Transfert d’un REER à l’«époux» à la suite du décès de l’auteur: portée de l’article 160 LIR
Exprimé en termes généraux, l’article 160 LIR prévoit que si une personne transfère des biens à certaines personnes avec lesquelles il a un lien de dépendance, tel qu’à son époux ou à son conjoint de fait, en échange d’une contrepartie qui est inférieure à la juste valeur marchande des biens transférés, le ministre du Revenu national peut établir une cotisation à l’égard du bénéficiaire du transfert pour tout ou partie de l’impôt impayé de l’auteur du transfert.
Cependant, aux fins de l’alinéa 160(1)a) LIR, peut-on considérer que le bénéficiaire désigné d’un tel transfert de biens, dans le cas d’un REER, soit encore son «époux» ou «conjoint de fait», lorsqu’il est effectué après le décès de l’auteur du transfert?
C’est la question à laquelle la CAF a été confrontée dans la récente décision Enns c. Canada.[1]
Les faits
Les faits de cette cause sont très simples. En voici un résumé.
M. Peter Enns et Mme Marlene Enns formaient un couple marié qui vivait en Alberta. Peter Enns avait nommé son épouse Marlene bénéficiaire de son régime enregistré d’épargne-retraite (REER). À son décès (2013), la juste valeur marchande du REER de Peter Enns s’élevait à 102 789,52 $, mais il avait une dette fiscale plus élevée que ce montant (146 382 $).
En exécution du transfert du REER de M. Enns à Mme Enns, celle-ci a reçu la valeur totale du REER de feu son mari. En application de l’alinéa 160(1)a) et du paragraphe 160(2) LIR, l’ARC a cotisé Mme Marlene Enns en 2017 pour le montant de 102 789,52 $, se fondant sur le fait que Mme Enns était l’«épouse» de M. Peter Enns au moment du transfert.
Après avoir vu son opposition rejetée par les autorités fiscales, Mme Enns a porté sa cause en appel à la CCI qui a rejeté son appel. Elle en a ensuite appelé de cette décision à la CAF. La CAF a accueilli l’appel de Mme Enns.
Le droit et l’analyse
Essentiellement, la question de droit que devaient trancher les tribunaux se résume comme suit:
Aux fins de l’application de l’alinéa 160(1)a) de la LIR, Marlene Enns demeurait-elle l’«épouse» de Peter Enns après son décès ?
La Cour canadienne de l’impôt
L’honorable juge Russell de la CCI[2] a relevé deux décisions de la CCI concernant une question semblable à examiner lors d’un transfert d’un REER suite au décès de l’un des époux. Cependant, ces décisions sont contradictoires. Dans la décision Kiperchuk c. La Reine[3], le juge Lamarre a conclu que la personne cessait d’être un «époux» au moment du décès. Alors qu’à l’opposé, l’honorable juge Graham dans la décision Kuchta c. La Reine[4] a plutôt considéré qu’aux fins de l’article 160 LIR, des personnes pouvaient demeurer des «époux», même après le décès de l’une d’elles.
Dans Kiperchuk, la Cour a considéré que la mort d’un époux, tout comme un jugement irrévocable de divorce, constituent des événements qui mettent fin au mariage, comme l’a mentionné la Cour supérieure de l’Ontario dans la décision Kindl Estate.[5] En conséquence, par suite du décès de M. Kiperchuk, Mme Kiperchuk, bénéficiaire du REER de son défunt mari, n’était plus son épouse et n’avait plus de lien de dépendance avec ce dernier (al. 251(1)a) et 251(2)a) LIR), étant donné que le REER ne lui avait pas été dévolu par voie successorale, mais directement par voie extra-successorale. L’article 160 LIR a donc été écarté en faveur de Mme Kiperchuk.
