Résumé : Un tribunal d’arbitrage était saisi du congédiement d’un technicien ambulancier à qui on reprochait d’avoir voulu espionner sa collègue dans la salle de bain au moyen d’une caméra insérée dans un stylo. Le congédiement a été maintenu.
Dans l’affaire Services préhospitaliers Paraxion[1], le tribunal d’arbitrage était saisi d’un grief contestant le congédiement d’un technicien ambulancier à qui on reprochait d’avoir voulu espionner sa collègue dans une salle de bain au moyen d’une caméra insérée dans un stylo. Le tribunal s’est livré à une analyse de la crédibilité des divers témoins entendus et a conclu que la faute reprochée par l’employeur a été démontrée.
I. Faits
L’employeur est une entreprise de transport hospitalier. Le plaignant y occupe un poste de technicien ambulancier.
Sa collègue, madame A, occupe également un poste de technicien ambulancier. Ils travaillent en tandem et font fréquemment des quarts de nuit. En plus de leur horaire régulier, les deux se consultent fréquemment pour faire du temps supplémentaire lorsque celui-ci est offert. C’est d’ailleurs lors d’une affectation en temps supplémentaire, sur un quart de travail de 24 heures, que se sont produits les événements à l’origine du litige. Ce quart de travail se déroulait dans une caserne comportant trois chambres, une cuisinette, un salon et une salle de bain. Pour un quart de travail de 24 heures, les employés apportent le matériel nécessaire pour coucher sur place. Ils se déplacent ensuite selon les appels qu’ils reçoivent.
Les faits ayant mené au congédiement sont relativement simples. Au retour d’un quart de travail de 24 heures avec le plaignant, madame A demande à voir sa superviseure et dépose une plainte contre son collègue concernant un comportement indésiré. Suivant cette plainte, le plaignant est immédiatement suspendu administrativement pour enquête, sans solde.
La version de madame A est décrite en détail par le tribunal. Elle explique que lors du déplacement vers la caserne tôt le matin, le plaignant lui a demandé si elle allait prendre une douche en soirée. À ce moment, madame A ne s’est pas trop souciée de cette question. À son arrivée à la caserne, elle a déballé ses effets personnels dans sa chambre. En soirée, elle est allée à la toilette et a regardé la trousse de toilette du plaignant qui était entrouverte. Elle a alors remarqué qu’un stylo ressemblant à un stylo de marque Montblanc dépassait de l’ouverture. Par curiosité, elle a pris le stylo et a cliqué pour voir la pointe, mais sans succès. C’est alors qu’elle a découvert une lentille comme celle d’un téléphone portable au bout du stylo, pour alors réaliser qu’il s’agissait d’une caméra miniature. Elle a ensuite dévissé le stylo pour trouver une carte mémoire et une prise USB. Elle a ensuite remis le tout à sa place et a regagné le salon. Elle n’a pas parlé au plaignant de ce qu’elle venait de découvrir.
Un peu plus tard en soirée, bouleversée par ce qu’elle venait de découvrir, elle est retournée à la salle de bain et a enlevé la carte mémoire pour la cacher dans le boîtier en plastique de son appareil dentaire. Elle a glissé le boîtier dans son sac d’ambulance. Le lendemain matin, au réveil, elle a découvert que la fermeture éclair de son sac était ouverte, alors qu’elle était certaine de l’avoir fermée lorsqu’elle s’est couchée.
Le lendemain, lorsqu’elle est retournée à son domicile, elle s’est empressée d’ouvrir son sac afin de consulter le contenu de la carte mémoire sur son ordinateur. Elle a alors découvert que la carte était amputée de la portion puce électronique. Suite à ces événements, elle en a parlé à sa mère ainsi qu’à deux de ses collègues, madame B et monsieur C, qui ont également témoigné dans le cadre de la preuve patronale. Elle a décidé de signaler l’événement à son employeur et d’aller voir les policiers.
Quant au plaignant, sa version est également analysée par le tribunal. Il a essentiellement nié fermement posséder un stylo caméra et avoir fait de l’espionnage électronique. Le tribunal décrit ainsi la version qu’il a donnée à l’employeur en rencontre disciplinaire :
[118] La grille d’interrogatoire de dix pages de l’employeur a été déposée. On couvre l’ensemble de la relation entre madame A et le plaignant en posant parfois des questions fort personnelles. On peut retenir les éléments suivants :
- Le plaignant semble minimiser un peu les relations qu’il avait avec les trois autres témoins au moment de leurs études. Il reconnaît toutefois que madame A est une très bonne amie et sa partenaire de travail.
