Le 7 février dernier, le juge Lapierre de la Cour du Québec rendait une décision traitant des avantages à l’actionnaire. La composante intéressante de cette décision se situe au niveau de l’usage du contrat apparent et de la contre-lettre faits par le contribuable.
En effet, il n’est pas rare d’utiliser une contre-lettre dans le cadre de transactions entre deux parties. Cependant, il faut s’assurer d’un usage constant de cet outil et bien refléter cet usage dans nos livres comptables.
Ainsi, dans l’affaire Mondor c. Agence du revenu du Québec(1), M. Jacques Mondor (ci‑après «Mondor») avait pris sa retraite en 1985 et avait vendu tous les immeubles à revenus que détenait sa société, Les Résidences Beau Rivage inc. (ci-après «RBR»). Dans les années subséquentes à ces ventes, Mondor a vécu des différents placements qui ont remplacé les immeubles dans le patrimoine de RBR et des rentes gouvernementales pour aînés.
En 1994, Mondor a acquis une maison ancestrale, par le biais de RBR, pour y résider puisque c’est cette dernière qui avait les fonds nécessaires. Au moment de l’audition, Mondor habitait toujours cette résidence. Pendant quelques années, cette résidence a été louée l’hiver pendant que Mondor était en Floride. Cependant, dans les dernières années, celui-ci l’habitait à temps plein. RBR a toujours payé pour tous les frais reliés à la résidence.
En 2013, Mondor a transféré la résidence à son nom suivant un acte de cession pour un prix de 300 000 $. Cependant, la valeur de l’immeuble au moment de la transaction était plutôt de 600 000 $. L’acte de cession contient la déclaration des parties suivante:
«Cette cession est aussi faite pour reconnaître les droits, titres et intérêts du cessionnaire dans l’immeuble ci-dessus, depuis l’achat par le cédant conformément aux termes d’une convention intervenue entre eux le vingt-trois (23) juin mille neuf cent quatre-vingt-quatorze (1994), à l’effet que le cédant et le cessionnaire étaient propriétaire de l’immeuble faisant l’objet des présentes, dans les proportions de cinquante pour cent (50 %) indivis chacun, dont copie de ladite convention demeure annexée à l’original des présentes après avoir été reconnu véritable et signé par les parties en présence du notaire soussigné».
La convention en question (la «contre-lettre») stipulait que l’immeuble résidentiel acquis en 1994 par RBR appartenait en réalité en indivision à RBR et Mondor, à raison de 50 % chacun. Le document précisait qu’il ne doit être divulgué à personne d’autre que les conseillers juridiques de ses signataires, ceux-ci souhaitant que seule RBR apparaisse propriétaire aux yeux des tiers et du public.
L’ARQ a pris connaissance de ce document en 2013 dans le cadre d’un programme de surveillance des transactions entre personnes liées.
Une vérification a été engagée par l’ARQ et celle-ci a jugé qu’elle n’était pas liée par la contre-lettre. Elle a donc attribué à Mondor un avantage à l’actionnaire de 300 000 $, ce qui représentait la différence entre la juste valeur marchande de l’immeuble et le prix inscrit à l’acte de cession. RBR a également été cotisée. À la suite des oppositions déposées pour ces deux contribuables, une décision a été émise par l’agent d’opposition maintenant les nouvelles cotisations.
Les questions en litige étaient les suivantes:
- Les cotisations en litige concernent-elles des années prescrites?
- Si non, les appelants ont-ils réussi à renverser la présomption de validité des cotisations?
- Si oui, l’ARQ a-t-elle néanmoins démontré par preuve prépondérante le bien-fondé de ses cotisations?
Dans son analyse, le juge résume les règles en lien avec le fardeau de preuve et il rappelle que la Loi sur les impôts du Québec (ci-après «LI») prévoit que la valeur d’un avantage consenti par une société à son actionnaire doit être incluse dans les revenus de celui-ci pour l’année en cause.
Ainsi, un bien transmis par une société à son actionnaire est réputé aliéné à sa juste valeur marchande, indépendamment du prix contenu à l’acte translatif. Lorsqu’il existe une contre-lettre, celle-ci a un effet entre les parties, mais non envers les tiers de bonne foi, qui peuvent à leur choix se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre.
Le juge rappelle que ce principe général reçoit toutefois une application particulière en matière fiscale:
«Si elle peut être considérée comme un tiers au sens de l’article 1452 C.c.Q. lorsqu’elle perçoit les montants qui lui sont dus, l’ARQ reçoit généralement un statut différent quand elle exerce ses pouvoirs de cotisation à l’égard d’un justiciable. L’idée derrière cela est que «l’intérêt» de l’ARQ au sens de l’article 1452 C.c.Q. n’est pas de percevoir le plus d’impôt possible, mais bien de cotiser le justiciable en fonction de la réalité économique de l’opération en cause.
Cette règle reçoit à son tour exception lorsqu’une contre-lettre constitue un trompe-l’œil ou qu’elle est utilisée pour permettre au contribuable de «jouer sur deux tableaux» en faisant valoir à l’Agence, au gré de ses intérêts fiscaux, tantôt l’apparence, tantôt la contre-lettre.»
D’entrée de jeu, la Cour mentionne que la prescription dans ce dossier n’est plus un enjeu au moment de l’audience.
