Bravo! Vous avez enfin décidé de mettre en place «votre» fiducie et vous êtes donc en voie de bénéficier des avantages fiscaux et du niveau de flexibilité qu’une telle entité permet d’atteindre. En ayant bien pris soin de s’assurer de la mettre en place pour souscrire à des actions toutes neuves et n’ayant pas de valeur excédant le montant de la souscription, vous vous êtes assurés d’avoir des actions en sécurité dans la fiducie. Vous vous êtes documentés sur Internet et votre conseiller en fiscalité vous a averti que le compte bancaire de la fiducie n’est pas votre poche.
Malgré toute cette information, il y a plusieurs façons de s’assurer de frapper un mur avec votre fiducie.
Premier truc: Faire prendre des risques financiers par la fiducie
L’un des buts de la fiducie est souvent la protection du patrimoine. Ainsi, l’entrepreneur qui se voit contraint à cautionner certaines obligations de sa société par actions opérantes peut également voir sa fiducie contrainte à la même chose. Or, comme la fiducie doit détenir des actions de la société opérante, il est impératif que la fiducie ne prenne pas de risques financiers.
Ce truc s’exprime plus complètement par:
«Faire cautionner personnellement et par la fiducie tous les emprunts des sociétés opérant des entreprises présentant des risques financiers et de manière plus générale, prendre des risques financiers dans la fiducie.»
À l’inverse, il est donc recommandable de ne jamais faire cautionner quelque obligation par la fiducie familiale.
Deuxième truc: Être généreux avec sa fiducie
Ce truc s’exprime plus complètement par:
«Déposer des fonds personnels dans la fiducie familiale sans documenter leur provenance et leur nature, définir et payer un taux d’intérêt raisonnable ou lui consentir des donations.»
Il est de l’essence d’une fiducie qu’elle génère elle-même ses avoirs. Le lingot ou la pièce de métal précieux, c’est pour justement éviter qu’un bien fongible se retrouve dans la fiducie.
Pour mettre en place une fiducie, une seule personne a le droit d’être généreuse: son constituant. Étant donné qu’il est impératif que la fiducie ne voie pas les règles de «droit de retour» s’appliquer, il ne faut pas qu’un bien puisse revenir à quelqu’un qui est bénéficiaire. Donc l’entrepreneur au cœur de la fiducie qui est bénéficiaire pourrait être tenté d’injecter de l’argent personnel et de ne pas le réclamer ni exiger des intérêts.
Troisième truc: Parsemer ses bénéfices sans précaution
Ce truc s’exprime plus complètement par:
«Attribuer des dividendes reçus par la fiducie à des particuliers déterminés sans vérifier s’ils sont assujettis à l’impôt sur le revenu fractionné relativement à ces dividendes.»
Avez-vous entendu parler des règles d’attribution et de l’impôt sur le revenu fractionné? Les règles d’attribution, ce sont de petites conséquences comparativement à l’impôt sur le revenu fractionné. En effet, le revenu est réattribué à la personne à qui il reviendrait normalement considérant ces règles. Alors si le revenu de cette personne qui se voit réattribuer est en dessous du dernier seuil, l’impôt est tout de même limité et toutes les déductions fiscales possibles peuvent être utilisées. Cependant, si les règles de l’impôt sur le revenu fractionné s’appliquent, le taux applicable est au maximum et les déductions fiscales sont particulièrement limitées.
Quatrième truc: Contourner la règle du fiduciaire indépendant
Ce truc s’exprime plus complètement par:
«Confier la charge de fiduciaire indépendant de la fiducie à une personne qui n’est pas vraiment indépendant.»
La règle du fiduciaire indépendant est formulée de manière à s’assurer qu’au moins l’un des fiduciaires n’est ni constituant ni bénéficiaire. C’est l’article 1275 du Code civil du Québec (CcQ) qui vise, selon les commentaires du ministre de la justice de l’époque à permettre:
«… au constituant de participer au fonctionnement de la fiducie à laquelle il a donné l’élan premier, et au bénéficiaire d’exercer un certain droit de regard dans la prise de décisions qui le concernent, tout en assurant à la gestion fiduciaire un minimum d’objectivité.»
