Émission de cotisations à l’encontre d’un administrateur: faites attention de bien vérifier chacune des étapes menant à ces cotisations!
En octobre dernier, une décision intéressante a été rendue par la Cour d’appel du Québec portant sur la responsabilité des administrateurs. Pour ceux et celles qui doivent conjuguer avec ce type de dossier, nous savons qu’il est difficile d’obtenir gain de cause lorsqu’une cotisation est émise à l’encontre d’un administrateur en vertu de l’article 24.0.1 de la Loi sur l’administration fiscale (LAF) si le délai de deux ans n’est pas écoulé par suite de sa démission.
La décision Amiri c. ARQ, EYB 2024-555596 (C.A.Q.), est venue nous rappeler qu’avant de faire l’analyse des délais et du critère de la diligence raisonnable, il faut d’abord s’assurer que les mesures de recouvrement entreprises par l’Agence du revenu du Québec (ARQ) ont été bien suivies, puisque le non-respect des règles encadrant le processus d’émission pourrait mener à l’annulation de l’avis de cotisation.
Nous invitons donc le praticien à questionner le processus d’émission de cotisation, à vérifier les mesures précédant l’émission de celle-ci ou à faire une demande d’accès à l’information afin de vérifier si toutes les étapes ont été respectées.
Ainsi, dans les faits pertinents de cette cause, l’ARQ avait transmis à M. Amiri, le ou vers le 20 février 2014, un premier avis de cotisation lui réclamant un paiement de TVQ et un deuxième pour des retenues à la source. Dans les deux cas, il s’agissait de dettes de la société 9167-2915 Québec inc. (9167) et l’ARQ considérait que M. Amiri était administrateur de cette société.
Les avis de cotisation sont initialement émis en vertu de l’article 24.0.1 LAF qui dispose ce qui suit:
Art. 24.0.1 Lorsqu’une société a omis de remettre au ministre un montant prévu à l’article 24 ou de déduire, retenir ou percevoir un montant qu’elle devait déduire, retenir ou percevoir en vertu d’une loi fiscale ou de payer un montant qu’elle devait payer à titre d’employeur en vertu de [diverses lois fiscales] ses administrateurs en fonction à la date de l’omission deviennent solidairement débiteurs avec celle-ci de ce montant ainsi que des intérêts et pénalités s’y rapportant dans les cas suivants:
a) lorsqu’un avis d’exécution d’une saisie mobilière à l’égard de la société est rapporté insatisfait en totalité ou en partie à la suite d’un jugement rendu en vertu de l’article 13; […] [notre soulignement]
Au départ, M. Amiri a contesté ces avis de cotisation devant la Cour du Québec et son argument principal reposait sur le fait qu’il n’a jamais été administrateur de 9167. M. Amiri contestait également le fondement des cotisations de 9167 considérant que certains montants n’étaient pas dus et exigibles.
L’ARQ a produit sa défense en 2019 et elle a invoqué, pour la première fois, un nouveau fondement à son avis de cotisation émis en lien avec les retenues à la source, à savoir l’application de l’article 24.0.3 LAF qui permet de cotiser «quiconque» pour les retenues à la source non payées par une société.
L’article 24.0.3 LAF dispose ce qui suit:
Art. 24.0.3 Quiconque a le pouvoir d’autoriser, pour une personne, le paiement d’un montant assujetti à une retenue à la source prévue à l’article 1015 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3) ou de faire en sorte qu’il soit effectué et qui consent ou fait en sorte que ce montant soit versé, alloué, conféré ou payé par cette personne ou pour son compte, est tenu, solidairement avec cette dernière, aux mêmes obligations que celle-ci relativement aux sommes devant être déduites ou retenues de ce montant en vertu de la Loi sur les impôts, de la Loi sur le régime de rentes du Québec (chapitre R-9), de la Loi sur l’assurance parentale (chapitre A-29.011) et de la Loi sur la Régie de l’assurance maladie du Québec (chapitre R-5).
L’ARQ considérait que l’article 95.2 LAF lui permettait de modifier son avis cotisation, bien que cette disposition ne soit entrée en vigueur qu’en 2020. Nous rappelons que les avis de cotisation ont été transmis à M. Amiri en 2014, donc bien avant l’adoption de cette disposition.
Après trois jours de procès, M Amiri a soumis un argument additionnel selon lequel les exigences préalables à l’émission des avis de cotisation sous l’article 24.0.1 LAF n’étaient pas satisfaites, puisque l’ARQ n’avait jamais obtenu de jugement contre 9167 en lien avec la créance découlant des retenues à la source ni tenté d’exécuter celui obtenu relativement à la TVQ à l’encontre de 9167.
