Le 13 août 2024, la Cour d’appel du Québec a rendu l’arrêt Mansfield-et-Pontefract en matière d’analyse de la conformité des soumissions dans le cadre d’un appel d’offres public, plus particulièrement sur les principes applicables à la qualification d’une irrégularité majeure devant entraîner le rejet d’une soumission[1].
Près d’un mois plus tard, dans l’affaire Location Martin Lalonde inc. c. Municipalité de Chelsea[2], la Cour supérieure du Québec a appliqué les enseignements récents de la Cour d’appel dans une affaire impliquant une clause de rejet péremptoire.
Fait intéressant, le même soumissionnaire évincé, Location Martin-Lalonde inc. (ci-après « Lalonde »), était la partie demanderesse.
Les faits
La municipalité de Chelsea (ci-après la « Municipalité») publie un appel d’offres public visant la collecte, le transport et la disposition de matières résiduelles sur son territoire (ci-après l’« Appel d’offres »).
Devant la Cour supérieure du Québec, Lalonde réclame à la Municipalité sa perte de profits de 757 958 $, puisqu’elle reproche à cette dernière de ne pas avoir obtenu le contrat découlant de l’Appel d’offres. Bien que la soumission de Lalonde soit la plus basse reçue, la Municipalité a appliqué une clause de rejet péremptoire en raison de l’absence de certains éléments dans ladite soumission, en l’occurrence :
- L’absence de description de l’expérience du soumissionnaire;
- Le fait qu’une seule lettre de recommandation relativement aux contrats comparables exécutés au cours des cinq années précédentes est soumise;
- La preuve quant aux équipements à être utilisés est incomplète.
Le jugement
Au moment de rendre son jugement, l’Honorable Carole Therrien avait le bénéfice des enseignements de l’arrêt Mansfield-et-Pontefract, lequel avait été rendu pendant son délibéré.
Dans son jugement, la juge cite de nombreux passages de l’arrêt Mansfield-et-Pontefract. Elle note toutefois qu’il n’était pas question d’appliquer une clause de rejet péremptoire dans cette autre affaire impliquant Lalonde. Pour cette raison, la juge retient l’argument de la Municipalité selon lequel l’arrêt Construction J. Raymond inc. c. Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw[3] demeurait pertinent et applicable aux faits en litige.
Dans l’affaire Batshaw, la Cour supérieure du Québec avait reconnu l’application de la clause péremptoire, bien qu’une seule page soit manquante à une soumission. La Cour d’appel du Québec a confirmé ce jugement en indiquant qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la qualification d’une irrégularité en présence d’une clause de rejet péremptoire. Selon la juge, dans l’arrêt Mansfield-et-Pontefract, la Cour d’appel du Québec n’a pas écarté les principes dégagés dans l’affaire Batshaw.
La juge écrit que la présence d’une clause de rejet péremptoire « cristallise le caractère essentiel des conditions qui y figurent »[4]. Son application ne peut constituer une faute contractuelle de la part de la Municipalité, malgré le rigorisme que celle-ci implique[5].
C’est seulement lorsque les conditions d’application de cette clause ne sont pas satisfaites, que le tribunal doit poursuivre son analyse afin de qualifier l’irrégularité de mineure ou de majeure[6].
La juge a d’ailleurs conclu que les conditions d’application de la clause de rejet péremptoire étaient satisfaites à l’égard des trois irrégularités soulevées par la Municipalité. Par conséquent, elle a rejeté le recours en dommages entrepris à l’endroit de la Municipalité.
Conclusion
L’affaire Location Martin Lalonde inc. c. Municipalité de Chelsea nous apparaît constituer une démonstration que l’arrêt Mansfield-et-Pontefract n’a pas écarté la jurisprudence de la Cour d’appel quant à la rigidité de l’application d’une clause de rejet péremptoire.
L’utilisation de telles clauses apparaît dès lors comme une façon d’éviter toute forme de débat entourant la qualification d’une irrégularité. Les organismes municipaux ou publics doivent cependant faire preuve de prudence, car leur utilisation à outrance pourrait amener le trésor public à devoir payer plus chers les biens, services et travaux pour répondre à leurs besoins.
- Municipalité de Mansfield-et-Pontefract c. Location Martin-Lalonde inc., 2024 QCCA 1045.
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Location Martin Lalonde inc. c. Municipalité de Chelsea, 2024 QCCS 3315.
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Construction J. Raymond inc. c. Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw, 2021 QCCA 1479.
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Location Martin Lalonde inc. c. Municipalité de Chelsea, 2024 QCCS 3315, par. 29.
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Location Martin Lalonde inc. c. Municipalité de Chelsea, 2024 QCCS 3315, par. 39.
- Location Martin Lalonde inc. c. Municipalité de Chelsea, 2024 QCCS 3315, par. 30.