque les coûts pour maintenir l’assurance sur la vie de l’appelant étaient substantiellement moindres pour les premières années de son exécution. En juillet 2009, un montant total de 300 000 $ a été versé à l’assureur et 195 972,29 $ fut crédité par l’assureur dans le compte de placement.
En 2009, suivant les avis des régulateurs, Chabot a cessé de rembourser les sommes à l’appelant qui lui, a cessé d’effectuer des versements auprès de l’assureur en vertu du Contrat. Dans ces circonstances, appliquant le test de déchéance, l’assureur a mis fin au Contrat sans remettre à l’appelant les montants crédités dans son compte de placement.
Le stratagème de Chabot a fait l’objet de diverses enquêtes qui ont mené à sa radiation permanente de la Chambre de la sécurité financière et à la radiation de l’inscription de ses sociétés dans toutes les disciplines dans lesquelles elles étaient inscrites.
Le stratagème illicite a aussi conduit l’ARQ à vérifier ses conséquences fiscales, ce qui a engendré de nouvelles cotisations pour de nombreux clients de Chabot, dont l’appelant.
En décembre 2015, l’ARQ a émis de nouvelles cotisations, ajoutant un montant de 250 000 $ à ses revenus de l’année 2008 et de 44 250 $ à ses revenus de 2009, invoquant que les montants qu’il a reçus de Chabot ou de ses sociétés en vertu du Contrat, constituaient des paiements incitatifs imposables en vertu du paragraphe 87w) LI.
Les dossiers de M. Verrier et des différents clients floués par Chabot ont été liés et ont été entendus de façon commune devant la Cour du Québec. Les deux questions soulevées devant cette Cour visaient la non-application du paragraphe 87w) LI et la prescription.
Le paragraphe 87w) LI prévoit qu’un contribuable doit inclure dans le calcul de son revenu provenant d’un bien pour une année d’imposition les paiements incitatifs reçus d’un tiers dans le cadre de l’exploitation de sa propre entreprise afin d’en tirer un avantage, dans la mesure où ces paiements: i) ne sont pas déjà inclus aux fins de calculer le revenu du contribuable; ou ii) déduits à cette fin dans le calcul d’un solde de débours, dépenses ou autres montants non déduits, pour l’année en cause ou une année d’imposition antérieure; ou iii) ne réduisent pas le coût ou le coût en capital du bien ou le montant du débours ou de la dépense, selon le cas, pour les fins du calcul de l’impôt; ou iv) sont autrement exclus.
La juge de la Cour du Québec a conclu que toutes ces conditions étaient remplies en l’espèce.
Quant au moyen fondé sur la prescription, la juge a conclu que l’ARQ a satisfait à son fardeau d’établir qu’elle ne s’appliquait pas en l’espèce. La juge était d’avis que l’appelant a fait une fausse déclaration par incurie en produisant ses déclarations de revenus pour 2008 et 2009. Elle conclut que l’appelant a été négligent dans son choix de participer au stratagème proposé par Chabot, le sachant illégal et sans se questionner sérieusement quant à ses conséquences fiscales. Il s’agissait selon la Cour d’un cas d’aveuglement volontaire.
La Cour a donc confirmé les avis de nouvelles cotisations pour les années 2008 et 2009.
La seule question devant la Cour d’appel visait à déterminer si le paragraphe 87w) LI s’appliquait en l’espèce. Les conclusions de fait de la juge de première instance n’ont pas été remises en question. Il fallait déterminer si la juge de première instance avait commis une erreur de droit en concluant que les montants versés à l’appelant par Chabot ou ses sociétés constituent des paiements incitatifs imposables en vertu du paragraphe 87w) LI.
Ayant peu de jurisprudence sur ce paragraphe, la Cour a fait un historique du paragraphe 87w) LI qui a été introduit en 1987 et son pendant fédéral, l’alinéa 12(1)x) LIR, adopté en 1986. La Cour a comparé les textes de loi.
Bien que les termes pertinents utilisés au paragraphe 87w) LI et à l’alinéa 12(1)x) LIR ne soient pas identiques, il s’agit de dispositions équivalentes qui doivent être interprétées de façon similaire, voire identique. La Cour a fait également un parallèle entre les versions française et anglaise. Ainsi, il fut déterminé que les conditions suivantes devaient être remplies:
- durant l’année en question, l’appelant doit détenir un bien exploité pour en tirer un revenu;
- le montant doit être versé à l’appelant en lien avec ce bien par une personne qui le lui verse en vue de tirer elle-même un revenu d’une entreprise ou d’un bien ou en vue d’obtenir un avantage pour elle-même ou pour une personne avec qui elle a un lien de dépendance;
- le montant doit être reçu à titre de paiement incitatif;
- le montant i) n’est pas déjà inclus dans le revenu de l’appelant, ou ii) déduit à cette fin dans le calcul d’un solde de débours, dépenses ou autres montants non déduits, pour l’année ou une année d’imposition antérieure, ou iii) ne réduit pas pour les fins fiscales le coût ou le coût en capital du bien ou le montant du débours ou de la dépense, selon le cas, ou iv) n’est pas autrement visé par les alinéas iii à v du paragraphe 87w) L.I.