À noter que la contestation de ce genre de dossier se concentre généralement sur les critères que l’on retrouve à l’article 24.0.2 LAF qui énonce ce qui suit:
Art. 24.0.2 L'article 24.0.1 ne s'applique pas à un administrateur qui a agi avec un degré de soin, de diligence et d'habileté raisonnable dans les circonstances ou qui, dans ces mêmes circonstances, n'a pu avoir connaissance de l'omission visée par cet article.
De plus, le ministre ne peut cotiser un administrateur à l'égard d'un montant visé à l'article 24.0.1 après l'expiration des deux ans qui suivent la date à laquelle celui-ci cesse pour la dernière fois d'être un administrateur de la société. [nos soulignements]
Ainsi, le contribuable/administrateur qui cherche à contrer sa responsabilité tentera d’établir qu’il n’était pas un administrateur au moment des faits ou qu’il a démissionné plus de deux ans avant les faits, sinon qu’il a agi avec soin, diligence et habilité raisonnable.
Cependant, avant d’effectuer cet exercice de démonstration, il faut d’abord s’intéresser aux critères de l’article 24.0.1 LAF.
Dans l’affaire qui nous occupe, le juge de première instance a reconnu que M. Amiri était un administrateur de fait de 9167. Cette détermination n’a pas été remise en cause en appel. Il constate toutefois «que les exigences prévues à l’article 24.0.1 LAF sont des prérequis obligatoires cumulatifs et ils doivent être rencontrés par Revenu Québec pour donner ouverture à la responsabilité personnelle de l’administrateur».
Malheureusement, le juge a tout de même rejeté la demande introductive d’instance demandant l’annulation de l’avis de cotisation. Ses motifs au soutien de cette conclusion n’ont pas traité de l’argument en lien avec l’article 95.2 LAF et ont fait abstraction du fait que cet article a été adopté après que l’ARQ a modifié le fondement de la cotisation dans sa défense afin de justifier la responsabilité de l’administrateur recherchée en vertu de l’article 24.0.3 LAF.
La Cour d’appel, dans un jugement unanime, a donc conclu que le juge de première instance avait commis une erreur en se prononçant sur la validité de la cotisation sous l’article 24.0.3 LAF sans considérer le fait, qu’à la base, l’avis de cotisation émis par l’ARQ n’était pas valide.
La Cour rappelle donc qu’avant de soulever le voile corporatif et considérer que l’administrateur pourrait être tenu responsable des dettes en matière de TVQ ou de retenues à la source, l’article 24.0.1 LAF doit trouver application et tous les critères y étant énoncés doivent être rencontrés. Ainsi, l’ARQ aurait dû s’assurer d’obtenir un jugement confirmant sa créance et prouver qu’elle a tenté de l’exécuter contre la société. Or, aucune de ces conditions préalables n’a été respectée en l’espèce en ce qui a trait à la créance liée aux retenues à la source, tel que le reconnaît le juge de première instance.
À noter que ce jugement (confirmant la créance) est obtenu de manière ex parte et que le contribuable ne participe généralement pas au processus de contestation. Ainsi, dès que la dette est démontrée, le jugement est normalement obtenu, ce qui ne représente pas une tâche difficile pour l’ARQ considérant qu’il n’y a pas de contestation au stade initial.
Par conséquent, la Cour d’appel conclut donc que dans ces circonstances, l’ARQ ne pouvait pas se prévaloir de l’article 95.2 LAF, qui, en plus, n’existait pas au moment où la cotisation initiale a été émise, pour ajouter un tout nouveau fondement au soutien l’avis de cotisation et ainsi tenter de pallier les vices de fond affectant son avis initial. La Cour ajoute que l’avis de cotisation n’aurait jamais dû être émis au départ puisque l’ARQ a malheureusement «sauté» quelques étapes.
La Cour d’appel conclut donc que le juge de première instance aurait dû constater que les conditions préalables à l’émission des avis de cotisation n’étaient pas satisfaites en vertu de l’article 24.0.1 LAF et ainsi annuler les deux avis de cotisation émis à l’encontre de M. Amiri.
Cette décision nous rappelle donc qu’il est important de vérifier les étapes préalables à l’émission d’une cotisation lorsque de telles étapes existent. Les cotisations émises à l’égard des tiers constituent des exceptions en matière de cotisation et, pour cette raison, les autorités fiscales doivent suivre un processus rigoureux ne leur permettant pas de sauter certaines étapes.