ESG and Climate Risk Management
ConformitéFinance ESG28 janvier, 2022

Les banques et le climat : de nouveaux modèles pour faire face à de nouveaux risques

Les régulateurs demandent aux établissements financiers de tenir compte de l’impact qu’eux-mêmes et leurs clients peuvent avoir sur l’environnement

Les établissements financiers doivent gérer d’anciens et de nouveaux risques. Parmi les risques les plus récents, certains concernent le climat, y compris le risque physique, c’est-à-dire les dommages causés par les effets matériels que des événements liés au climat peuvent avoir sur une banque ou ses clients, et le risque de transition, qui englobe les effets des évolutions législatives ou réglementaires sur les opérations.

Comment évaluer le risque climatique est une question qui reste en suspens, notamment en raison du fait que la science du climat est relativement nouvelle et que ses méthodes et ses résultats ne cessent d’évoluer. Cependant, les autorités de contrôle ont commencé à exiger que des réponses soient données à cette question.

Les établissements financiers n’ont pas d’autre choix que de faire de leur mieux et d’émettre les hypothèses les plus éclairées, mais à mesure qu’ils avancent dans la voie du progrès, leurs évaluations du risque climatique ont de plus grandes chances de satisfaire les régulateurs. Les entreprises seront également mieux placées pour satisfaire les impératifs commerciaux grâce au fait qu’elles amélioreront leur capacité à intégrer les nouveaux risques dans leur prise de décision et leur planification stratégique. 

En demandant aux banques de divulguer dans leurs rapports des données sur la finance durable et, à partir de 2022, d’effectuer des tests de résistance climatique, la Banque centrale européenne a donné un signe concret de l’importance nouvelle accordée au climat par les régulateurs. Le moment est donc venu d’examiner certains des défis que présente la divulgation d’informations sur le carbone et le climat, ainsi que l’écologisation de la supervision financière en général. Nous aborderons ici en particulier les données, la modélisation et les scénarios.

Mesurer le coût du carbone

De nombreuses données climatiques sont disponibles en ligne et les fournisseurs spécialisés peuvent les filtrer ou les structurer moyennant une rémunération. La comptabilisation des gaz à effet de serre étant déjà une pratique répandue, il est aisé de déterminer la quantité de dioxyde de carbone - connu sous le nom d’équivalent CO2 - qu’une banque est responsable d’émettre directement et que ses emprunteurs et autres contreparties émettent dans le cadre de leurs activités. Le prochain défi de l’entreprise consiste à utiliser ses hypothèses de tarification existantes pour confirmer si ses politiques liées au marché vert (crédits de compensation carbone et autres) et ses pratiques de prêt reflètent le véritable coût des émissions.

Dans le cadre de son initiative de tests de résistance climatique, la BCE mènera un exercice d’analyse comparative pour comparer et valider les établissements financiers afin de déterminer comment chacun d’entre eux se positionne en termes de modèles et de calculs d’émission. Les banques centrales exercent une pression croissante sur les établissements financiers afin qu’ils quantifient les émissions associées à leurs portefeuilles, ainsi que leur impact sur le risque de crédit, de marché et de liquidité. Étant donné que le secteur financier ne possède pas une grande expérience dans le domaine de la collecte de données climatiques, la plupart des entreprises ont du mal à trouver, collecter et stocker les données pertinentes. Il n’y a pas de moyen facile de le faire correctement ; elles devront l’apprendre par la pratique.

Voici quelques réflexions sur l’état d’avancement des efforts déployés par le secteur financier pour développer des processus de capture des données climatiques :