Selon l’appelant, c’est la condition a) qui fait l’objet de l’appel. La Cour procède donc à une analyse en trois volets:
- Le Contrat est-il un bien exploité pour en tirer des revenus?
- Le fait que les revenus générés soient exemptés d’imposition tant que ceux-ci demeurent dans le compte de placement prévu au Contrat permet-il d’exclure l’application du paragraphe 87w) LI?
- Le fait que l’appelant n’a pas touché aux revenus générés en vertu du Contrat permet-il d’exclure l’application du paragraphe 87w) LI?
Le contrat est-il un bien exploité pour en tirer des revenus?
Le Contrat est un instrument financier complexe présentant une assurance vie et un compte de placement. En l’espèce, c’est l’aspect compte de placement qui prédominait, puisque près du deux tiers des versements effectués par l’appelant en vertu du Contrat ont été déposés par l’assureur au compte de placement à son nom.
La Cour d’appel indique que la juge de première instance a confondu le concept de «revenu» avec celui d’«avantage». Sans égard à la question de savoir si une simple police d’assurance vie constitue ou non un bien, ce sur quoi la Cour ne s’est pas prononcée, la couverture d’assurance sur la vie constitue un avantage pour le contribuable assuré, mais ne constitue pas un revenu aux fins du paragraphe 87w) LI.
Ni la LI ni la LIR ne définit ce que constitue un «revenu». Bien qu’il existe des définitions, il s’agit ici d’une question de droit. Par ailleurs, la détermination de ce qui constitue un revenu dans un cas donné repose sur un ensemble de facteurs, dont l’existence d’une disposition expresse de la LI commandant l’application d’un traitement précis dans certains cas, la jurisprudence dans des cas similaires, les principes comptables et les réalités commerciales.
La Cour note que dans certains cas la couverture d’assurance vie peut être considérée comme un avantage imposable pour le contribuable assuré et non comme une source de revenus. C’est le cas de l’actionnaire assuré dont les primes d’assurance vie sont assumées par sa société dans la mesure où cette dernière n’est pas la bénéficiaire ou celui de l’employé assuré dont les primes sont assumées par l’employeur (sauf exception). Dans ces deux cas, un montant équivalent aux primes d’assurance peut être ajouté aux revenus de l’actionnaire ou de l’employé comme avantage imposable reçu dans cette année. Les lois fiscales traitent donc la couverture d’assurance comme un avantage qui doit être ajouté aux revenus d’un contribuable dans certaines circonstances, mais non pas comme un revenu tiré d’un bien.
La Cour conclut donc que la couverture d’assurance prévue dans le Contrat ne constitue pas un revenu tiré d’un bien, quoique celle-ci est effectivement un avantage pour l’appelant. Cependant, en l’absence d’une disposition législative prévoyant l’inclusion de cet avantage dans le revenu de l’appelant, il ne saurait constituer un avantage imposable, tout comme les primes payées afin d’assurer la couverture d’assurance ne sauraient être déduites du revenu de celui-ci. Cet avantage ne saurait pas non plus constituer un revenu tiré de l’exploitation d’un bien au sens du paragraphe 87w) LI.
Il ne faut pas oublier que le Contrat présente également un compte de placement. Comme tout autre compte financier, le compte de placement prévu dans le Contrat constitue manifestement un bien au sens de la LI, lequel peut générer des revenus. C’est d’ailleurs la principale raison d’être des polices d’assurance universelles, puisqu’elles servent à profiter de revenus de placement jouissant d’un traitement fiscal avantageux.
La Cour conclut donc que le compte de placement prévu dans le Contrat est un bien exploité aux fins d’en tirer des revenus et qu’il est donc visé par le paragraphe 87w) LI.
Le fait que les revenus générés soient exemptés d’imposition permet-il d’exclure l’application du paragraphe 87w) LI?
Il n’est pas contesté que le Contrat fait partie de ce qui est désigné comme une police exonérée aux fins fiscales. Ainsi, les revenus générés au sein d’une police exonérée s’accumulent libres d’impôts. Il s’agit donc de «revenus exonérés» au sens de l’article 1 LI.
