Le 27 octobre, la Commission européenne (CE) a proposé son paquet bancaire européen 20211. Il s’articule autour de trois aspects clés qui deviendront l’élément central de la législation et de la supervision européennes pour les années à venir :
- La nouvelle attendue par de nombreux établissements financiers : la position de la CE sur le règlement officiellement connu sous le nom de Réformes de Bâle III, mais plus familièrement connu sur le marché (et dans ce commentaire) sous le nom de Bâle IV en raison de l’ampleur des changements proposés. L’annonce de la CE précise que les établissements financiers ont deux ans supplémentaires (jusqu’à 2025) pour mettre en œuvre ces règles.
- Un deuxième aspect concerne un autre sujet brûlant : la durabilité et la transition écologique. Le premier élément des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
- Le dernier aspect est un sujet de plus en plus pressant suite à la pandémie : une surveillance renforcée et une meilleure protection de la stabilité financière dans l’UE.
Alors pourquoi une annonce comme celle-ci est-elle si importante ? Revenons un instant dans le passé pour nous le rappeler.
Le chemin vers Bâle IV
La crise financière mondiale de 2007-2008 a clairement révélé qu’un cadre plus résilient était nécessaire autour des différents risques gérés par les banques. Ceci est illustré dans les pratiques de modélisation des banques, qui ont des racines profondes, et en particulier la modélisation du risque de crédit. Les modèles peuvent parfois être si complexes et raffinés qu’il faudrait faire appel à un physicien quantique juste pour émettre un jugement.
Bien sûr, il y avait une raison pour laquelle les modèles mathématiques complexes sont devenus une pratique courante pour tant de personnes. Grâce à des modèles sophistiqués et approuvés, les banques pourraient prendre plus de risques sans retenir une grande partie des fonds propres, ce qui représente un coût de financement très important pour les banques. Cependant, les politiciens, les régulateurs et le discours public ont fortement suggéré qu’il devrait y avoir des exigences de fonds propres plus strictes pour les banques, et que l’utilisation excessive de modèles pour une plus grande prise de risque devrait être plus contrôlée. Intégrer Bâle IV - approuvé pour la première fois en 2017 et initialement prévu pour une mise en œuvre en janvier 2023.
Cependant, compte tenu de la pandémie de COVID-19, du basculement subséquent vers la « nouvelle normalité » et des nouveaux modèles de risque de crédit, le secteur financier a collectivement demandé le report de l’échéance. Ainsi, s’il ne fait aucun doute que la CE mettra en œuvre Bâle IV dans son intégralité à terme, une percée politique était nécessaire et une prolongation de deux ans a été accordée.
Compromis par compassion ou désavantage concurrentiel ?
Tout le monde ne se sentira pas soulagé par cette nouvelle. Il y a tout juste un mois, les gouverneurs des banques centrales d’Europe ont écrit une lettre2 soulignant les différentes raisons prudentielles pour lesquelles leur juridiction devrait s’en tenir à la date d’origine. La compétitivité internationale est probablement citée comme l’une des raisons évoquées par les régulateurs et les banques.
Répercussions du décalage de l’échéance
L’effet d’entraînement du récent report de la CE de la date de mise en œuvre de Bâle IV signifie également que l’impact de ce flux de production sera progressivement mis en œuvre jusqu’à cinq ans après la date d’application de 2025. Cela devrait donner aux établissements financiers non seulement le temps de mettre en place un système robuste pour faire face à ces nouvelles réglementations, mais aussi d’adapter leur modèle économique aux niveaux de fonds propres qui seront requis.
Bien sûr, tout lecteur averti sait déjà que par rapport aux banques prises dans la crise financière en 2008, les banques ont aujourd’hui des niveaux de fonds propres et des marges nettement plus élevés, et devraient donc être (au moins en principe) beaucoup plus résistantes lorsque des crises similaires surviennent. Le report signifie-t-il que le lobby bancaire a gagné ? Ou bien s’agit-il de considérations politiques, la CE laissant suffisamment de place aux banques pour s’assurer qu’elles peuvent financer les fonds nécessaires aux entreprises, afin que l’économie se développe ? Compte tenu des niveaux de fonds propres plus élevés dans l’UE, c’est probablement un peu des deux.
Il convient également de noter que les mesures de la révision fondamentale du portefeuille de négociation (RFPN) qui sont liées au cadre de Bâle IV, faisaient partie du modèle de points de données (DPM) 3.1. dans l’UE et seront déjà applicables à partir de septembre 2021 ; rien n’y changera donc pour le moment.
Il semble que l’Australie ait également décidé de reporter l’application de Bâle IV à 2024 pour une composante et à 2025 pour le reste. Cependant, cela a pour effet que les banques universelles de la région ne seront pas en mesure de se détendre ou de faire des plans. Alors même que cet article est mis en ligne, le Canada continue d’appliquer ses règles de Bâle IV fixées pour le 1er janvier 2023 sans tenir compte de ce que la CE décide ou si d’autres effets d’entraînement se produisent. Seul le temps nous dira comment cela va se passer.
