Lorsque des caractéristiques descriptives sont utilisées pour décrire un besoin, la loi impose l’obligation de permettre la présentation d’une demande d’équivalence. Ce processus pourra couvrir en tout ou en partie seulement les exigences des documents d’appel d’offres, puisque l’énoncé du besoin pourrait utiliser les deux approches (performance et fonctionnalité\caractéristiques descriptives).
Certes, selon les marchés visés, il est possible que certains fournisseurs aient de la difficulté à livrer concurrence au produit de référence utilisé. C’est dans la procédure d’équivalence que l’équité et l’accès au marché doivent être assurés.
En outre, l’article 573.1.0.14 LCV indique qu’un organisme municipal « peut prescrire comment sera évaluée l’équivalence à ces caractéristiques ». Il dispose ainsi de la discrétion de fixer les conditions de reconnaissance de l’équivalence et la procédure applicable. Ces balises doivent être établies dans ses documents d’appel d’offres. Quant aux critères permettant l’appréciation de l’équivalence, sans évacuer totalement l’appréciation subjective, ceux-ci doivent être suffisamment précis pour éviter l’arbitraire.(1)
1. Quand?
Ni la loi, ni la jurisprudence n’établissent le moment où l’équivalence doit être évaluée.(2)
Toutefois, l’article 573.1.0.14 LCV indique, notamment, que « sera considérée conforme toute équivalence à des caractéristiques descriptives » lorsque des spécifications techniques sont contenues à « une demande de soumission ». Ce libellé exclut la possibilité que les demandes d’équivalence ne puissent être présentées que lors de l’exécution du contrat. Cette procédure doit favoriser la concurrence et, par conséquent, permettre de générer le plus grand nombre de soumissions possibles.
En fait, les meilleures stratégies convergent vers un processus d’équivalence qui se déroule entièrement avant la date limite du dépôt des soumissions afin de permettre à l’organisme municipal d’accepter l’équivalence et d’émettre un addenda.(3) Cette approche favorise la concurrence et l’obtention de meilleurs prix. Elle évite aux sous-traitants ou fournisseurs intéressés de convaincre les soumissionnaires potentiels de présenter leur demande d’équivalence. Lorsque cette approche est adoptée, il conviendra de déterminer le délai imparti pour présenter une demande d’équivalence. Une approche proportionnée entre le délai accordé et les informations ou documents qui doivent accompagner la demande d’équivalence.
Par ailleurs, une telle approche peut s’avérer lourde lorsqu’appliquée à toutes les exigences de certains appels d’offres, quel que soit leur importance ou leur poids relatif. C’est pourquoi, à titre d’exemple, dans ses Balises à l’égard des exigences et des critères contractuels en construction,(4) le Conseil du Trésor recommande que, dans le cadre de tels contrats, cette approche plus ouverte soit limitée « à des produits ou à des systèmes d’importance, c’est-à-dire ceux qui ont une influence considérable sur le montant des prix soumis et qui pourraient ainsi avoir un effet sur l’adjudication du contrat. »
Pour tous les produits ou systèmes de moindre importance, les demandes d’équivalence doivent minimalement pouvoir être présentées lors du dépôt des soumissions afin de donner accès au marché à toute entreprise susceptible d’y participer. Le traitement de la demande doit préférablement être réalisé avant l’adjudication du contrat afin de confirmer les obligations des parties, quoi qu’elles puissent dans certains cas s’échelonner jusqu’au début des travaux.
Cette dernière approche a toutefois fait l’objet de critiques. Dans un rapport datant de 2020, le Bureau de l’inspecteur général de la Ville de Montréal indiquait :
3.4.1. Le crédit pour la demande d’équivalence
Pour au moins cinq appels d’offres, l’enquête du Bureau de l’inspecteur général a identifié un type de clause d’équivalence qui demandait aux soumissionnaires d’offrir un crédit à l’OMHM pour le produit équivalent proposé par le soumissionnaire. […]
En application d’une clause de cette nature, avec crédit, le contrat est octroyé au soumissionnaire ayant déposé la soumission conforme la plus basse avec le produit spécifié. C’est dans un second temps seulement que l’équivalence serait analysée et ce, uniquement si l’adjudicataire l’a proposée en annexe de sa soumission avec un crédit uniquement si elle est assortie d’un crédit. Conséquemment, les équivalences que d’autres soumissionnaires pourraient avoir trouvées ne seront jamais considérées même si leur soumission aurait pu être la moins élevée en tenant compte du crédit.