Lors du rachat par le contribuable d’une police exonérée, l’excédent entre, d’une part, le produit de l’aliénation résultant du rachat et, d’autre part, le coût de base rajusté de la police défini par la loi, doit être inclus dans le revenu du contribuable pour l’année dans laquelle le rachat est effectué. Ainsi, si les revenus générés dans une police exonérée ne sont pas imposés et une forme d’imposition déférée s’exerce au moment du rachat de la police. Ce ne sont pas les revenus en tant que tels qui sont imposés, mais le produit de l’aliénation calculé selon une formule fiscale particulière.
Puisque les revenus générés en vertu du Contrat sont exonérés d’impôt, est-ce que cela permet d’exclure l’application du paragraphe 87w) LI? Pour répondre à cette question, la Cour s’est penchée sur la politique fiscale visant cette disposition et l’alinéa 12(1)x) LIR.
La Cour indique que ces dispositions législatives sont nées afin de contrer une certaine jurisprudence portant sur le traitement fiscal des incitatifs locatifs.
L’objectif visé était de s’assurer que le traitement comptable de l’incitatif n’entraîne pas une distorsion des règles fiscales. Ainsi, par exemple, si l’incitatif sert à acquérir un bien en capital, il doit aussi servir à réduire le coût de base de ce bien aux fins fiscales afin que l’amortissement fiscal qui en résulte soit réduit ou que le gain en capital éventuel résultant d’une disposition ultérieure du bien soit accru de façon à tenir compte de l’incitatif. Autrement, l’incitatif doit être imposé dans l’année au cours de laquelle il est reçu.
En l’espèce, bien que le compte de placement prévu par le Contrat ne soit pas amortissable aux fins fiscales, et bien que les revenus générés dans ce compte ne soient pas imposables, il demeure que lors de l’exercice du droit de rachat prévu dans le Contrat, l’excédent entre le produit de l’aliénation résultant du rachat et le coût de base rajusté devient alors assujetti à la fiscalité. Puisque les incitatifs versés à l’appelant par le courtier ne sont pas tenus en compte afin de réduire le coût de base rajusté, il irait à l’encontre de la raison d’être du paragraphe 87w) LI de ne pas les inclure dans le revenu de l’appelant pour l’année au cours de laquelle ils sont reçus.
En suivant cette logique, puisque les versements faits à l’assureur au regard du coût net de l’assurance pure sont généralement exclus du coût de base rajusté lors du calcul des impôts applicables lorsque le droit de rachat est exercé, la partie de l’incitatif reçue relative au coût net de l’assurance pure ne devrait pas logiquement être visée par le paragraphe 87w) LI.
En effet, non seulement la couverture d’assurance pour laquelle l’incitatif est reçu n’est pas un revenu au sens du paragraphe 87w) LI, mais la logique fiscale qui sous-tend cette disposition ne permet pas non plus de conclure que la portion de l’incitatif reçue se rapportant à l’assurance pure devrait y être visée. En effet, la partie des versements effectués à l’assureur pour l’assurance pure n’est pas normalement sujette à une éventuelle fiscalité différée.
La Cour conclut donc que la portion des incitatifs reçue au regard des versements effectués par l’appelant aux assureurs aux fins du compte de placement prévu dans le Contrat (soit environ les deux tiers dans le cas de l’appelant) est visée par le paragraphe 87w) LI, mais que la portion des incitatifs reçue au regard des versements effectués par l’appelant aux assureurs aux fins de la seule couverture d’assurance vie (soit environ le tiers dans le cas de l’appelant) ne l’est pas.
Le fait que l’appelant n’a pas touché aux revenus générés en vertu du contrat permet-il d’exclure l’application du paragraphe 87w) LI?
Quant à cette question, la Cour conclut qu’il n’existe aucune exigence voulant qu’un revenu doive se matérialiser pour que l’incitatif soit considéré aux fins du paragraphe 87w) LI. La capacité de tirer un revenu du bien suffit. Ainsi, si le bien est raisonnablement susceptible de générer des revenus, le paragraphe 87w) LI s’applique dans la mesure où les autres conditions prévues sont remplies.
Selon la Cour, c’est un test objectif qui doit être retenu. Si le bien en cause est raisonnablement susceptible de générer des revenus, le paragraphe 87w) LI peut s’appliquer et ce, peu importe que le bien génère effectivement des revenus ou que le contribuable décide de s’en départir avant qu’il ne génère des revenus.
Ainsi, le fait que l’appelant ne puisse pas toucher aux revenus générés dans son compte de placement prévu dans le Contrat durant une année donnée, selon ce que prévoit le Contrat, ne change rien à la règle fiscale applicable, l’important étant que le bien était susceptible de générer des revenus.
En conclusion, la Cour a donc accueilli l’appel en partie et a déféré les cotisations au ministre pour nouvel examen.
- Verrier c. ARQ, 2024 QCCA 298, 12 mars 2024.