Développements récents concernant la gestion contractuelle municipale
Le cadre normatif de la gestion contractuelle municipale est en évolution constante. Voici une revue de certains développement récents.
Intégrité et Charte de la langue française
Découlant des mesures législatives adoptées en 2022, un règlement du gouvernement introduira une nouvelle déclaration d’intégrité qui devra être fournie par toute personne souhaitant conclure un contrat dont la valeur est inférieure aux seuils d’application de l’autorisation de contracter. Cette déclaration n’est pas encore requise, les municipalités devant attendre la publication de la déclaration type exigée. Néanmoins, jumelée aux nouveaux pouvoirs de l’Autorité des marchés publics, cette déclaration permettra de favoriser l’intégrité, tant dans l’adjudication que dans l’exécution des contrats municipaux.
Par ailleurs, après l’entrée en vigueur, le 1er juin 2022, de certaines dispositions des modifications apportées à la Charte de la langue française, les organismes municipaux ne pourront, à compter du 1er juin 2023, conclure de contrats avec des entreprises ayant refusé l’offre qui leur a été faite, n’ayant pas convenu de services d’apprentissage ou a fait défaut de respecter les modalités convenues avec Francisation Québec. Des modifications à vos documents d’appel d’offres sont à prévoir.
De même, toujours à compter du 1er juin 2023, des dispositions de la Charte encadreront les communications dans le cadre de la conclusion et de l’exécution d’un contrat municipal.
Jugements récents
Seuil de l’autorisation de contracter : une prérogative du gouvernement
La Ville de Lorraine avait exigé la détention d’une autorisation de contracter sans référer aux seuils fixés par le gouvernement. L.A. Hébert soutenait ainsi que l’autorisation de contracter était exigée quel que soit le prix soumis. Elle s’appuyait notamment sur des documents d’appels d’offres des villes de Blainville et de Mercier qui avaient abaissé le seuil d’application de cette exigence d’admissibilité. L’entreprise soutenait que le plus bas soumissionnaire, ne détenant pas cette autorisation, ne pouvait être retenu, bien que sa soumission soit inférieure au seuil fixé par le gouvernement.
La Cour supérieure rejette cette réclamation concluant que l’interprétation de l’appel d’offres doit nécessairement tenir compte de l’ensemble du contexte tant contractuel que législatif[1]. Une telle lecture contextuelle mène à conclure, selon la Cour, qu’il revient au gouvernement et non aux municipalités d’exiger l’autorisation de contracter de l’Autorité des marchés publics lorsque la dépense envisagée est inférieure au seuil de 5 000 000 $. Ce « code complet », qualifié ainsi par le tribunal, oblige les municipalités à obtenir l’autorisation du gouvernement pour appliquer le régime à des contrats inférieurs aux seuils.
L’indexation des prix
La bonne foi n’oblige pas la renégociation d’un contrat ou de ses modalités, même dans un contexte de prix haussiers.
S’appuyant notamment sur un arrêt du plus haut tribunal du pays[2], la Cour d’appel a confirmé récemment que la Ville de Chambly n’avait pas fait preuve de mauvaise foi en refusant de revoir les prix soumis pour la revalorisation des matières résiduelles en raison d’une « crise des matières recyclables » alléguée par Ricova. En plus de confirmer l’absence de situation de force majeure, la Cour d’appel confirme que la Ville pouvait refuser d’assumer les conséquences financières de ce changement intervenu dans le marché[3].
Cette décision pourrait affecter plusieurs réclamations formulées par divers fournisseurs pour des motifs similaires.
Obligation d’information et de loyauté
La Ville de Sherbrooke échoue dans sa tentative de renverser un jugement de la Cour supérieure la condamnant à payer 2 686 492,28 $ à l’entreprise Sherax Immobilier inc. pour avoir manqué à ses obligations de renseignements, de loyauté et de collaboration dans le contexte d’un appel d’offres visant la construction d’un centre de soccer intérieur[4].