  1. La convergence des données et des méthodes se poursuit. Les données climatiques ne sont pas toujours faciles à comparer entre elles. Il existe de nombreuses initiatives privées et publiques et les résultats qu’elles produisent ont tendance à être incompatibles les uns avec les autres. Comme il n’y a pas encore de manière manifestement correcte de s’y prendre, ne présumez pas que votre façon de le faire et les investissements que vous faites pour y arriver sont définitifs. Les données et les modèles vont certainement évoluer et incluront très probablement des exigences de données supplémentaires provenant de plusieurs initiatives.
  1. Sachant que les méthodes de compilation et d’analyse des données climatiques vont certainement changer, il serait imprudent de se lier à un seul fournisseur de données à ce stade. Il est prudent de lancer un processus de collecte de données en interne et de faire appel à un fournisseur externe. Il est plus sûr d’avoir un deuxième avis.
  1. Quelles que soient les données que vous produisez même au moyen d’une modélisation très complexe, vous devez vous assurer que les informations sont faciles à interpréter et peuvent être comprises intuitivement. Si votre modèle n’indique pas, par exemple, qu’une augmentation des inondations importantes réduira la valeur de marché de la garantie de vos emprunteurs de prêts commerciaux ou immobiliers, vous devez revenir au point de départ. Sachez que les résultats changeront avec le temps et que vous devriez les comparer avec ceux publiés par les banques centrales ou d’autres organismes faisant autorité, ainsi qu’avec les précédentes exécutions de vos propres processus.
  1. Vous feriez bien de garder les choses simples pour le moment. La production d’un résultat très complexe à ce stade entravera votre capacité à développer des informations de manière organique et augmentera les chances de devoir procéder à une refonte majeure des processus de données que vous configurez.

Une modélisation complexe

Le « risque » dans « risque climatique » est un terme inapproprié. Le risque indique un phénomène qui est mesurable à l’aide de données historiques et produit un résultat dans une fourchette de probabilités identifiable. « Incertitude climatique » serait une bien meilleure description, car les effets débattus sont difficiles à quantifier et les prédictions à leur sujet doivent être dérivées en générant une série de questions de simulation, auxquelles il est difficile de répondre, ainsi qu’une analyse de scénario. Réfléchir à ce sujet de cette manière présente l’avantage de pouvoir prendre plus facilement en compte les événements cygne noir, qui sont intrinsèquement plus difficiles à capturer dans la modélisation conventionnelle des risques en raison de leur faible probabilité. Il va sans dire que combiner les incertitudes climatiques avec celles de la modélisation financière amplifie la complexité.

La modélisation du climat diffère sur des points essentiels des autres types de modélisation financière :

  • Il est difficile de back-tester les modèles climatiques, car les historiques des séries de données sont souvent plus courts que ceux des mesures financières conventionnelles ; ceci laisse planer une incertitude sur la validité des modèles climatiques.
  • Les effets non linéaires potentiels des changements de certains phénomènes climatologiques rendent difficile la prévision de l’impact des événements cygne noir. Certains événements devraient générer des boucles de rétroaction permanentes liées à la production de gaz à effet de serre, qui se traduisent par des points de basculement au-delà desquels les effets sont irréversibles. Citons par exemple la fonte du pergélisol.
  • Il existe de nombreuses solutions qui offrent des modèles climatiques et livrent de la valeur, mais il n’y a pas de consensus sur celles qui peuvent répondre aux exigences des régulateurs. À l’heure actuelle, plusieurs efforts de convergence sont menés, par exemple par le Groupe de travail mondial sur les divulgations financières liées au climat (Task Force on Climate-Related Financial Disclosures, TCFD), mais il n’y a pas encore de principes généralement acceptés.

Ce qui est le plus important pour le moment, c’est qu’un modèle climatique soit défendable et enraciné dans des principes et processus scientifiques reconnus. Il vaut mieux avoir plusieurs modèles concurrents dont les méthodes et résultats peuvent être comparés entre eux que de mettre tous ses œufs dans le même panier. Et, parce que des changements fréquents de réglementations et de pratiques sont probables, il serait avantageux pour le secteur financier que tous les acteurs soient transparents sur leurs modèles et leur fonctionnement, afin de faciliter les comparaisons et renforcer la convergence méthodologique.

Des scénarios à la rescousse ?

Heureusement, quand il s’agit de scénarios qui sont branchés sur des modèles climatiques, nous avons une meilleure compréhension de ce qui est généralement accepté sur le marché. Le Network for Greening the Financial Industry, une initiative soutenue par 92 autorités, dont l’Association bancaire européenne et les principaux régulateurs financiers d’Australie, de Singapour et de Hong Kong, se sont mis d’accord sur un ensemble minimum de scénarios qui doivent être pris en compte dans l’évaluation du risque climatique. Leur cadre permet d’explorer et de visualiser les données liées aux émissions, et une interface de programmation d’application publique est mise en place pour faciliter la communication.