Pour plus de précision, au moment du décès de M. Kiperchuk, le couple était séparé et en procédure de divorce. Cependant, au décès de M. Kiperchuk, le divorce n’avait pas été prononcé. Mme Kiperchuk a été cotisée en vertu de l’alinéa 160(1)a) LIR pour la JVM des REER transmis par M. Kiperchuk (75 306 $) alors que la dette fiscale de ce dernier dépassait 837 811 $. Il est essentiel de noter également que les sommes ont été transférées à Mme Kiperchuk à titre de bénéficiaire désignée du régime et non par voie successorale.
La CCI s’est pliée à l’argument de Mme Kiperchuk soutenant qu’au moment où elle recevait les sommes du REER de son ex-mari, ils n’étaient plus époux et n’avaient plus de lien de dépendance. Cet argument avait été reconnu par la Cour dans la décision Kindl Estate.
[25] Si l’on tient pour acquis que l’auteur du transfert est l’ex‑mari, il n’était pas uni à l’appelante par les liens du mariage au moment où elle a commencé à avoir droit aux prestations du REER. En effet, le mariage prend fin à la mort d’un des deux époux ou quand un jugement irrévocable de divorce est prononcé (Kindl Estate, Re 1982 CarswellOnt 340, au paragraphe 10 (Cour supérieure de justice de l’Ontario)).
[26] Par conséquent, l’appelante et son ex‑mari n’étaient plus unis par les liens du mariage au moment du transfert étant donné que l’appelante n’était plus l’épouse de ce dernier (alinéas 251(1)a) et 251(2)a) de la Loi). Elle n’était pas non plus réputée avoir un lien de dépendance avec son ex‑mari au sens de l’alinéa 251(1)b) de la Loi, étant donné que le REER ne lui avait pas été dévolu par succession.
De plus, dans Kiperchuk, la Cour a rejeté l’argument du ministre du Revenu qui soutenait que c’est lors de la désignation du bénéficiaire qu’il faut considérer comme le moment pertinent pour établir s’il existe un lien de dépendance au sens des alinéas 251(1)a) et 251(2)a) LIR aux fins de l’alinéa 160(1)a) LIR.
Dans Enns, le juge Russell a plutôt opté pour l’approche du juge Graham de la CCI dans la décision Kuchta. Le juge Graham a procédé à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique du paragraphe 160(1) LIR.
Tout d’abord dans son analyse textuelle, le juge Graham a noté que le terme «époux» n’est pas défini dans la LIR. La définition des dictionnaires du terme «époux» décrit clairement une relation entre deux personnes vivantes, et cette relation se termine au décès de l’un des époux. Il note également qu’une acception plus familière, mais non juridique, étire et retient l’usage de ce terme même après le décès d’un époux, comme c’est le cas dans les rubriques nécrologiques.
Dans son analyse contextuelle, le juge Graham a examiné les paragraphes 146(8.91), 70(6), 72(2) et 148(8.2) LIR qui s’appliquent tous aux transferts de biens lors du décès. Ces dispositions renvoient à l’«époux» de la personne décédée, comme si le partenaire survivant demeurait un «époux» après le décès de la personne avec laquelle il était marié. Il en est de même pour la définition du terme «remboursement de primes» au paragraphe 146(1) ainsi que les paragraphes 146(5.1), 146(8.8) et 248(23.1) LIR qui renvoient à une personne qui était l’«époux» d’une autre personne immédiatement avant le décès de celle-ci. Il en a donc conclu que ces dispositions étayent la conclusion qu’un «époux» cesse d’être un «époux» au décès de l’autre personne. Par contre, la version anglaise du paragraphe 147.3(7) LIR étaye la conclusion qu’une personne cesse d’être un «époux» au décès du partenaire. Par contre, la version française indique que le survivant demeure un «époux» après le décès de la personne avec laquelle il était marié[6]. Il en a conclu en une ambiguïté dans l’interprétation du terme «époux» dans la LIR.
