Déductibilité de paiements effectués en contravention d’un acte de fiducie
L’auteur discute des précisions apportées par l’ARC à la suite de la décision non publiée dans l’affaire Kissel Family Trust en matière de déductibilité des paiements effectués en contravention d’un acte de fiducie.
L’Agence du revenu du Canada (ARC) a récemment commenté la décision non encore publiée de la Cour canadienne de l’impôt (CCI) dans l’affaire Maurice Kissel Family Trust c. Sa Majesté Le Roi (numéro de dossier de la CCI en procédure générale 2019-4092(IT)G) traitant de la question de savoir si une somme est «devenue à payer» aux fins de l’application de l’alinéa 104(6)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (LIR) dans le cas où une fiducie paie des montants à des bénéficiaires en contravention des dispositions de l’acte de fiducie[1].
L’affaire Kissel Family Trust a été entendue le 27 mars 2023 et la décision a été rendue le 1er juin 2023.
Les dispositions pertinentes de la LIR dans cette affaire se lisent ainsi:
Art. 74.5(5) Définition de «personne désignée» — Pour l'application du présent article, «personne désignée» s'entend, en ce qui concerne un particulier:
a) de l'époux ou conjoint de fait du particulier;
b) d'une personne de moins de 18 ans qui a un lien de dépendance avec le particulier ou qui est le neveu ou la nièce du particulier.
Art. 104(6) Déduction dans le calcul du revenu d'une fiducie — Pour l'application de la présente partie mais sous réserve des paragraphes (7) à (7.1), est déductible dans le calcul du revenu d'une fiducie, pour une année d'imposition:
a) dans le cas d'une fiducie d'employés, le montant par lequel le montant qui aurait constitué, sans le présent paragraphe, son revenu pour l'année dépasse l'excédent éventuel du total visé au sous-alinéa (i) sur le total visé au sous-alinéa (ii):
(i) le total des sommes dont chacune représente son revenu tiré d'une entreprise pour l'année,
(ii) le total des sommes dont chacune représente sa perte au titre d'une entreprise pour l'année;
a.1) dans le cas d'une fiducie régie par un régime de prestations aux employés, la partie de la somme qui aurait constitué, sans le présent paragraphe, son revenu pour l'année, telle que versée au cours de l'année à un bénéficiaire;
a.2) dans le cas où le revenu imposable de la fiducie pour l'année est assujetti à l'impôt en vertu de la présente partie par l'effet de l'alinéa 146(4)c) ou du paragraphe 146.3(3.1), la partie du montant qui correspondrait, si ce n'était le présent paragraphe, au revenu de la fiducie pour l'année payée à un bénéficiaire au cours de l'année;
a.3) dans le cas d’une fiducie qui est réputée, en vertu du paragraphe 143(1), exister à l’égard d’une congrégation qui est une partie constituante d’un organisme religieux, toute partie de son revenu pour l’année qui est devenue à payer à un bénéficiaire au cours de l’année;
a.4) dans le cas d'une fiducie de soins de santé au bénéfice d'employés, la somme qui est devenue payable par la fiducie au cours de l'année à titre de prestation désignée au sens du paragraphe 144.1(1);
b) dans les autres cas, la somme dont la fiducie demande la déduction et ne dépassant pas l’excédent établi selon la formule suivante:
A - B
où:
A est la partie de son revenu (déterminé compte non tenu du présent paragraphe ni du paragraphe (12)) pour l’année qui est devenue à payer à un bénéficiaire au cours de l’année ou qui est incluse en application du paragraphe 105(2) dans le calcul du revenu d’un bénéficiaire,
B est, selon le cas:
(i) lorsque la fiducie est une fiducie à l’égard de laquelle un jour est déterminé en application des alinéas (4)a) ou a.4) relativement à un décès ou à un décès postérieur, selon le cas, qui ne s’est pas produit avant le début de l’année, le total des sommes suivantes:
(A) la partie du revenu de la fiducie pour l’année, déterminée compte non tenu du présent paragraphe et du paragraphe (12), qui est devenue à payer à un bénéficiaire au cours de l’année, ou qui est incluse en application du paragraphe 105(2) dans le calcul du revenu d’un bénéficiaire, autre qu’un particulier dont le décès est, selon le cas, le décès ou le décès postérieur,
(B) le total des sommes dont chacune :
(I) d’une part, est incluse dans le revenu de la fiducie (déterminé compte non tenu du présent paragraphe et du paragraphe (12)) pour l’année — si l’année est celle au cours de laquelle le décès ou le décès postérieur, selon le cas, se produit et que l’alinéa (13.4)b) ne s’applique pas relativement à la fiducie pour l’année — en raison de l’application des paragraphes (4), (5), (5.1) ou (5.2) ou 12(10.2),
(II) d'autre part, n'est pas incluse dans la valeur de la division (A) pour l'année,
(ii) lorsque la fiducie est une fiducie intermédiaire de placement déterminée pour l’année, l’excédent éventuel de la somme visée à la division (A) sur la somme visée à la division (B):
(A) la partie visée à l’élément A relativement à la fiducie pour l’année,
(B) l’excédent de la somme visée à l’élément A relativement à la fiducie pour l’année sur ses gains hors portefeuille pour l’année.