Une société peut être bénéficiaire d’une fiducie. Un individu peut être le seul actionnaire d’une société. Mais est-ce que cet individu peut jouer le rôle du fiduciaire indépendant? Est-ce que cet actionnaire peut jouer le rôle du fiduciaire indépendant pour la fiducie? Nous n’irons pas jusqu’à affirmer qu’un individu dans une telle situation ne peut jouer le rôle du fiduciaire indépendant. Toutefois, nous ne recommandons pas qu’un tel fiduciaire joue ce rôle et surtout qu’il agisse seul dans une telle structure organisationnelle.
L’affaire Spicer(1) tend à démontrer que la question du fiduciaire indépendant n’est pas simple, puisque le concept de bénéficiaire est potentiellement suffisamment large pour inclure les bénéficiaires indirects. Pour reprendre les termes du juge Hurtubise, l’article 1275 CcQ «est clair et non ambigu et doit être respecté même si le conflit n’est que potentiel».
Cinquième truc: Choisir des fiduciaires inadéquats
Ce truc s’exprime plus complètement par:
«Choisir, comme fiduciaires indépendants, des personnes avec qui un conflit avec l’entrepreneur au coeur de la fiducie pourrait rendre la fiducie ingérable (nommément: le conjoint, les associés, les employés).»
Il y a des histoires vécues de déchirement qui font comprendre pourquoi il faut bien choisir ses fiduciaires. Imaginez que vous vendez les actions de votre société à un acheteur qui a clairement l’intention de congédier votre fiduciaire indépendant à la première occasion. Vous risquez d’avoir des difficultés à obtenir des signatures et de la collaboration par la suite. Il y a selon moi des personnes avec qui vous avez un droit inaliénable d’avoir des différents et par conséquent, ces personnes ne devraient pas être désignées pour jouer le rôle du fiduciaire indépendant.
Sixième truc: Choisir une date de constitution en l’air pour la fiducie
Ce truc s’exprime plus complètement par:
«Antidater la constitution de la fiducie et faire attester de la date par des personnes qui savent que la date est erronée.»
Dans une fiducie, il y a un minimum de trois témoins, plus le personnel du professionnel qui le met en place… C’est une question d’intégrité point. Par ailleurs, il y a lieu de se questionner sur la validité des actes pré-constitutifs…
Septième truc: Mettre les ressources d’une entreprise en démarrage dans une fiducie
Ce truc s’exprime plus complètement par:
«Constituer la fiducie trop tôt dans la vie d’une entreprise, avant de voir si l’entreprise en démarrage va réellement prendre son envol.»
C’est bon d’avoir une fiducie s’il y a des raisons de le faire. Par contre, il faut préciser que les coûts de mise en place ne sont pas nécessairement la priorité pour une entreprise en démarrage.
Huitième truc: Mettre une fiducie en place alors qu’elle ne donnera aucun avantage avant longtemps
Ce truc s’exprime plus complètement par:
«Constituer la fiducie trop tôt dans la vie financière d’un entrepreneur.»
Il y a des entrepreneurs qui créent leur entreprise à 20 ans, sont millionnaires avant d’en avoir 30 et qui n’ont des enfants que plus tard… Les lois limitent les possibilités de fractionner le revenu avec des personnes liées, sauf si la Loi leur reconnait, d’une certaine manière, de l’avoir gagné eux-mêmes. Il est donc adéquat de s’assurer que les possibilités d’obtenir des avantages fiscaux à l’entrepreneur lorsque sa situation familiale offre des possibilités de relève et de transfert familial. Il y a aussi la règle de disposition réputée au 21e anniversaire de la fiducie qui peut changer la donne.
Souvent, il est plus intéressant de mettre la fiducie en place lorsque la valeur des actions de l’entrepreneur au cœur de cette démarche est en voie d’atteindre le montant du compte de déduction pour gain en capital disponible pour l’entrepreneur. En fait, c’est même souvent à ce moment que l’élément «familial» de la fiducie prend tout son sens.
