Une fin d’emploi cavalière jugée comme n’étant pas du harcèlement psychologique !
Résumé : Le Tribunal administratif du travail a récemment rejeté une plainte suivant l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail logée par une directrice générale et secrétaire-trésorière d’une municipalité qui s’est vue destituée quelques mois après son embauche.
Les faits et le litige
Le 2 août 2023, le juge Daniel Blouin a rendu une intéressante décision dans l’affaire Lisa Lee Farman c. Municipalité de Sainte-Monique[1]. La plaignante, madame Lisa Lee Farman, avait été embauchée à titre de directrice générale et secrétaire-trésorière de la Municipalité de Sainte-Monique. Quelques mois après son entrée en fonction, elle est destituée le 9 septembre 2020. Comme la plaignante n’avait pas six mois de service au moment de la destitution, elle ne pouvait se prévaloir du recours prévu aux articles 267.0.1 et suivants du Code municipal du Québec et a donc déposé d’autres recours; un devant la Cour du Québec pour congédiement abusif et l’autre par le biais d’une plainte en vertu de l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail pour harcèlement psychologique.
Plus précisément, la plaignante allègue avoir été l’objet de conduites vexatoires de la part de la mairesse et des élus de la Municipalité. Elle prétend que son renvoi est l’ultime manifestation du harcèlement qu’elle a subi et demande au Tribunal d’accueillir sa plainte. C’est cette plainte qui est analysée par le Tribunal. Dans sa plainte, la plaignante affirme essentiellement ce qui suit :
- La mairesse a sans cesse repoussé les rencontres qu’elle demandait pour négocier et signer le projet de contrat de travail;
- Contrairement à ce qui avait été mentionné à l’embauche, elle n’a pas été évaluée de façon périodique à la suite de son entrée en fonction;
- Dès le début, la mairesse s’est immiscée dans son travail, ne lui laissant pas la latitude nécessaire pour exercer pleinement sa fonction, minant ainsi sa crédibilité professionnelle;
- Le 3 septembre 2020, elle a été victime d’une conduite vexatoire de la part de l’avocat de la Municipalité;
- Un conflit avec l’avocat de la Municipalité au cours duquel l’avocat a insulté la plaignante et lui a crié après. Ce conflit est la source de la fin d’emploi de la plaignante;
- L’employeur a subitement pris la décision de mettre fin à son emploi en raison de son comportement à l’endroit de l’avocat et parce qu’elle avait dénoncé la situation aux élus;
- Elle allègue avoir été intimidée et menacée lors de la rencontre du 8 septembre au cours de laquelle on lui annonce son congédiement;
- Elle s’est sentie humiliée, dénigrée et blessée lorsqu’un huissier lui a signifié tôt le matin du 9 septembre la résolution confirmant son congédiement.
L’employeur s’est objecté à ce que le Tribunal se penche sur la notion de fin d’emploi, considérant qu’elle n’avait pas accès au recours prévu au Code municipal du Québec. Toutefois, le Tribunal est d’avis, avec raison, qu’elle peut se pencher sur les circonstances de la fin d’emploi, et ce, considérant que la plainte de harcèlement psychologique vise précisément cet aspect.
La décision
Pour examiner la plainte, le Tribunal utilise la méthode établie par la jurisprudence, soit :
- L’analyse consiste en premier lieu à vérifier si le plaignant a été victime d’une conduite vexatoire. Le Tribunal doit, à ce titre, analyser les comportements, paroles, actes ou gestes identifiés par le plaignant;
- Le Tribunal ne doit pas rechercher dans le comportement à l’étude une intention de nuire;
- La conduite vexatoire doit être appréciée en fonction du critère de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Il s’agit d’un modèle « subjectif — objectif » qui implique que la perception du plaignant ne peut être le seul point de vue considéré;
- L’appréciation du caractère répétée d’une conduite doit être faite dans une perspective globale, c’est-à-dire que chaque événement doit être examiné dans son contexte et non isolément;
- En présence d’une conduite vexatoire, le Tribunal doit déterminer si elle a porté atteinte à la dignité ou l’intégrité physique ou psychologique du plaignant et engendré un climat malsain;
- Une seule conduite grave peut également constituer du harcèlement psychologique si elle produit un effet nocif et continu pour le salarié.