Les banques centrales pourraient suggérer des scénarios plus spécifiques à évaluer par les banques dans le cadre de leurs tests de résistance. Dans ses scénarios 2022, la BCE demande aux banques de considérer les vulnérabilités à court terme dans un scénario de transition désordonnée sur trois ans déclenchée par une forte augmentation du prix des émissions de carbone, et d’envisager des stratégies à plus long terme lorsqu’elles sont confrontées à trois scénarios de transition différents sur un horizon de 30 ans.

La BCE demande également aux établissements financiers de tenir compte de l’effet de bulle verte, qui peut avoir pour conséquence que les actifs sont mal évalués et le capital mal alloué parce qu’une prime irréaliste est placée sur tout ce qui est perçu comme étant bénéfique pour l’environnement. De telles conditions pourraient augmenter le risque de crédit de certaines entreprises, en particulier si les secteurs touchés sont confrontés à une concurrence accrue ou à un surfinancement.

De plus, certains effets du carbone sont bloqués pour au moins les 30 prochaines années. Même si le monde devenait du jour au lendemain un paradis écologique, les dommages causés dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui mettront du temps à se dissiper. Cela signifie que nous devons évaluer les scénarios d’impact actuels connus de pair avec ceux dont les effets prendront beaucoup plus de temps à être compris et mesurés. Compte tenu de ces mises en garde, il est largement admis que les tests de résistance devraient inclure les éléments suivants :

  • scénarios distincts pour le risque physique et le risque de transition
  • scénarios jusqu’en 2030, 2040 et 2050
  • scénarios avec différents points limites d’augmentation de la température (de 1,5 à 5 degrés Celsius), avec leur impact sur la courbe du prix du carbone
  • hypothèses de bilan dynamique pour les projections à plus long terme
  • prise en compte des transitions ordonnées et désordonnées, avec leur impact sur la courbe des prix du carbone

Une entreprise difficile mais qui en vaut la peine

La tâche est immense, mais elle en vaut la peine, car les régulateurs ne sont pas les seuls à devoir s’attaquer à cette forme de risque relativement nouvelle. Elle est destinée à devenir une priorité commerciale au sein des banques, et pas seulement un casse-tête de conformité. Le destin du monde physique est une question globale et très vaste qui prendra de plus en plus d’importance dans la réflexion à long terme des organisations.

Une compréhension du risque climatique peut également aider à effectuer des calculs détaillés à plus court terme. Imaginons que vous accordiez un prêt substantiel à un promoteur immobilier qui construit des appartements aux Açores. La BCE pourrait vouloir que vous calculiez votre perte attendue sur ce prêt à la suite d’un événement lié au climat, par exemple une augmentation des tempêtes annuelles qui endommagent les appartements ou réduisent la demande. Votre entreprise voudra également faire ce calcul afin que vous puissiez évaluer le risque encouru et fixer correctement le prix du prêt.

Il est trop tôt pour définir les bonnes pratiques en matière de modélisation du risque climatique, mais certaines pratiques utiles peuvent déjà être identifiées. L’un est la transparence ; les entreprises doivent être claires et ouvertes sur leur modèle et les scénarios qu’elles choisissent, afin de permettre d’établir des comparaisons avec d’autres sociétés et de générer un sentiment de confiance. Une transparence insuffisante ouvrira la porte à des hypothèses et à des accusations d’écoblanchiment, et augmentera le coût de la convergence et de la standardisation des modèles. La propriété intellectuelle est en jeu, bien sûr, mais il est dans l’intérêt de tous de tester et de standardiser les modèles le plus tôt possible.

Le climat évolue rapidement, et avec lui la nécessité de comprendre l’impact que ce changement aura sur les établissements financiers et leurs clients, et de concevoir des modèles et des scénarios qui mesurent avec précision les risques qui y sont associés. Si nous en venons à considérer les émissions de carbone comme un aspect de nos activités quotidiennes qui n’en est qu’un parmi d’autres, bien que plus impénétrable pour le moment, cela nous aidera à faire avancer notre entreprise, à prendre de meilleures décisions et à devenir plus compétitifs.


Frederik Roeland
Director and Global Product Manager, Finance, Wolters Kluwer FRR
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