Un manquement au cadre normatif appréhendé justifie l’utilisation de la clause de réserve
La clause de réserve visant à ne retenir aucune soumission peut être utilisée lorsque, à titre d’exemple, les prix soumis accusent un écart important avec l’estimation du contrat réalisée par l’organisme public ou le budget alloué[1]. Toutefois, l’annulation d’un appel d’offres ne doit pas constituer un marchandage de soumissions[2].
De plus, nos tribunaux ont reconnu que les lacunes ou ambiguïtés d’un appel d’offres constituaient un motif raisonnable pour exercer les droits que confère une telle disposition et annuler un appel d’offres[3]. Des soupçons de collusion constituent également un motif légitime pour exercer la clause de réserve[4]. Un risque juridique peut justifier l’annulation d’un appel d’offres[5].
Une décision raisonnable et justifiée incitera les soumissionnaires à participer au prochain appel d’offres, le cas échéant.
Récemment, la Cour supérieure a réitéré ces principes dans l’affaire Entreprises MRA Paysagistes inc. c. Université Laval[6].
a) Les faits
L’Université Laval (ci-après l’« Université ») a lancé un appel d’offres visant le déneigement de son campus, mais également le stationnement d’un tiers, Héma-Québec.
Héma-Québec occupe un immeuble sur le campus universitaire en vertu d’un bail conclu avec 9125-9764 Québec inc.
Dans l’appel d’offres, l’Université n’a pas prévu la possibilité d’adjuger le contrat pour un seul des deux sites, soit celui de l’Université ou d’Héma-Québec. L’appel d’offres prévoyait plutôt l’octroi de deux contrats distincts pour chacune des entités publiques avec le soumissionnaire retenu.
Une fois les soumissions ouvertes, l’Université a d’abord classé les soumissionnaires selon leur prix global. Les Entreprises MRC Paysagistes inc. (ci-après « MRA ») est le soumissionnaire ayant soumis le plus bas prix global. En revanche, deux autres soumissionnaires ont proposé un prix plus bas que MRA pour le contrat d’Héma-Québec.
Selon l’Université, la formulation de l’appel d’offres et les soumissions reçues ne permettent pas d’adjuger le contrat d’Héma-Québec conformément à la Loi sur les contrats des organismes publics. Dans ce contexte, l’Université Laval a avisé tous les soumissionnaires de l’exercice de la clause de réserve afin de lancer un second appel d’offres.
Insatisfaite de cette décision, MRA n’a pas déposé de soumission en réponse au second appel d’offres. MRA a plutôt introduit un recours judiciaire visant à forcer l’Université à lui octroyer le contrat découlant du premier appel d’offres.
b) Le jugement
D’abord, le juge Pierre C. Bellavance (ci-après le « Juge ») note que MRA n’a pas contesté la légalité de la clause de réserve dans les documents d’appel d’offres. Les tribunaux ont plutôt reconnu à maintes reprises l’utilisation d’une telle clause et le pouvoir discrétionnaire que celle-ci confère aux corps publics.
Ensuite, le juge examine le motif présenté par l’Université pour exercer la clause de réserve. Il écrit :
[36] Le Tribunal retient ces explications qui justifiaient l’Université d’agir comme elle l’a fait pour éviter de se placer, comme donneur d’ouvrage, ainsi qu’Héma-Québec, dans une situation d’illégalité. On ne peut certainement pas dire, compte tenu des explications reçues, que l’Université a voulu manipuler le processus d’appel d’offres de manière à favoriser ou défavoriser qui que ce soit.
Le juge ajoute que « [l]es tribunaux ont aussi reconnu qu’un donneur d’ouvrage était justifié de recourir à une clause de réserve pour retourner en appel d’offres afin de clarifier des ambigüités, des erreurs ou confusion, qui ne sont pas mineures, ou tout simplement pour éviter un litige ».
Selon le juge, l’Université était effectivement dans une situation où elle devait éviter de se placer en contravention à une règle d’ordre public. En effet, en prévoyant l’octroi des contrats à celui qui aura soumis le prix global le plus bas, l’Université liait Héma-Québec sur le choix de l’adjudicataire, ce qui justifiait la décision de retourner en appel d’offres afin de respecter la règle du plus bas soumissionnaire.
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Ce jugement récent démontre le lourd fardeau d’un soumissionnaire voulant attaquer la décision d’annuler un appel d’offres, notamment et même lorsqu’une contravention au cadre normatif est appréhendée. Rappelons qu’une décision raisonnable et justifiée par le corps public incitera les soumissionnaires à participer au prochain appel d’offres, le cas échéant, et ainsi préserver l’intégrité du processus d’appel d’offres public.
Ce jugement illustre également le devoir de ceux qui participent à l’élaboration de la stratégie contractuelle d’anticiper ses effets ou son résultat. Ce constat est particulièrement pertinent lorsque des organismes procèdent à l’allotissement de leurs besoins ou s’unissent ou se regroupent pour procéder à un appel d’offres. Ils doivent alors anticiper les scénarios d’adjudication afin de pouvoir retenir celui qui s’avère le plus avantageux pour toutes les parties au regroupement, à moins que les conditions d’adjudication justifient un choix différent.
- Voir par exemple, Entreprises Dumas & Fils inc. c. Centre de santé et de services sociaux Alphonse-Desjardins, 2015 QCCQ 6143, paragr. 35; Pompage de béton TPG ltée c. Hydro-Québec, 2015 QCCS 2378 (requête en rejet d’appel accueillie : 2015 QCCA 1642).
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Ville de Montréal c. 9150-2732 Québec inc., 2023 QCCA 567.
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9075-5719 Québec inc. c. Longueuil (Ville de), 2012 QCCA 246, paragr. 9-12; Ed Brunet et Associés Canada inc. c. Centre hospitalier des Vallées de l'Outaouais (CHVO), 2013 QCCA 529; 9153-5955 Québec inc. c. St-Liguori (Municipalité de), 2015 QCCS 4378, paragr. 51-52.
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Roxboro Excavation inc. c. Québec (Procureur général) (Ministère des Transports), 2015 QCCS 2829 ; confirmé dans Roxboro Excavation inc. c. Québec (Procureure générale), 2016 QCCA 1908.
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Distribution Jean Blanchard inc. c. Régie de gestion des matières résiduelles de Manicouagan, 2016 QCCS 4417, paragr. 85 (appel rejeté, 2018 QCCA 557).
- 2024 QCCS 267.