Son analyse téléologique a amené le juge Graham dans la cause Kuchta à mentionner que la paragraphe 160(1) LIR penchait fortement en faveur de la survie du terme «époux» pour inclure la veuve ou le veuf, au-delà du décès de son ou sa conjointe de droit. Selon le juge Graham, l’objectif de cette disposition est d’inclure tous les transferts à des personnes ayant un lien de dépendance et d’élargir la portée aux personnes sans lien de dépendance après le décès. Dans le cas plus précis du REER, le contexte du paragraphe 160(1) LIR semble avoir été formulé pour inclure le transfert des REER après le décès.[7]
En conséquence, la CCI a rejeté l’appel de Mme Enns.
La décision de la CAF
La disposition pertinente en l’espèce est l’alinéa 160(1)a) LIR, qui vise les transferts à un «époux»:
Art. 160(1) Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance — Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes:
a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait; […]
Sec. 160(1) Tax liability re property transferred not at arm's length — Where a person has, on or after May 1, 1951, transferred property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to
(a) the person’s spouse or common-law partner or a person who has since become the person’s spouse or common-law partner, …
Se référant au paragraphe 17 de l’arrêt Canada c. Livingston, 2008 CAF 89, 2008 DTC 6233, la CAF a résumé les critères dont dépendait l’application du paragraphe 160(1) LIR de la manière suivante:
[17] Étant donné la signification claire des termes du paragraphe 160(1), les critères dont dépend le déclenchement de son application se révèlent évidents:
1) L’auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert.
2) Il doit y avoir eu transfert direct ou indirect de biens au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon.
3) Le bénéficiaire du transfert doit être:
i. soit l’époux ou conjoint de fait de l’auteur du transfert au moment de celui‑ci, ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;
ii. soit une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment du transfert;
iii. soit une personne avec laquelle l’auteur du transfert avait un lien de dépendance.
4) La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.
Pour la CAF, la seule question à trancher est celle de savoir si, pour l’application de l’alinéa 160(1)a) LIR, une personne demeure l’«époux» de son partenaire décédé après le décès de la personne avec laquelle le survivant était marié juste avant le décès de celle-ci. Pour la CAF, la norme applicable serait celle de la décision correcte[8], compte tenu qu’il s’agit d’une question d’interprétation de la loi, en conséquence une question de droit. Dans le présent cas, la seule question à trancher est donc de savoir si Mme Marlene Enns était encore l’«épouse» de M. Peter Enns lorsque le REER de ce dernier a été transféré, à son décès, à Marlene Enns en sa qualité de bénéficiaire désignée du REER.
Dès le départ, la Cour note qu’un aspect important de la présente affaire est que le REER a été transféré directement à Marlene Enns et qu’il n’est pas passé par la succession de Peter Enns. Que le REER passe directement au bénéficiaire désigné (et ne passe pas par la succession du défunt) est une question de droit et, plus encore, de droit de la province concernée, commente la CAF. Si le REER faisait partie de la succession de Peter Enns, le REER (ainsi que tout autre bien faisant partie de la succession) auraient pu servir au paiement des dettes de Peter Enns (y compris sa dette fiscale).
D’ailleurs, après avoir examiné la jurisprudence, la Cour a confirmé que lorsqu’un bénéficiaire a été désigné, les REER ne font pas partie de la succession du défunt, mais sont plutôt dévolus directement au bénéficiaire désigné[9]. Il en serait de même en Alberta, province de résidence de l’appelante[10].
La CAF a ensuite révisé la décision de la CCI en procédant également par une analyse textuelle, contextuelle et téléologique.
Analyse textuelle
Étant donné que le terme «époux» n’est pas défini dans la LIR, ce terme doit être utilisé dans son sens commun. La Cour a consulté différentes sources (dictionnaires et jurisprudence) pour en venir à la conclusion que, peu importe la langue française ou anglaise utilisée, une personne n’est un «époux» que pour la période pendant laquelle elle est mariée et que, par conséquent, elle cesse d’être un «époux» lorsque le mariage prend fin. Cette interprétation a également été confirmée dans une cause en matière de citoyenneté[11]. La CF a conclu que le mariage prend fin lorsque l’une des deux personnes qui étaient mariées décède.