Par la suite, les commentaires du juge laissent entrevoir le résultat de son analyse, en mentionnant que Mondor a utilisé la contre-lettre au cours des années pour «jouer sur les deux tableaux» à l’égard de la situation fiscale de la résidence.
Il ressort des faits que pendant 20 ans, les parties ont choisi de se comporter de manière conforme au contrat apparent, à savoir que seule RBR était propriétaire. Le prix d’achat a été entièrement acquitté par RBR et Mondor «n’a jamais mis un sou» dans l’acquisition de cette résidence. Cette façon de faire a été dictée du fait que RBR détenait tous les capitaux suivant les ventes d’immeubles. Tous les frais en lien avec la résidence ont été assumés par RBR: taxes foncières et scolaires, assurances, électricité, entretien, etc.
Toutes les déclarations de revenus de RBR ont toujours été faites en fonction du contrat apparent. Cela inclut les revenus de location des premières années, à l’exception d’une appropriation de fonds découverte et cotisée par l’ARQ pour l’année 2004.
Cette vérification avait également démontré que Mondor ne s’était jamais imputé de revenu à l’égard de l’avantage que constituait le fait d’habiter une résidence appartenant à sa société, alors que cette dernière en assumait toutes les dépenses.
Suivant la vérification, Mondor avait commencé à s’imposer à chaque année un avantage imposable de 7 200 $. Cette somme avait été établie par l’ARQ comme représentant la moitié de la valeur locative de l’immeuble, non pas en raison d’une indivision entre Jacques Mondor et RBR, ce que l’ARQ ignorait, mais bien parce que l’immeuble n’était occupé par Jacques Mondor que pendant la moitié de l’année. Ce montant de 7 200 $ est demeuré inchangé jusqu’en 2013.
Aucun avantage à l’actionnaire n’a été inclus en lien avec le capital de 137 500 $ (valeur de l’immeuble) de la résidence dans les revenus de Mondor, qui a pourtant bénéficié de ce capital sans jamais le rembourser.
Il ressort de la décision que les parties se sont comportées en suivant le contrat apparent pendant toute la durée de la détention de l’immeuble par RBR et ce, à la vue de tous, y compris de l’ARQ.
À cet effet, le tribunal mentionne que les parties peuvent bien convenir privément de modalités différentes de celles qu’ils affichent au grand public, puisqu’une contre-lettre n’a rien d‘illégal au Québec et cela ne regarde pas les autorités fiscales. L’apparence pourra prévaloir si elle reflète la réalité et si les parties se sont comportées en conséquence pendant la détention.
Le problème avec le comportement des parties résulte du fait que celles-ci ont décidé d’agir différemment à compter de 2013.
La preuve n’est pas claire à cet effet, mais il semble qu’en 2013, quelqu’un a réalisé que la cession d’un immeuble de 600 000 $ par RBR à Mondor sans autre considération que des écritures comptables d’une valeur de 300 000 $ risquait de générer un impôt sur la différence entre ces deux valeurs en vertu de l’article 111 LI. C’est à ce moment que les parties ont décidé de se référer à la convention datée du 23 juin 1994 et d’opposer à l’ARQ les parties détenaient l’immeuble à 50 % chacun.
Le Tribunal est alors d’avis que l’arrivée de la contre-lettre en 2013 a pour effet de modifier la façon dont se sont comportées les parties et elle permet ainsi à Mondor d’épargner environ 77 000 $ d’impôt sur un avantage à l’actionnaire de 300 000 $.
Les revenus de location, les dépenses de l’immeuble et les déductions y relatives, le non-paiement du prix de vente de 137 500 $, l’avantage que cela représente ou le rendement sur ce capital, tout cela aurait clairement été traité différemment si l’immeuble avait été présenté comme une copropriété depuis le début et non depuis 2013. Suivant cette hypothèse, l’avantage imposable à l’actionnaire de 300 000 $ n’aurait donc pas été considéré au moment de la cession de l’immeuble par la société en 2013.
Si au contraire, on choisit le régime fiscal de la propriété exclusive, régime qui fut adopté pendant les 20 premières années, alors il faut continuer dans cette voie lors de la revente et reconnaître que l’avantage résultant de la cession de l’immeuble correspond à 600 000 $, dont seulement 300 000 $ sont compensés par des écritures comptables, laissant subsister un avantage imposable de 300 000 $. Le tribunal a choisi de suivre cette voie.
La problématique dans ce dossier résulte du fait qu’il y a eu un changement au niveau de la façon de faire des parties qui ont voulu bénéficier des avantages de la contre-lettre, mais après plusieurs années où elles avaient agi suivant le contrat apparent. Le fait de changer la façon de faire aurait dû être constaté par des ajustements au niveau fiscal. Malheureusement, on ne peut, comme le mentionne le juge, «jouer sur deux tableaux» sans risquer d’en assumer les conséquences à un certain moment... Ainsi, il ressort de cette décision que la lettre-contre aurait pu être opposable à l’ARQ si les parties s’étaient comportées en fonction de celle-ci depuis sa création.
- 540-80-008091-214, entendu en même temps que la décision Résidences Beau Rivage inc. c. Agence du revenu du Québec, 540-80-008092-212 (2022 QCCQ 415), 7 février 2022.