a) Mise en contexte
Dans un contexte d’appel d’offres public, les tribunaux ont reconnu qu’une garantie de soumission sert à éviter qu’un soumissionnaire présente une offre à très bas prix, réalise ensuite que l’affaire risque de ne pas être avantageuse et cherche alors à se retirer du processus. Ainsi, la garantie de soumission incite les soumissionnaires à présenter des offres sérieuses et qui ont été élaborées avec soin, ce qui permet le jeu de la concurrence tout en favorisant le principe d’égalité des soumissionnaires [Norgereq ltée c. Ville de Montréal, 2017 QCCS 1199, par. 58 (appel rejeté); Blenda construction inc. c. CHSLD Drapeau Deschambault, 2005 CanLII 39441 (QC CS), par. 50-55]. Le corps public dispose alors d’un « moyen simple et efficace d’être indemnisé advenant que le soumissionnaire retire son offre » [Norgereq ltée c. Ville de Montréal, 2017 QCCS 1199, par. 62 (appel rejeté)].
Concernant un appel d’offres public du Ministère des Transports du Québec (ci-après « MTQ ») visant des travaux de remplacement de l’enrobé sur le Pont Pierre-Laporte, à Québec, l’Autorité des marchés publics (ci-après « AMP ») s’est prononcée sur l’absence d’exercice des droits conférés par une garantie de soumission, en l’occurrence un cautionnement, lorsque le plus bas soumissionnaire conforme est en défaut d’honorer sa soumission [Autorité des marchés publics, Recommandations formulées au Ministère des Transports du Québec concernant le contrat conclu à la suite à l’appel d’offres identifié au SEAO sous le numéro de référence 1441654, Recommandation 2021-27, 15 décembre 2021].
b) Les faits
Informé de l’acceptation de sa soumission, le plus bas soumissionnaire conforme a entamé des échanges avec le MTQ, notamment sur l’applicabilité des pénalités prévues aux documents contractuels. Ces échanges ont amené le MTQ à reporter la date limite de signature du contrat entre les parties.
Puis, le plus bas soumissionnaire a proposé au MTQ de limiter l’applicabilité de certaines pénalités, tout en augmentant le montant d’autres pénalités et, finalement, d’augmenter de 300 000 $ le prix de sa soumission. Cette modification du prix aurait eu l’effet de modifier l’ordre des soumissions, puisque le plus bas soumissionnaire aurait passé au deuxième rang.
Afin de préserver l’égalité des soumissionnaires et l’intégrité du processus, le MTQ a refusé les modifications proposées. Dans ce contexte, le plus bas soumissionnaire n’a pas signé le contrat dans le délai imparti et le MTQ a plutôt obtenu la signature du second plus bas soumissionnaire conforme. L’acceptation de cette seconde soumission entraîne une dépense supplémentaire de fonds publics, soit un montant de 228 018 $ de plus que la plus base soumission.
En aucun temps, le MTQ n’a communiqué avec la caution du plus bas soumissionnaire afin de se prévaloir du cautionnement de soumission. Aucune réclamation n’a été adressée de la part du MTQ en lien avec l’absence de signature du contrat dans le délai imparti. Au contraire, quelques jours avant la signature du contrat avec le second soumissionnaire, le MTQ a écrit au plus bas soumissionnaire en lui indiquant ce qui suit :
« Nous vous confirmons que le délai pour la signature du contrat est expiré et qu’il sera offert au deuxième plus bas soumissionnaire admissible et conforme, tel que mentionné précédemment. Dans le contexte du présent dossier et de façon exceptionnelle, le Ministère des Transports [sic] accepte de ne pas exercer le recours à la garantie de soumission et de ne pas exiger de compensation monétaire. »
c) La décision de l’AMP
Selon l’AMP, le MTQ n’a pas respecté les principes d’intégrité du processus d’appel d’offres, de traitement équitable des soumissionnaires et d’égalité entre les soumissionnaires en ne faisant pas valoir ses droits auprès de la caution en vertu du cautionnement de soumission.
Le cautionnement joint à la soumission était valide et toutes les conditions permettant d’y recourir étaient satisfaites :
- Étant la plus base soumission conforme, la soumission a été retenue par le MTQ;
- Le soumissionnaire retenu a fait défaut de signer le contrat dans le délai imparti.
L’AMP souligne que « les faits révèlent que la décision de ne pas exiger de compensation monétaire suivant le défaut du soumissionnaire retenu de signer le contrat a été prise en fonction d’un pouvoir discrétionnaire insuffisamment balisé et, ce faisant, celle-ci entraîne des conséquences importantes, lesquelles affectent l’égalité de traitement des soumissionnaires et la bonne gestion des fonds publics ».
L’AMP ajoute que la décision du MTQ « ébranle les fondements du système d’appel d’offres public », puisque le soumissionnaire a pu rendre sa soumission révocable après l’ouverture des soumissions, et ce, sans encourir de pénalité.
