Interprétation récente de l’ARC: Application de l’article 10 de la Convention fiscale Canada-Israël
Dans le cadre de cette interprétation technique[1], l’ARC se penche sur l’interprétation du terme «capital» aux fins de l’alinéa 2a) de l’article 10 de la Convention entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de l’état d’Israël en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu, telle qu’amendée en 2016 (la «Convention»). Cette disposition prévoit que le taux de retenue applicable aux dividendes est réduit à 5 % du montant brut des dividendes si le bénéficiaire effectif est une société (sauf une société de personnes) qui détient directement au moins 25 % du capital de la société qui paie les dividendes.
Les faits présentés à l’ARC étaient les suivants:
- Une société résidente du Canada («Canco») émet des actions ordinaires et des actions privilégiées de catégorie «A».
- Messieurs A, B, C, D et E souscrivent chacun à 200 actions ordinaires de Canco pour un total de 1000 actions ordinaires émises et en circulation. Le capital déclaré des actions ordinaires est de 0,10 $ par action pour un capital déclaré total de 100 $ pour la catégorie d’actions ordinaires de Canco. La juste valeur marchande («JVM») des actions ordinaires est de 1,00 $ par action pour un total de 1000 $.
- M. A souscrit également à 100 000 actions privilégiées de catégorie A de Canco. Le capital déclaré total de la catégorie d’actions privilégiées et de 0,0001 $ par action pour un total de 10 $. La valeur de rachat des actions privilégiées est de 1 000 000 $. La JVM des actions privilégiées est donc de 10 $ par action. Les actions privilégiées de catégorie A sont non-votantes.
- M. A vend les 100 000 actions privilégiées de catégorie A de Canco à une société résidente de l’état d’Israël («Israëlco») pour une contrepartie égale à la JVM des actions.
- Les actions privilégiées de catégorie A de Canco sont par la suite rachetées pour un produit de rachat égal 1 000 000 $ ce qui correspond à la valeur de rachat des actions.
La question posée à l’ARC concernait l’interprétation du mot «capital» utilisé à l’alinéa 2a) de l’article 10 de la Convention dans le but de déterminer si le taux de retenue de l’impôt de la Partie XIII LIR applicable à l’égard du dividende réputé résultant du rachat par Canco des actions privilégiées de catégorie A peut être réduit à 5 % du montant du dividende. Dans tous les cas, le taux de retenue de 15 % prévu à l’alinéa 2b) de l’article 10 de la Convention pourrait s’appliquer au dividende réputé.
Le paragraphe 2 de l’article 10 (incluant les al. a) et b)) de la Convention se lit comme suit:
2. Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l'État contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident et selon la législation de cet État, mais si le bénéficiaire effectif des dividendes est un résident de l'autre État contractant, l'impôt ainsi établi ne peut excéder:
- 5 p. 100 du montant brut des dividendes, si le bénéficiaire effectif est une société (sauf une société de personnes) qui détient directement au moins 25 p. 100 du capital de la société qui paie les dividendes;
- 15 p. 100 du montant brut des dividendes, dans les autres cas.
Le présent paragraphe n'affecte pas l'imposition de la société au titre des bénéfices qui servent au paiement des dividendes.
Dans l’interprétation du terme «capital» l’ARC réfère à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Crown Forest industries Ltd. c. Canada ([1995] 2 RCS 802) dans le cadre duquel la CSC indique que dans l’interprétation des dispositions d’une convention internationale, l’intention des parties ainsi que le libellé d’une disposition doivent être considérés. Il en va de même pour les documents extrinsèques comme le Modèle de convention fiscal de l'OCDE. La CSC a plus récemment réitéré ces préceptes dans l’arrêt Canada c. Alta Energy Luxembourg S.A.R.L. (2021 CSC 49).
Le paragraphe 15 des commentaires de 2014 de l’OCDE relativement à l’article 10 du Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune (15 juillet 2014) indique ce qui suit relativement à la notion de «capital»:
15. À l’alinéa a) du paragraphe 2, le terme «capital» est utilisé à propos du traitement fiscal des dividendes, c’est-à-dire des distributions de bénéfices faites aux actionnaires. Ce rapprochement exige que, pour l’application de l’alinéa a), ce terme soit employé dans le sens qui est à retenir aux fins des distributions à l’actionnaire (en l’occurrence, la société mère).
a) En règle générale, il y a donc lieu de prendre le terme «capital» de l’alinéa a) tel qu’on l’entend au sens du droit des sociétés (nos soulignements). D’autres éléments, et notamment les réserves, ne sont pas à prendre en considération.
b) Le capital, au sens du droit des sociétés, devra être indiqué d’après la valeur nominale totale des actions qui, dans la plupart des cas, apparaîtra au poste «capital» du bilan de la société (nos soulignements).
c) Il n’y a pas lieu de tenir compte des différences dues à la diversité des parts sociales émises (actions ordinaires, actions privilégiées, actions à vote plural, actions sans droit de vote, actions au porteur, actions nominatives, etc.), car ces différences ont plus trait à la nature des droits dont dispose l’actionnaire qu’à l’importance de la participation au capital.
d) Lorsqu’un prêt ou un autre apport à la société ne représente pas du capital, au sens strict de la législation sur les sociétés, mais lorsque sur la base du droit ou des usages internes (sous-capitalisation, assimilation d’un prêt à du capital social), le revenu qui en provient est considéré comme un dividende par l’article 10, la valeur de ce prêt ou de cet apport doit aussi être considérée comme du «capital» au sens de l’alinéa a).
e) Lorsque les organismes n’ont pas de capital au sens de la législation sur les sociétés, on comprend sous ce terme, pour l’application de l’alinéa a), le total des apports dont il est tenu compte pour distribuer les bénéfices.
Les États contractants ont la faculté, dans leurs négociations bilatérales, de s’écarter du critère «capital» retenu à l’alinéa a) du paragraphe 2 et d’utiliser, par exemple, le critère «droit de vote». (nos soulignements).
Ainsi, le capital déclaré des actions privilégiées de catégorie A de Canco détenues par Israëlco est donc le montant qui doit être considéré afin de déterminer si les conditions de l’alinéa 2a) de l’article 10 de la Convention sont respectées. Étant donné qu’Israëlco détient moins que 25 % du «capital» de Canco considérant le capital déclaré corporatif total de Canco, le taux réduit de 5 % n’est pas applicable au dividende réputé de 999 000 $ résultant du rachat des actions privilégiées de catégorie A de Canco. Selon l’alinéa 2b) de l’article 10 de la Convention, le taux de 15 % pourrait être applicable.
Bien que dans bon nombre de conventions fiscales, le taux réduit de retenue de 5 % à l’égard de dividendes est uniquement fonction de la détention d’actions conférant des droits de vote à hauteur de 10 % dans la société qui paie le dividende, le critère de détention du capital dans la société qui paie le dividende est utilisé relativement fréquemment, comme dans la Convention fiscale entre le Canada et la France. Cette interprétation technique apporte donc des précisions utiles dans l’interprétation de ce concept.
- ARC, Interprétation technique (TWF) 2019-0820291E5, Meaning of «capital», 14 décembre 2023 (Art. 10 de la Convention fiscale Canada-Israël; par. 84(3) et 212(2) LIR).