La Cour relève que le juge de la CCI dans la décision Kuchta a également reconnu que le mariage prend fin au décès, mais il a tout de même considéré le sens ordinaire du mot «époux» utilisé dans les conversations, les notices nécrologiques et les articles de journaux. Selon la CAF, le juge de la CCI n’aurait pas dû s’attarder à ces considérations qui n’ont d’ailleurs aucune valeur juridique.
Analyse contextuelle
Aux yeux de la CAF, le juge de la CCI a commis une erreur lorsqu’il a décidé de faire siennes l’analyse et les conclusions de la décision Kuchta, en affirmant ceci:
[41] […] on ne peut dire que le juge, en faisant son analyse dans la décision Kuchta, n’a pas tenu compte «de dispositions législatives ou de décisions antérieures qui auraient entraîné un résultat différent.»
Selon la CAF, la CCI aurait dû élargir son analyse de contexte en tenant compte de la définition de «conjoint de fait» contenue au paragraphe 248(1) LIR. Toutefois, le juge de la CCI a implicitement reconnu que les «époux» et les «conjoints de fait» doivent recevoir le même traitement, mais il ne renvoie pas à la définition légale de «conjoint de fait»:
[34] Le terme «conjoint de fait» au paragraphe 160(1) n’apporte aucune précision. Tout comme le mariage, l’union de fait prend fin au moment du décès. Tout comme les personnes utilisent les mots «femme» et «mari» pour désigner l’époux survivant, les gens utilisent «conjoint de fait» pour désigner le partenaire survivant. En fait, il est encore plus difficile de décrire le conjoint de fait survivant, car il n’existe aucun terme équivalent à «veuve» et «veuf» en anglais ou en français. Le contexte du paragraphe 160(1) appuie autant le sens juridique que le sens familier du terme «conjoint de fait» et, par conséquent, il n’aide pas à déterminer lequel a été utilisé par le législateur.[12] [Non souligné dans l’original.]
Pour la CAF, en affirmant que le contexte du paragraphe 160(1) LIR (voir Annexe 1 ci-dessous) appuyait «autant le sens juridique que le sens familier du terme «conjoint de fait»», le juge de la CCI, dans la décision Kuchta, a commis une erreur de droit. Cette définition — qui a été ajutée à la Loi en 2000 — est pertinente puisqu’il y est mention de personnes qui vivent ensemble dans une relation conjugale. Cette définition crée une présomption irréfragable («réputé») de liens conjugaux, sauf s’il y a séparation pour cause d’échec de leur relation, pendant une période d’au moins 90 jours qui comprend le moment donné. Cette définition ne fait toutefois pas allusion au décès.
Pour la CAF, le législateur ne peut avoir fait en sorte que la présomption cesse de s’appliquer en cas de séparation pour échec du mariage pour une durée de 90 jours, mais non en cas de décès d’un des conjoints. Selon la CAF, une telle interprétation littérale mènerait à un résultat absurde. Par exemple, si l’on devait exclure le cas du décès d’un conjoint de la présomption, ceci ferait en sorte que des conjoints désunis à cause du décès de l’un d’eux, ou même des deux, demeureraient des «conjoints de fait» pour l’éternité, au sens de la LIR.
Les paragraphes 251(2) et (6) LIR sont ici utiles pour déterminer l’intention du législateur quant à la portée de la présomption prévue à la définition de «conjoint de fait» prévue au paragraphe 248(1) LIR. Le paragraphe 251(2) LIR dispose que les personnes liées sont des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l’union de fait. Le paragraphe 251(6) LIR apporte des précisions au sens de «uni[s] par les liens du mariage» et «uni[s] par les liens d’une union de fait» (voir Annexe 1).