- Il nie avoir une forte attirance envers madame A quoiqu’il nuance à l’audience en reconnaissant qu’il la trouve jolie.
- On lui fait décrire sa trousse de toilette, son contenu et l’endroit où il l’a déposée. Le plaignant inclut dans sa description du contenu des stylos et crayons. Il nie posséder un objet pouvant faire de la surveillance électronique.
- On lui expose ce que madame A aurait découvert et on lui demande s’il faut conclure qu’elle aurait tout inventé. Le plaignant répond que c’est à l’employeur de tirer ses propres conclusions. De son côté, il nie catégoriquement.
- On veut savoir s’il a demandé, le matin du 11 janvier, à madame A si elle prenait une douche en soirée. Le plaignant répond négativement et, après une légère pause selon les observations du directeur des opérations, qu’il est « pas mal sûr ».
- Il nie connaître le fonctionnement d’un stylo-espion. Il nie également avoir fouillé dans les effets personnels de madame A. Il relate ses deux seules visites dans la chambre de celle-ci lors de leur faction.
- Il affirme n’avoir jamais été rencontré auparavant par des policiers en lien avec des accusations de surveillance électronique, voyeurisme ou autres du même type.
Le tribunal analyse également un élément de preuve pertinent concernant une soirée s’étant déroulée plusieurs mois auparavant. Alors que le plaignant se trouvait chez ses collègues, madame B et monsieur C, le plaignant aurait tenté d’espionner madame B par la fenêtre alors qu’elle était aux toilettes.
Également, il a été mis en preuve qu’avant de devenir technicien ambulancier, le plaignant avait étudié pendant une année en informatique et qu’il était la référence dans son groupe d’amis en matière d’ordinateur et d’accessoires. Le plaignant avait d’ailleurs déjà expliqué à ses amis, madame B et monsieur C, qu’il y avait des caméras pouvant se loger dans un stylo. Le plaignant avait pourtant nié avoir cette connaissance lorsqu’il a été rencontré par l’employeur.
II. Décision
D’abord, l’arbitre retient que la suspension pour enquête était justifiée, mais qu’elle aurait dû être avec solde, selon les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Cabiakman[2].
L’arbitre analyse ensuite soigneusement la crédibilité des témoins. Quant à la crédibilité de madame A, bien qu’il mentionne avoir perçu une certaine amertume de sa part, il retient que son témoignage était crédible et qu’elle n’a pas tenté de « noircir » le plaignant.
À l’inverse, il retient que le témoignage du plaignant n’est pas crédible. En effet, alors qu’il avait affirmé à l’employeur ne pas connaître le fonctionnement d’un stylo-espion, la preuve a révélé qu’il connaissait bien ces appareils et qu’il en avait déjà parlé auparavant avec madame B et monsieur C. Cela laissait voir qu’il avait quelque chose à cacher.
Le tribunal retient également la crédibilité de madame B et monsieur C, malgré les liens d’amitié qu’ils aient pu avoir avec madame A.
L’arbitre en arrive à la conclusion que l’employeur a rempli son fardeau de preuve et qu’il a établi, de manière prépondérante, que l’infraction alléguée a été commise.
Le tribunal souligne être en présence d’un cas où l’expression « rupture du lien de confiance » prend tout son sens. Il mentionne qu’il est intolérable qu’on puisse espionner une collègue de travail dans son intimité. Il s’agit d’une faute grave. La nature des fonctions occupées par le plaignant est un facteur aggravant, dans le contexte où il travaille sans supervision avec des personnes vulnérables.
Dans ce contexte, le tribunal conclut que l’employeur n’avait pas d’autres solutions que de congédier le plaignant.
III. Commentaires
Cette décision est une illustration intéressante de l’exercice rigoureux auquel doit se livrer le tribunal en présence de versions totalement contradictoires. Elle confirme que des gestes s’apparentant à du harcèlement sexuel ne peuvent être tolérés par l’employeur et que le congédiement est parfois la seule voie possible lorsqu’un tel manquement est démontré.
- Fédération des employés du préhospitalier du Québec et Services préhospitaliers Paraxion (Alex Gaucher), 2024 QCTA 460 (Me Alain Turcotte).
- Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d'Assurance sur la Vie, 2004 CSC 55.