Basé sur ces critères et sur les faits mentionnés précédemment, le Tribunal a débuté l’analyse desdits critères.
i. La conduite vexatoire
Le Tribunal a débuté son analyse avec la notion de conduites vexatoires sur la base des faits qui étaient allégués par la plaignante. Cette analyse s’est divisée en deux sous-sections, soit :
a) Le comportement de la mairesse avant la destitution
À cet égard, le Tribunal fait une analyse très juste qu’il convient de reproduire ci-après :
« [35] Les situations alléguées contre la mairesse antérieure au 3 septembre 2020 ne peuvent être qualifiées de conduites vexatoires.
[36] Dans son témoignage, la plaignante relate des incidents mettant en lumière des difficultés de communications, des mésententes d’ordre légal et un conflit de rôle avec la mairesse. La personnalité de cette dernière semble y avoir contribué pour beaucoup. Il est certain qu’un tel climat de travail peut causer stress et désagréments. Néanmoins, on ne retrouve pas, dans ce qui est présenté, d’éléments permettant de constater un exercice déraisonnable ou discriminatoire du droit de gérance. Seul un exercice du droit de gestion par un contrôle arbitraire, abusif, discriminatoire ou qui cherche à humilier et à dénigrer peut être visé par l’article 81.18 de la Loi.
[37] Les circonstances entourant la destitution soulèvent par contre des interrogations. (Nos soulignements) »
b) La destitution
Pour le Tribunal, le comportement de l’employeur en lien avec la fin d’emploi de la plaignante doit être qualifié de conduite vexatoire grave portant atteinte à la dignité.
La preuve révèle que la destitution a été expéditive et découle directement de l’incident avec l’avocat de la Municipalité.
De plus, la conduite de l’avocat à l’endroit de la plaignante est vexatoire. Elle est inappropriée, humiliante, dénigrante et blessante. Devant ce conflit, au lieu de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser la conduite alléguée, l’employeur réagit de façon brutale et contraire aux principes énoncés dans la LNT. Il réagit ainsi notamment parce que la plaignante a dénoncé aux élus une situation qu’elle jugeait inacceptable.
En somme, la situation de la destitution revêt un caractère particulièrement blessant et humiliant. Seule la version de l’avocat a été considérée. La rencontre de fin d’emploi s’est faite sans préavis et dans l’urgence.
Par la suite, le Tribunal a analysé le second critère.
ii. Atteinte à la dignité
Selon le Tribunal, il n’y a aucun doute que l’employeur a porté atteinte à la dignité de la plaignante. En effet, la plaignante a expliqué avoir été dévastée par les événements. De plus, la plaignante considère avoir subi une atteinte à sa réputation professionnelle et à sa dignité.
iii. L’effet nocif
Il reste à évaluer, selon le Tribunal, si cette conduite vexatoire grave a produit un effet nocif pour la plaignante. Selon le Tribunal, il n’y a pas d’effet nocif dans le dossier. À cet égard, le Tribunal souligne ce qui suit :
« [54] La plaignante affirme qu’elle a souffert, et souffre encore au moment de l’audience, de la situation qu’elle a vécue. Sans minimiser l’impact du traumatisme subi, la preuve ne révèle pas qu’elle a connu par la suite des périodes d’invalidité. Elle a aussi été en mesure de retrouver un emploi semblable dans un délai raisonnable. Malgré les problèmes soulevés, elle semble en mesure d’assumer pleinement sa nouvelle fonction. Enfin, il n’est pas possible d’établir un lien entre le congédiement et l’effet nocif allégué.
[55] De l’avis du Tribunal, la plaignante n’a pas fait la preuve de l’existence d’un effet nocif et continu découlant des circonstances entourant sa destitution. »
En raison de l’absence de preuve sur ce critère, le Tribunal a rejeté la plainte.
Conclusion
Cette décision illustre bien l’importance qu’un Tribunal doit porter dans l’analyse de l’ensemble des critères avant de conclure à du harcèlement psychologique. De plus, cette décision rappelle à tous que ce fardeau appartient à la personne qui se dit victime de harcèlement psychologique.
- 2023 QCTAT 3513.