Résumé : le Tribunal administratif du travail a confirmé la destitution d’un contremaître aux travaux publics en raison d’une utilisation inappropriée et à des fins personnelles des outils informatiques de la Ville. La défense de cyberdépendance qu’il invoquait a été rejetée par le Tribunal en raison de la faible valeur de la preuve présentée.
Le Tribunal administratif du travail s’est prononcé sur le bien-fondé de la destitution imposée à un contremaître du Service des travaux publics à qui l’on reprochait d’avoir utilisé les outils informatiques de l’employeur à des fins inappropriées et personnelles. Le juge administratif devait déterminer si le moyen de défense invoqué par le plaignant, soit son problème de cyberdépendance, était suffisant pour faire échec à la destitution(1).
I. Faits
Le plaignant travaille comme contremaître au Service des travaux publics et relevait du chef de division de ce service. Il est responsable du personnel d’entretien des bâtiments municipaux et des gardiens de parc. Il a une dizaine d’employés réguliers sous sa supervision et entre 12 et 18 saisonniers. Il passe environ 60 % de son temps de travail sur la route afin de se rendre aux différents endroits où ses équipes sont déployées. Il travaille donc avec peu de supervision et est le seul cadre en fonction pendant une part appréciable de son temps de travail.
En juin 2018, ses supérieurs rencontrent une conseillère en ressources humaines pour obtenir des conseils sur la gestion de son rendement qu’ils trouvent défaillant. Une des raisons pour laquelle ils estiment que son rendement est inadéquat est qu’ils considèrent qu’il passe trop de temps à l’ordinateur. De plus, ils constatent beaucoup d’erreurs dans la planification des remplacements et il utilise parfois un ton inapproprié envers les employés. Lors de cette rencontre, ils apprennent que le salarié a un historique disciplinaire en ce qui concerne l’utilisation des outils informatiques de l’employeur (suspension de 10 jours au mois de mai 2016).
En juillet 2018, une rencontre a lieu avec son supérieur et le directeur de l’arrondissement pour faire le point sur son rendement. Les attentes de l’employeur sont communiquées à ce moment et il est convenu qu’un suivi de performance sera fait quelques mois plus tard.
Une seconde rencontre a lieu le 21 septembre 2018 où on aborde à nouveau les problématiques. Le plaignant admet avoir une problématique, mais l’attribue à un problème de concentration dû à sa situation de famille. Ses supérieurs l’invitent à entreprendre des démarches pour obtenir de l’aide et l’avisent qu’à défaut d’amélioration, d’autres mesures pourraient lui être imposées.
En parallèle des rencontres mentionnées ci-dessus, un mandat est confié au Bureau du contrôleur général de la Ville afin qu’une surveillance de l’utilisation de son ordinateur soit réalisée. Cette surveillance est effectuée du 23 août 2018 au 5 octobre 2018. Il ressort de cette analyse que le plaignant passe 40 heures et 45 minutes sur Internet durant cette période, mais que 12 heures et 20 minutes ne sont pas consacrées à des activités reliées au travail. Il s’agit de consultations sur des sites de rencontre.
Suivant cette analyse, le plaignant est convoqué le 12 octobre 2018 à une rencontre au sujet de l’utilisation des outils informatiques de l’employeur. La rencontre n’a finalement pas lieu, car lorsqu’il se présente à ladite rencontre, il remet un billet médical qui prescrit un arrêt de travail. Le diagnostic est un trouble de l’adaptation. La rencontre est donc remise au moment où il sera rétabli.
Le 13 mars 2019, son médecin traitant autorise un retour progressif à compter du 18 mars de la même année. Suivant son retour au travail, l’employeur le convoque à nouveau à une rencontre disciplinaire concernant l’utilisation des outils informatiques. Cette rencontre doit avoir lieu le 20 mars 2019. Revirement dans le dossier; l’Association des cadres municipaux de Montréal, dont le plaignant est membre, transmet une lettre à l’employeur afin de demander un accommodement en raison de problèmes de cyberdépendance. La lettre est accompagnée de plusieurs documents (dont des documents médicaux).
