Harcèlement sexuel commis par un président de syndicat dans le cadre d’activités syndicales ; suspension de trois mois maintenue
Résumé : L’arbitre a confirmé la suspension de trois mois imposée au président d’un syndicat pour avoir harcelé sexuellement plusieurs femmes, et ce, à répétition pendant plusieurs années. Par ailleurs, le Tribunal est d’avis que l’employeur ne s’est pas immiscé dans les activités du syndicat en enquêtant puis en sanctionnant les conduites dérogatoires survenues lors d’évènements syndicaux.
Dans l’affaire Centre intégré de santé et de services sociaux de la Gaspésie[1], l’arbitre Me Dominique-Anne Roy, a confirmé la suspension de trois mois imposée au président du Syndicat du personnel de bureau du CISSS de la Gaspésie, ci-après le « Syndicat » pour avoir harcelé sexuellement plusieurs femmes, et ce, à répétition pendant plusieurs années. L’arbitre conclut également que l’employeur ne s’est pas immiscé dans les activités du Syndicat en enquêtant puis en sanctionnant les conduites dérogatoires survenues lors d’évènements syndicaux.
I. Contexte factuel
Le plaignant est embauché comme technicien informatique par le Centre jeunesse de la Gaspésie des Îles en 2004 et travaille au Pavillon Cantin, à Gaspé. À compter de la fusion des établissements de santé en 2015, son employeur devient le CISSS de la Gaspésie, ci-après l’« Employeur ». Ses activités couvrent l’ensemble de la péninsule gaspésienne et englobent quatre réseaux locaux de services situés à Chandler, Gaspé, Sainte-Anne-des-Monts et Maria. Les centres jeunesse y sont intégrés.
Dès 2007, le plaignant occupe plusieurs fonctions au sein de l’exécutif syndical, composé majoritairement de femmes. En mars 2017, le Syndicat est formé pour représenter environ 450 membres, 600 au jour de l’audience. Le plaignant en devient par la suite le président.
Le 30 novembre 2018, une salariée travaillant à l’Hôpital de Maria est placée en arrêt de travail. Lorsqu’elle rencontre, à la demande de l’Employeur, le médecin-conseil du bureau de santé pour un suivi médical, elle évoque avoir notamment fait l’objet de harcèlement sexuel de la part du plaignant pendant plusieurs mois alors qu’elle exerçait des fonctions de trésorière du Syndicat. Cette information est relayée par le médecin à divers gestionnaires. Devant le sérieux de la situation, l’Employeur mandate une firme externe, Relais Expert-Conseil, afin qu’elle fasse enquête.
Le 18 février 2019, le plaignant est suspendu avec solde pour fins d’enquête administrative. Un premier grief individuel est déposé pour attaquer cette mesure et en demander l’annulation. Un second grief syndical est déposé pour contester la décision de suspendre un de ses représentants. Par le biais du troisième grief individuel, le plaignant conteste le processus d’enquête que l’Employeur a menée à son endroit.
Le rapport produit par Relais Expert-Conseil conclut à du harcèlement. L’Employeur tient alors une rencontre disciplinaire avec le plaignant pour obtenir sa version des faits. À cette occasion, ce dernier maintient sensiblement les propos tenus auprès de la firme externe et repris dans le rapport.
Le 18 juin 2019, l’Employeur informe par écrit le plaignant des résultats de son enquête. Il retient qu’il a eu à différentes reprises des paroles et des gestes inappropriés constituant du harcèlement sexuel. Plus spécifiquement, il lui est reproché globalement ce qui suit à l’égard de sept femmes :
- À plusieurs occasions, depuis 2008, avoir posé des regards, fait des remarques ou posé des questions intimes de manière déplacée dans le milieu de travail;
- À plusieurs occasions, depuis 2007, avoir initié des contacts physiques non désirés, incluant des massages à l’endroit de collègues;
- À plusieurs occasions, depuis 2004, avoir fait, à l’endroit de collègues, des allusions, remarques ou blagues à caractère sexuel;
- À plusieurs occasions en 2018, avoir fait, à l’endroit de collègues, des propositions à caractère sexuel;
- À plusieurs occasions, depuis 2015, avoir initié et imposé des contacts physiques à caractère sexuel non désirés, notamment des attouchements et empoignades.