La Cour d’appel conclut que la Ville a fourni une estimation des heures sachant qu’elle ne réaliserait pas en raison de sa décision sur l’aide financière accordée à des organismes utilisateurs de l’équipement. La Cour rappelle aussi qu’en matière d’appel d’offres public, les soumissionnaires peuvent présumer que les informations fournies par la Ville sont adéquates et suffisantes. Elle souligne que la Ville était la seule à avoir une connaissance fine des besoins des organismes, de leur situation financière et surtout, de son intention de ne pas leur accorder le financement nécessaire afin d’atteindre l’objectif d’heures de location qu’elle avait elle-même prévu dans l’appel d’offres. Sherax pouvait donc se fier à l’estimation de la Ville sans se voir imposer l’obligation supplémentaire de devoir la valider.
Appel d’offres et gré à gré, ne font pas bon ménage…
Pendant la publication d’un appel d’offres visant le transport de neige pour deux arrondissements, la Ville de Montréal entreprend des discussions avec Transvrac pour effectuer les travaux qui sont visés dans l’appel d’offres. Au final, la Ville conclut, en vertu de l’article 573.3 de la Loi sur les cités et villes, un contrat de gré à gré avec Transvrac, constatant que la soumission de TMD est encore au-dessus de l’estimation. La Ville informe TMD que l’appel d’offres est annulé. Le même stratagème se reproduit lors d’un autre appel d’offres au printemps 2020.
Dans sa décision[5], la Cour d’appel confirme que la clause de réserve ne permettait pas à la Ville de négocier avec Transvrac tout en maintenant en vigueur l’appel d’offres. Cette approche négociée, concomitante au processus d’appel d’offres qui n’avait pas été annulé, contrevenait aux règles de transparence et d’intérêt public qui régissent le processus d’appel d’offres. La Ville a ainsi, selon la Cour d’appel, marchandé la soumission de TMD et la clause de réserve ne lui permet pas d’agir de la sorte.
Tendance à l’innovation
Contrairement aux lois encadrant les organismes publics à la suite de l’adoption récente du Projet de loi 12, les lois municipales ne comportent pas de dispositions spécifiques prônant et favorisant expressément l’innovation. Ce vide n’a pas pour autant empêché l’innovation dans les pratiques contractuelles.
D’une part, l’indexation des seuils obligeant l’appel d’offres public incite à réfléchir sur le contenu et les leviers d’innovation offerts par les règlements de gestion contractuelle. Plusieurs poursuivent l’objectif d’augmenter l’efficience des processus pour les contrats inférieurs aux seuils, tout en consacrant plus d’efforts aux stratégies déployées pour les contrats plus importants.
D’autre part, ces efforts forcent les acteurs à user de créativité pour tous les contrats, quelle que soit leur valeur. Nous constatons une utilisation accrue des modes non traditionnels de sollicitation et d’adjudication des contrats (qualité, avec discussion et négociation, etc.). Il en est de même en ce qui a trait aux modes de réalisation des contrats qui reçoivent plus d’attention qu’avant (gérance de construction, mode collaboratif, etc.).
Nul doute que ces tendances s’accentueront au cours des prochains mois et au gré des nombreux projets d’infrastructure lancés par les organismes municipaux.
Conclusion
Ce tour d’horizon confirme plus que jamais la nécessité de suivre attentivement les changements adoptés au cadre normatif et les nouvelles approches mises de l’avant par des organisations qui font figure de leader en gestion contractuelle.
- L.A. Hébert ltée c. Ville de Lorraine, 2023 QCCS 1020.
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Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, [2018] 3 R.C.S. 101, par. 116.
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Services Ricova inc. c. Ville de Chambly, 2022 QCCA 1599, au par. 8.
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Ville de Sherbrooke c. Sherax Immobilier inc., 2023 QCCA 554.
- Ville de Montréal c. 9150-2732 Québec inc., 2023 QCCA 567.