Selon la CAF, «puisque le mariage prend fin au décès de l’une des personnes mariées ensemble, lorsqu’une personne mariée décède, le survivant n’est plus uni par les liens du mariage aux personnes avec lesquelles leur partenaire décédé était uni par les liens du sang. Pour que les mêmes règles s’appliquent aux personnes unies par les liens d’une union de fait, cette relation doit également prendre fin au décès de l’un des partenaires. Sinon, le partenaire survivant continuerait d’être uni par les liens d’une union de fait aux parents et aux frères et sœurs de son partenaire décédé pour l’éternité, tandis que la personne qui était mariée cesserait d’être unie par les liens du mariage aux parents et aux frères et sœurs de son partenaire décédé au décès de ce dernier.»[13]
La CAF conclut donc qu’aux fins du paragraphe 160(1) LIR, l’«époux» doit recevoir le même traitement que le «conjoint de fait». En cas de décès de l’un des partenaires, le survivant n’est plus l’«époux» ou le «conjoints de fait» de la personne décédée.
La Cour s’empresse toutefois de préciser que ce constat ne s’applique pas nécessairement pour la totalité des dispositions de la LIR. Ainsi, les paragraphes 146(8.91), 70(6), 72(2) et 148(8.2) LIR s’appliquent tous aux transferts de biens au décès et renvoient à l’«époux» et/ou le «conjoint de fait», selon le cas, du défunt comme si l’«époux» demeurait un «époux» après le décès de la personne avec laquelle il était marié.
En conclusion de cette analyse, le paragraphe 160(1) LIR ne serait pas dépourvu de sens si l’on concluait qu’il faut y appliquer le sens ordinaire et juridique du terme «époux». La disposition s’appliquerait quand même aux transferts entre «époux» au cours de leur vie.
Analyse téléologique
La CAF s’interroge sur l’analyse de la CCI quant à l’intention du législateur de ne pas exclure le veuf ou la veuve d’un contribuable décédé de l’application de l’article 160 LIR. La CCI avait conclu qu’elle ne voyait aucune preuve ou élément permettant de croire que le législateur avait l’intention de soustraire les sommes reçues par un ex-époux ou un ex-conjoint de fait de l’application de l’article 160 LIR à la suite d’un transfert de REER après le décès de l’auteur.
La Cour rappelle qu’un particulier ne peut transférer son REER à son époux au cours de sa vie, sauf conformément au paragraphe 147.3(5) LIR, en règlement des droits découlant du mariage ou de l’échec du mariage.
La CAF mentionne également qu’en général, lorsqu’une personne désigne un bénéficiaire pour son REER, le REER est directement dévolu au bénéficiaire désigné et ne fait pas partie de la succession du défunt. Les articles 60 et 146 LIR établissent les règles concernant les conséquences fiscales en cas de décès du rentier d’un REER. En général, lorsqu’une personne désigne son époux à titre de bénéficiaire de son REER, elle n’aura pas à payer d’impôt à son décès. Le bénéficiaire désigné, s’il transfère le montant du REER à son propre REER (ou acquiert une rente admissible) (al. 60l) LIR), reportera l’obligation fiscale relative au montant placé dans le REER jusqu’à ce qu’il le retire du REER (ou de la rente admissible).[14]
La cotisation établie en vertu de l’article 160 LIR est fondée sur la juste valeur marchande du bien transféré et non sur le montant net après impôt.[15]
Mme Marlene Enns a reçu, à titre de bénéficiaire désignée, près de 102 790 $ en transfert de REER de son défunt mari, M. Peter Enns. En supposant que le législateur ait voulu que le bénéficiaire d’un tel transfert de REER après le décès de son défunt époux soit tenu responsable du montant cotisé en vertu du paragraphe 160(2) LIR en application de l’alinéa 160(1)a) LIR, ceci signifierait que ce bénéficiaire pourrait devoir retirer de ses REER les sommes ainsi reçues et être imposé sur la totalité de ce montant de 102 790 $ à titre de remboursement de primes, en plus de devoir remettre la totalité de ces mêmes sommes, soit 102 790 $, aux autorités fiscales. Ce résultat serait insensé.
Ceci ne peut avoir été l’intention du législateur.