Art. 104(13) Revenu des bénéficiaires — Les montants applicables suivants sont à inclure dans le calcul du revenu du bénéficiaire d'une fiducie pour une année d'imposition donnée:
a) dans le cas d'une fiducie qui n'est pas visée à l'alinéa a) de la définition de «fiducie» au paragraphe 108(1), la partie du montant qui, si ce n'était les paragraphes (6) et (12), représenterait son revenu pour son année d'imposition s'étant terminée dans l'année donnée, qui est devenue payable au bénéficiaire au cours de l'année de la fiducie;
b) dans le cas d'une fiducie régie par un régime de prestations aux employés auquel le bénéficiaire a cotisé comme employeur, la partie du montant qui, si ce n'était les paragraphes (6) et (12), représenterait le revenu de la fiducie pour son année d'imposition s'étant terminée dans l'année donnée, qui a été payée au bénéficiaire au cours de l'année de la fiducie.
Sur la base des procès-verbaux de l’audience, les faits pertinents peuvent être résumés comme suit:
- Fiducie Kissel Family Trust (la Fiducie) était une fiducie personnelle dont la liste de bénéficiaires incluait deux enfants mineurs âgés de moins de dix-huit (18) ans au moment des faits.
- L’acte de Fiducie prévoyait qu’un bénéficiaire mineur ne pouvait recevoir ou autrement obtenir l’utilisation de tout montant de revenu ou de capital de la Fiducie tant et aussi longtemps qu’un tel bénéficiaire était une «personne désignée» en vertu de l’alinéa 74.5(5)b) LIR relativement au père qui était fiduciaire de la Fiducie.
- Malgré cette interdiction prévue dans l’acte de Fiducie, lorsque la Fiducie a réalisé un important gain en capital lors de la disposition d’actions d’une «société exploitant une petite entreprise», la Fiducie a payé un montant de 100 000 $ à chaque bénéficiaire mineur et a réclamé la déduction prévue à l’alinéa 104(6)b) LIR relativement à ces paiements pour l’année d’imposition dans laquelle ces paiements ont été effectués par la Fiducie.
- Des déclarations de revenus ont également été produites par les bénéficiaires mineurs selon lesquelles les montants payés par la Fiducie ont été inclus à leurs revenus en vertu du paragraphe 104(13) LIR à titre de gain en capital. La déduction pour gain en capital a été réclamée par chaque bénéficiaire relativement aux montants payés par la Fiducie.
- L’ARC a émis une nouvelle cotisation à la Fiducie afin de refuser la déduction réclamée en vertu de l’alinéa 104(6)b) LIR aux motifs que les conditions d’application de cette disposition n’étaient pas rencontrées. Selon la position de l’ARC, les montants payés par la Fiducie aux bénéficiaires mineurs ne pouvaient pas être considérés comme étant «devenue à payer» en vertu de l’alinéa 104(6)b) LIR puisque les montants ont été payés en contravention des dispositions de l’acte de Fiducie.
- La position du contribuable était à l’effet que l’expression «devenue à payer» est assez large pour inclure des montants payés en violation des termes de l’acte de fiducie.
La décision de la Cour canadienne de l’impôt est à l’effet que si un montant ne peut être payé par une fiducie aux termes de l’acte de fiducie, un tel montant ne peut être considéré comme étant «devenue à payer» au sens de l’alinéa 104(6)b) LIR. La décision de la CCI n’a pas été portée en appel.
L’ARC a indiqué que cette décision confirme sa position de longue date quant à l’interprétation à donner à l’expression «devenue à payer» dans le contexte de l’application des dispositions de la LIR telles qu’applicables aux fiducies. L’ARC fait par ailleurs référence à l’interprétation technique (TWF) 2005-0159081I7, Timing of income inclusion for trust beneficiary (3 mars 2006), qui traite en détail de la question de savoir si un montant est «devenue à payer» aux fins de l’application des paragraphes 104(6) et (13) LIR. L’ARC indique que la décision Kissel Family Trust confirme son analyse telle que décrite dans cette interprétation technique.
La décision Kissel Family Trust rappelle donc l’importance pour les fiduciaires de s’assurer que les paiements effectués par une fiducie à ses bénéficiaires se font en conformité avec les dispositions de l’acte de fiducie particulièrement lorsqu’il est question d’attribuer un gain en capital réalisé par la fiducie dans le but de permettre au bénéficiaire de réclamer son exonération pour gain en capital à l’égard du gain en capital ainsi attribué.
- ARC, Interprétation technique (TWF) 2024-1010241C6, STEP 2024, Q10 — Update on trust / estate issues, 4 septembre 2024.