Estimant que le plaignant adopte systématiquement des comportements insistants et inappropriés envers les femmes depuis plusieurs années, les privant ainsi d’un milieu de travail sain, l’Employeur lui impose une suspension sans solde de trois mois à compter du 18 juin 2019. Même si plusieurs gestes se sont produits hors des lieux du travail ou en contexte d’activités syndicales, il s’estime fondé d’intervenir puisque le plaignant demeure de son point de vue un salarié de l’établissement en toutes circonstances.
Deux nouveaux griefs sont déposés. Le premier conteste le délai déraisonnable de l’enquête qui s’est échelonnée du 18 février au 18 juin 2019 et réclame des dommages compensatoires. La seconde réclamation conteste la suspension sans solde de trois mois et réclame le retrait de la lettre et la réintégration immédiate du plaignant, le remboursement de l’ensemble des sommes et avantages perdus de même que le versement de dommages.
II. Analyse
A. Moyens préliminaires soulevés par le Syndicat et rejetés par le Tribunal
D’entrée de jeu, le Syndicat a présenté une série de moyens préliminaires qui ont tous été rejetés par le Tribunal. L’analyse de l’arbitre concernant deux d’entre eux a toutefois retenu notre attention et mérite d’être soulignée.
Tout d’abord, l’arbitre rejette l’argument syndical à l’effet que l’Employeur n’avait pas le droit d’examiner des allégations de harcèlement sexuel en lien avec des agissements survenus lors d’activités syndicales et de les sanctionner. Au contraire, il estime que toutes les personnes concernées par les allégations en litige sont des personnes salariées de l’Employeur au moment des évènements, à l’exception d’une victime qui est représentante syndicale pour la FSSS. Certaines d’entre elles font l’objet parfois de libérations syndicales, mais elles demeurent en tout temps assujetties à la convention collective. Ce faisant, l’arbitre est d’avis qu’elles bénéficient d’une protection contre un environnement néfaste, conformément à l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail[2]. Puis, le Tribunal conclut que l’Employeur était tenu par la loi d’enquêter sur les allégations de harcèlement soumises à son attention et que le plaignant ne pouvait invoquer son statut de président du Syndicat pour l’en empêcher vu la nature des agissements dérogatoires. L’Employeur ne s’est donc pas immiscé dans les activités du Syndicat en enquêtant puis en sanctionnant les conduites dérogatoires survenues lors d’évènements syndicaux.
Par la suite, le Tribunal rejette l’argument syndical à l’effet que l’Employeur n’avait pas le droit d’examiner des allégations de harcèlement sexuel en lien avec des agissements survenus dans la sphère de la vie privée. En l’espèce, la preuve démontre que la conduite dérogatoire du plaignant a eu des conséquences notables sur l’établissement, le climat de travail et ses salariés. Dans ces circonstances, l’arbitre est d’avis que l’argument de la vie privée ne saurait jouer et retient plutôt que l’Employeur était justifié d’agir.
B. Analyse du bien-fondé des griefs
Après analyse, l’arbitre est d’avis que les informations préoccupantes portées à la connaissance du médecin-conseil de l’Employeur justifiaient une suspension pour fins d’enquête. Quant au retrait du travail du plaignant lors de l’enquête, il s’expliquait par la nature et la gravité des allégations. Selon l’arbitre, il est difficile de concevoir comment il aurait été possible de maintenir le plaignant sur les lieux du travail sans affecter la sérénité du climat de travail et la qualité du déroulement de l’enquête.