Conclusion
En conséquence, la CAF en vient à la conclusion que le sens juridique et ordinaire du mot «époux» est celui qu’il faut retenir dans l’interprétation de ce mot pour l’application de l’alinéa 160(1)a) LIR. Aux fins de cette disposition, le terme «époux» exclut le veuf ou la veuve de l’auteur d’un transfert d’un REER reçu par cette personne à titre de bénéficiaire désigné d’un tel régime.
L’appel de Mme Marlene Enns a donc été accueilli, et le dossier retourné aux autorités fiscales pour reconsidération.
Annexe 1 — Extraits de la LIR
Art. 248(1) conjoint de fait — En ce qui concerne un contribuable à un moment donné, personne qui, à ce moment, vit dans une relation conjugale avec le contribuable et qui, selon le cas:
a) a vécu ainsi tout au long de la période de douze mois se terminant à ce moment;
b) est le père ou la mère d’un enfant dont le contribuable est le père ou la mère, compte non tenu des alinéas 252(1)c) et e) ni du sous-alinéa 252(2)a)(iii).
Pour l’application de la présente définition, les personnes qui, à un moment quelconque, vivent ensemble dans une relation conjugale sont réputées, à un moment donné après ce moment, vivre ainsi sauf si, au moment donné, elles vivaient séparées, pour cause d’échec de leur relation, pendant une période d’au moins 90 jours qui comprend le moment donné.
Sec. 248(1) common-law partner, with respect to a taxpayer at any time, means a person who cohabits at that time in a conjugal relationship with the taxpayer and
(a) has so cohabited throughout the 12-month period that ends at that time, or
(b) would be the parent of a child of whom the taxpayer is a parent, if this Act were read without reference to paragraphs 252(1)(c) and (e) and subparagraph 252(2)(a)(iii),
and, for the purpose of this definition, where at any time the taxpayer and the person cohabit in a conjugal relationship, they are, at any particular time after that time, deemed to be cohabiting in a conjugal relationship unless they were living separate and apart at the particular time for a period of at least 90 days that includes the particular time because of a breakdown of their conjugal relationship;
Art. 251(6) Personnes liées par les liens du sang — Pour l’application de la présente loi: […]
b) des personnes sont unies par les liens du mariage si l’une est mariée à l’autre ou à une personne qui est ainsi unie à l’autre par les liens du sang;
b.1) des personnes sont unies par les liens d’une union de fait si l’une vit en union de fait avec l’autre ou avec une personne qui est unie à l’autre par les liens du sang;
Sec. 251(6) Blood Relationship, etc. — For the purposes of this Act, persons are connected by …
(b) marriage if one is married to the other or to a person who is so connected by blood relationship to the other;
(b.1) common-law partnership if one is in a common-law partnership with the other or with a person who is connected by blood relationship to the other;
- Enns c. Canada, 2025 CAF 14 (CanLII), 21 janvier 2025.
-
Enns c. le Roi, 2023 CCI 28 (CanLII).
-
Kiperchuk c. La Reine, 2013 CCI 60 (CanLII).
-
Kuchta c. La Reine, 2015 CCI 289 (CanLII).
-
Kindl Estate, Re, 1982 CarswellOnt 340.
-
Supra note 1, para. 12, 13 et 14 du jugement.
-
Supra note 1, para. 15 du jugement.
-
Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33.
-
Amherst Crane Rentals Ltd. v. Perring (2004), 2004 CanLII 18104 (ON CA), 187 O.A.C. 336, aux paragraphes 3 et 4).
-
Roberts v. Roberts, 2021 ABQB 945.
-
Rahimi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 758.
-
Supra note 2, para. 34 du jugement.
-
Supra note 1, para. 44 du jugement.
-
Supra note 1, para. 55 du jugement.
- Canada c. Gilbert, 2007 CAF 136, autorisation de pourvoi à la CSC refusé, 32066 (20 septembre 2007); Kufsky c. Canada, 2022 CAF 66, par.75.