L’AMP rejette tous les motifs invoqués par le MTQ au soutien de sa décision de ne pas se prévaloir du cautionnement de soumission dans les circonstances.
Premièrement, le MTQ a soulevé l’impossibilité d’obliger le soumissionnaire à honorer sa soumission, sans devoir supporter un risque pour la qualité des travaux et le respect des délais. Selon l’AMP, ce motif ne saurait soustraire le soumissionnaire de son devoir d’honorer ses engagements découlant de l’acceptation de sa soumission.
Deuxièmement, le MTQ a allégué les conséquences de rendre inadmissible un entrepreneur important dans l’industrie si ce dernier était déclaré en défaut de signer le contrat. À cet égard, l’AMP a rappelé que le MTQ aurait la possibilité de rejeter toute soumission future de cet entrepreneur, et non l’obligation [Art. 8 du Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics].
Troisièmement, le MTQ a évoqué le recours en injonction du plus bas soumissionnaire afin de suspendre les travaux si le contrat était adjugé au second soumissionnaire, avec application en parallèle du cautionnement de soumission. L’AMP est plutôt d’avis que le soumissionnaire a bénéficié d’un délai de 20 jours pour signer le contrat si son intention était de l’exécuter. L’AMP estime « difficile d’accorder de la crédibilité à cette justification ».
Quatrièmement et dernièrement, le MTQ a soutenu que tout retard dans le début des travaux pouvait affecter la circulation sur le pont Pierre-Laporte et compromettre la sécurité des usagers, voire l’intégrité même de la structure. L’AMP rejette également cette crainte, puisque l’exercice des droits en vertu du cautionnement de soumission vise uniquement un dédommagement de la caution sans aucune intervention du soumissionnaire.
Considérant que « la décision du MTQ à l’égard du cautionnement prive les contribuables d’une somme de 228 018 $ », l’AMP émet la recommandation suivante :
RECOMMANDE au MTQ de se doter de balises et de lignes directrices claires visant à encadrer l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’exercer ou non son droit à une garantie de soumission, le tout en vue d’assurer l’égalité de traitement entre les soumissionnaires, ainsi que la reddition de comptes fondée sur l’imputabilité des dirigeants d’organismes publics et sur la bonne gestion des fonds publics; (notre soulignement)
d) Commentaires
Dans cette décision, la recommandation de l’AMP nous apparaît s’étendre au-delà des organismes publics visés par la Loi sur les contrats des organismes publics, même si dans le cas à l’étude le Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics imposait l’obligation d’exiger un cautionnement de soumission. La garantie de soumission est un outil fréquemment prévu dans les documents d’appel d’offres des corps publics québécois provenant de tous les secteurs, et ce, en vertu du même objectif de saine administration des fonds publics.
Il faut cependant insister, comme l’indique l’AMP, que le recours ou non à la garantie de soumission constitue un « pouvoir discrétionnaire », et non une obligation. Cela signifie que le corps public devra trancher une question d’opportunité, selon les circonstances propres à chaque affaire. Pour ce motif, l’adoption préalable de balises ou de lignes directrices permettra d’assurer un suivi accru des droits du corps public et ainsi préserver la confiance des soumissionnaires et du public à l’égard des processus d’adjudication.
Selon nous, ces balises ou lignes directrices visent essentiellement à déterminer les personnes responsables du processus décisionnel se rattachant à la garantie de soumission, de même que les étapes de ce processus.
À notre avis, la recevabilité de la soumission concernée nous apparaît être au cœur du processus décisionnel, puisque le soumissionnaire ou la caution pourront soulever une irrégularité majeure justifiant le défaut d’honorer la soumission. Dans sa décision, l’AMP n’approfondit pas les risques qui pourraient découler d’une imprécision des documents d’appel d’offres. En pratique, différentes situations pourraient se présenter et comporter des risques juridiques distincts. Par exemple, un manquement à l’obligation d’information du corps public pourrait être soulevé pour la première fois après l’ouverture des soumissions, mais avant l’adjudication du contrat. Dans certains cas, la gestion des risques pourrait mener jusqu’à l’annulation de l’appel d’offres.
En somme, un litige plus onéreux que la valeur de la garantie recherchée pourrait naître entre les parties suivant de la décision de se prévaloir de la garantie de soumission. Cette préoccupation nous apparaît pertinente afin de justifier la décision, quelle qu’elle soit, conformément au principe de la « bonne utilisation des fonds publics » [art. 2(6) de la Loi sur les contrats des organismes publics]. Vu que la conformité des soumissions relève de l’opinion juridique [Matane (Ville de) c. Jean Dallaire, Architectes, 2016 QCCA 1912, par. 14], nous recommandons que le processus mentionne l’obtention d’une opinion juridique visant à établir l’analyse des risques découlant du recours à la garantie de soumission.