De plus, l’arbitre conclut au caractère raisonnable du déroulement de l’enquête et de sa durée. La doctrine et la jurisprudence retiennent généralement qu’un délai d’enquête de quatre mois est raisonnable, particulièrement dans les dossiers présentant un degré de complexité élevé, comme c’est le cas en l’espèce. Le Tribunal est d’avis que la présente affaire ne mérite pas de s’en distancer. Aucune preuve ne révèle par ailleurs que l’enquête était biaisée ou que l’Employeur a agi de manière déraisonnable.
Dans la présente affaire, le Tribunal estime que le plaignant a développé un modus operandi de séduction en milieu de travail. Il a mis de l’avant une conduite sexualisée où des événements somme toute courants dans un milieu professionnel, des rencontres, des séances de travail, des échanges entre collègues, un « party » en sont venus à représenter pour lui des opportunités de « flirter », de tenir des propos sur la sphère intime, de solliciter des faveurs sexuelles, d’imposer des attouchements. Toutes ces conduites étaient non désirées. Il est clair pour le Tribunal que les personnes dont les dénonciations fondent la mesure disciplinaire ont été privées d’un environnement de travail sain. Les conséquences de la conduite du plaignant sur elles ne peuvent être minimisées. La preuve révèle notamment l’atteinte à la dignité des femmes, le manque de respect à leur endroit, la violation de leur intégrité par des attouchements non sollicités, les malaises, la colère, etc. S’en sont suivis des gestes de retrait, un arrêt de travail pour une des victimes ainsi que deux démissions. Autant de répercussions néfastes ayant mené à forger un milieu de travail néfaste pour ces personnes.
Ayant conclut à la commission de fautes graves, le Tribunal est d’avis que l’Employeur était justifié de passer outre le principe de progression des sanctions, qui n’est pas d’application absolue. La sanction choisie doit plutôt être proportionnelle aux faits reprochés et s’avérer raisonnable suivant toutes les circonstances de la présente affaire. Le Tribunal ajoute qu’un message clair doit être envoyé. Malgré un dossier disciplinaire vierge et une quinzaine d’années d’ancienneté au moment de l’imposition de la mesure, l’arbitre détermine que les facteurs aggravants sont importants. Au moment de la commission des gestes, le plaignant était conscient que le harcèlement s’avérait un sujet d’actualité à la CSN et connaissait la politique de tolérance zéro de l’Employeur à ce sujet. Malgré tout, il a persisté à adopter un comportement dérogatoire. De surcroît, le harcèlement s’est échelonné sur plusieurs années et a fait de nombreuses victimes. Enfin, non seulement le plaignant a menti en audience en plus de banaliser les gestes posés, mais il n’a verbalisé aucun regret et s’est plutôt positionné comme la victime d’un complot.
Suivant ce qui précède, l’arbitre est d’avis que rien ne justifie le présent Tribunal à intervenir dans la mesure prise par l’Employeur. La suspension de trois mois sans solde imposée au plaignant est donc maintenue.
III. Conclusion
À l’époque actuelle où les enjeux liés au harcèlement psychologique et sexuel en milieu de travail ne sont plus un tabou, le Tribunal envoie un message clair à l’effet que les comportements à caractère sexuel non désirés en milieu de travail doivent être dénoncés et sanctionnés sévèrement. Il ressort également de cette affaire que l’Employeur est tenu par la loi d’enquêter sur des allégations de harcèlement soumises à son attention, même si ces dernières sont survenues lors d’évènements syndicaux. Enfin, l’absence de remords et d’introspection de la part du plaignant lui a été fatale dans l’analyse du bien-fondé de la suspension de trois mois.
- CSN-Syndicat du personnel de bureau du CISSS de la Gaspésie et Centre intégré de santé et de services sociaux de la Gaspésie (Simon Rochefort), 2023 QCTA 131 (Me Dominique-Anne Roy).
- Loi sur les normes du travail, RLRQ, n-1.1, art. 81.19.