Neuvième truc: Transférer des biens inutilement à la fiducie
Ce truc s’exprime plus complètement par:
«Transférer une résidence admissible à l’exonération pour gain en capital sur une résidence principale.»
Depuis 2016, ce n’est plus intéressant de transférer une résidence à une fiducie familiale. Il peut rester intéressant de le faire avec une fiducie de protection d’actifs, mais autrement, la perte potentielle de l’exonération de gain en capital sur les résidences «principales» reste dissuasive.
Dixième truc: Ne pas tenir compte des incidences fiscales transfrontalières
Ce truc s’exprime plus complètement par:
«Constituer une fiducie pour des non-résidents canadiens sans s’assurer que les effets désirés seront présents et qu’il n’y aura pas d’effets indésirables, en gros, ne pas gérer la fiscalité transfrontalière.»
Mais en fait, ce n’est pas sorcier, dès qu’un non-résident du Canada intervient dans une fiducie ou qu’il est susceptible de cesser de résider au Canada, il reste important de bien analyser la situation afin de prévoir des solutions adéquates.
Truc Boni: Avoir une foi aveugle que la fiducie nous protège de tout
Une fiducie, c’est fait pour détenir des biens et ne pas les voir réattribuer à quelqu’un d’autre après coup. L’affaire Karam(2) devrait éclairer la question de la levée du voile fiduciaire dans un contexte matrimonial lorsque la Cour suprême du Canada rendra sa décision. Cette affaire est en délibéré. Toutefois, en attendant il reste les situations plus évidentes où une fiducie ne fonctionne pas et ses biens peuvent être saisis par les créanciers d’un bénéficiaire ou d’une personne qui en bénéficie.
Ce dysfonctionnement parait évident dans les situations disons, de mauvaise foi. Un exemple éloquent est illustré par le jugement rendu dans l’affaire Latouche c. Savoie(3), où tant S. Lavoie que Fiducie Familiale S. Lavoie et S. Lavoie CPA inc. ont tenté de protéger les biens de la fiducie contre des poursuites en responsabilité professionnelles, parce que selon les dire «ça veut dire qu’au point de vue comptable, je ne peux rien faire de mal, je ne peux rien faire de mal au point de vue… (INAUDIBLE, sauf), je suis insaisissable d’un bout à l’autre». Tellement insaisissable que la fiducie avait une «hypothèque de 900 000 $ sur le bureau de comptable».
Après avoir entendu l’avocat qui a mis la fiducie en place «pour des motifs fiscaux», le juge convient que «l’ensemble de ces faits démontre que le défendeur Lavoie a tenté de mettre en place un artifice pour éviter de faire face à ses responsabilités: il n’a pas de revenu, il n’a pas de biens; il n’est pas assuré, du moins pour ces événements, et son entreprise a donné tous ses actifs en garantie à la fiducie familiale. Il se vante de tout mettre dans sa fiducie car elle serait intouchable. Ensuite, il peut retirer des sommes de cette fiducie. Que demander de plus pour démontrer un parfait scénario de fraude ?».
Or, les fiducies ne peuvent protéger un auteur de fraude civile (aussi appelée «dol»).
Conclusion
Que l’on s’exprime positivement pour établir une liste de recommandations pour limiter les risques d’inefficacité d’une fiducie ou des trucs pour rendre une fiducie inefficace dressée de façon plus ironique ou humoristique importe peu. Ce qui compte, c’est de comprendre les règles sous-jacentes aux règles de fiducies de droit civil, aux règles de droit fiscal, aux règles de droit des affaires et à toutes les règles non écrites que la nature humaine peut inspirer.
Il reste probablement impossible de prévoir toutes les éventualités, mais la prudence reste de mise afin de ne pas mettre en péril les protections et avantages recherchés lors de la mise en place d’une fiducie.
- Spicer Estate c. Boyer-Richard, 2004 CanLII 20712 (QCCS), 29 avril 2004.
- Yared et al. c. Karam, 2018 CanLII 99650 (CSC), 25 octobre 2018.
- Latouche c. Savoie, 2017 QCCS 2932, 29 juin 2017.