Les régulateurs se sont clairement concentrés sur la mise en place d’un système économique stable, qui est l’une des pierres angulaires de l’économie de l’UE. Les fédérations bancaires ont mis en avant le même argument, mais plutôt comme un désavantage concurrentiel car la nature des opérations bancaires en Europe est généralement différente des économies anglo-saxonnes, comme celles des États-Unis. Dans l’UE, les portefeuilles de crédit des banques sont importants par rapport à leurs concurrents dans le reste du monde, et une fois que le « seuil de rendement » de Bâle IV est appliqué, cela limiterait l’impact d’un modèle interne sur le niveau des exigences de fonds propres. Selon la CE, l’effet est estimé à moins de 9 % sur les niveaux de fonds propres.
La CE est également résolue dans son approche « à pile unique » dans laquelle les méthodologies utilisées pour les exigences de fonds propres seront cohérentes pour toutes les réglementations, qu’il s’agisse d’exigences du pilier I ou du pilier II. La conviction de la CE ici est de garder la logique cohérente sur les différentes mesures et métriques pour éviter toute confusion.
Mettre l’accent sur le « E » des ESG
Jusqu’à présent, nous nous sommes concentrés dans ce commentaire sur Bâle IV, mais beaucoup de temps devrait également être consacré aux deux autres sujets annoncés par la CE, notamment les règles explicites sur la gestion et la supervision des risques ESG conformément à la stratégie de finance durable de l’UE.
D’un point de vue financier, des événements tels que la récente éruption volcanique à La Palma, les inondations en Belgique et aux Pays-Bas et la fonte des glaciers dans les Alpes, qui soulignent le besoin évident d’une intervention humanitaire, attirent également l’attention sur la nécessité de se pencher sur les risques climatiques et de les traduire en risques financiers. Par exemple, de telles conséquences désastreuses impacteront certains établissements financiers en termes de produits de l’assureur et de portefeuille de crédit pour les actifs dans les régions concernées.
On a fait couler beaucoup d’encre quant aux ESG dans le secteur financier, mais pour revenir rapidement sur notre sujet précédent, on sait peu de choses sur l’impact des ESG sur Bâle IV. C’est un sujet important à considérer, car la CE a également déclaré qu’elle explorait un cadre dans lequel les exigences de fonds propres seraient ajustées pour les actifs « verts » ou « bruns ». Il n’y a pas encore de conclusion, mais on peut bien sûr observer que la poursuite du développement des ESG n’est pas nécessairement totalement indépendante du sujet de Bâle IV et de ses exigences de fonds propres. Le message principal reste cependant que la CE veut imposer des règles explicites concernant les ESG dans son paquet bancaire.
Des règles du jeu équitables pour les superviseurs
Le dernier sujet du paquet bancaire de la CE porte sur la création de davantage d’outils de mise en œuvre pour les autorités de contrôle. Dans ce contexte, le changement majeur est que la CE veut créer des règles du jeu équitables dans toute l’Europe en matière de supervision en veillant non seulement à ce que les pouvoirs accordés aux superviseurs soient égaux au sein des pays, mais qu’ils soient également appliqués de manière plus coordonnée.
Ce changement se traduira également par des pouvoirs de sanction harmonisés pour les superviseurs. La CE écrit3 cela :
« Afin de garantir le caractère proportionné du cadre en même temps que l’application effective des sanctions, des garanties procédurales ont été prévues, tout particulièrement en cas de cumul de sanctions administratives et pénales pour la même infraction. La CRD imposera aux États membres de prévoir des règles relatives à la coopération entre les autorités de surveillance et les autorités judiciaires en cas de cumul de poursuites et de sanctions administratives et pénales pour la même infraction. »
L’application de la loi dans les États membres est une chose, mais les rapports des succursales de pays tiers en sont une autre et méritent également l’attention. La CE propose des règles plus étendues concernant les rapports des succursales de pays tiers, car la croissance dans cet espace constitue un risque important pour la stabilité financière de l’UE.
Sur quoi devons-nous nous concentrer maintenant ?
Si vous êtes un accro à la réglementation, il y a beaucoup de matière à réflexion avec la dernière annonce de la CE. Et si vous êtes banquier dans un service des finances, des risques ou de la conformité, vous avez certainement du pain sur la planche. Si vous êtes trésorier, personnel de front office ou vendeur, eh bien, les choses vont changer et vous feriez mieux de suivre le changement, sinon vous pourriez vous retrouver avec des produits à faible marge coûteux et risqués.
Cependant, le texte publié par la CE devra encore passer par le parlement et être voté, ce qui devrait donner aux établissements financiers une certaine longueur d’avance. La chose la plus importante est que vous restiez au courant des progrès. Continuez donc à suivre nos webinaires et commentaires trimestriels sur la mise à jour réglementaire pour en savoir plus.
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