La rencontre du 20 mars 2018 a lieu et le plaignant admet les faits qui lui sont reprochés. Cependant, il explique son comportement en raison de sa dépendance à Internet.
Le 10 avril 2019, l’employeur confirme au plaignant qu’il ne retient pas ses explications pour justifier son comportement. Il l’avise donc de sa destitution avec effet rétroactif au 20 mars précédent. Les motifs de sa destitution sont les suivants :
- Utilisation des outils informatiques de la Ville à des fins non reliées au travail sur les heures du travail;
- Réclamation de temps supplémentaire lors de journées où il a utilisé les outils informatiques de la Ville à des fins non reliées au travail;
- Visionnement d’images et vidéos à caractère sexuel sur des outils informatiques appartenant à la Ville;
- Installation et utilisation d’applications de sites de rencontre sur des outils informatiques appartenant à la Ville.
L’employeur considère que ces manquements constituent une faute grave et que la justification fournie n’est pas suffisante pour démontrer une dépendance.
Le plaignant a déposé une plainte en vertu des articles 71 et 72 de la Loi sur les cités et villes pour contester sa destitution.
II. Analyse
D’abord, le Tribunal administratif du travail devait se questionner afin de déterminer si le plaignant était aux prises avec un réel problème de dépendance et ainsi, être considéré comme étant porteur d’un handicap. À cet égard, le Tribunal conclut ce qui suit :
- Le billet médical du médecin traitant faisant la seule mention d’une cyberdépendance est considéré comme étant laconique. En effet, le médecin traitant fait plutôt état de l’existence de diagnostics déjà présents qu’il n’a pas lui-même constatés, dont celui de cyberdépendance;
- De plus, le Tribunal, en analysant les notes médicales, constate que le médecin ne pose aucun diagnostic sur la cyberdépendance; il constate uniquement que le plaignant reconnaît son problème de cyberdépendance/dépendance affective;
- Quant au rapport du psychiatre réalisé à la demande de l’Association, le juge l’écarte en raison de sa faible valeur probante à la lumière de l’interrogatoire du médecin lors de l’audience, qui révélait une analyse peu convaincante des critères applicables au diagnostic de cyberdépendance.
Suivant ce qui précède, le Tribunal conclut que l’employeur était justifié de rejeter la demande d’accommodement et d’avoir traité le dossier du plaignant suivant une approche disciplinaire.
Après cette analyse, le Tribunal devait décider si la destitution était justifiée. Selon le juge administratif, malgré que le plaignant ait reconnu ses torts, il n’en demeure pas moins qu’il a été rémunéré pour des heures qu’il n’a pas travaillées. À cet égard, le juge note qu’il y a cinq jours où le plaignant a passé entre 1h30 et trois heures sur Internet à des fins personnelles. De plus, il note que le 20 septembre 2018, le plaignant a même été rémunéré en temps supplémentaire pour trois heures, alors qu’il a consacré 1h50 à des fins personnelles sur Internet. Qui plus est, selon le Tribunal, tout cela survient dans le contexte où ses supérieurs lui avaient signalé des problématiques sur son rendement. À cela s’ajoutait sa suspension antérieure de 10 jours pour une utilisation inappropriée des outils informatiques de la Ville.
Finalement, le plaignant jouissait d’une grande autonomie dans son travail, ce qui constituait un facteur aggravant.
III. Commentaires
Cette décision est une belle illustration du fardeau de preuve requis lorsqu’un salarié invoque un problème de cyberdépendance, qui est effectivement un diagnostic reconnu par le DSM-V. En effet, il ne suffit pas de l’alléguer pour déclencher une obligation d’accommodement. Il faut une preuve médicale solide pour appuyer ce diagnostic, ce qui n’était pas présent en l’espèce.
- Tassé c. Montréal (Ville de), 2022 QCTAT 3516.