Le fait que la soumission doive être faite avec le modèle et la marque spécifiés et qu’un tel crédit soit exigé représente un avantage pour le distributeur dont le produit est le modèle de référence au devis. Les entrepreneurs sont alors peu incités à proposer des équivalents d’autant qu’ils doivent de toute façon soumissionner avec le produit de référence. De plus, une telle exigence pénalise le donneur d’ouvrage car, pendant l’appel d’offres, elle ne stimule pas la concurrence parmi les distributeurs potentiels de génératrices.
Pour un soumissionnaire, une telle clause d’équivalence signifie que s’il s’en tient au produit désigné, il n’a pas d’autre démarche à faire pour se conformer aux conditions de l’appel d’offres ni à se préoccuper d’évaluer un crédit à consentir sur le prix d’un produit équivalent moins cher qu’il aurait pu trouver. Conjointement, ces deux constats avantagent le distributeur dont le produit est le modèle de référence au devis.(5)
Certes, la valeur relative des génératrices en cause dans ce dossier permet de mesurer la portée de la position adoptée par le Bureau dans son rapport. De même, le fait qu’un crédit doive être proposé avec la demande d’équivalence défavorisait les concurrents répondant aux caractéristiques mais dont le coût pouvait être plus élevé, comme si l’acceptation de l’équivalence devait nécessairement être source d’économie.
En tout état de cause, les soumissionnaires doivent présenter leur demande en temps utile. Si une telle demande est présentée tardivement, après le dépôt des soumissions, l’organisme ne pourra autoriser la modification de la soumission. Il devra la rejeter puisqu’il ne sera pas en mesure de comparer les soumissions entre elles sans altérer l’équité entre les soumissionnaires.(6)
2. Comment?
À ce chapitre, les organismes disposent d’une large discrétion.
Ils peuvent définir le contenu de la demande d’équivalence et déterminer que la personne intéressée à soumettre une demande doit :
- l’accompagner de certaines informations et documents techniques nécessaires à l’étude de sa demande, incluant les caractéristiques de l’équivalence proposée, les rapports de laboratoire ou essais réalisés sur celle-ci;
- fournir le bien en démonstration afin d’être examiné;
- lorsque le temps le permet, soumettre le bien à des essais ou des tests selon les conditions et mécanismes que l’organisme aura prévus dans ses documents d’appel d’offres.
Par ailleurs, le texte de l’article 573.1.0.14 LCV ou de la LCOP est silencieux sur le processus d’évaluation de l’équivalence. Une interprétation littérale des dispositions pertinentes permet de soutenir que cette évaluation ne devrait reposer que sur des spécifications techniques, soit les caractéristiques ou qualités physiques ou, selon le cas, professionnelles. De même, l’article 573.1.0.14 LCV indique, que « sera considérée conforme toute équivalence à des caractéristiques descriptives » indiquant qu’il s’agit presque d’un automatisme lorsque les caractéristiques sont présentes chez l’équivalence proposée. Suivant cette approche littérale, les conséquences opérationnelles associées à l’équivalence proposée seraient donc exclues de l’analyse.
Toutefois, suivant l’accord Canada-Europe, duquel l’article 573.1.0.14 LCV s’inspire, les spécifications techniques peuvent comprendre des caractéristiques sur la « la qualité, les performances, la sécurité et les dimensions, ou les procédés et méthodes pour leur production ou fourniture ».(7) Considérer les risques opérationnels associés à la qualité ou la sécurité nous semble être une référence à la performance attendue, ce qui constitue une approche valide.
D’ailleurs, à titre d’exemples, les motifs suivants ont été considérés légitimes par le TCCE :
- le MDN possède présentement une installation homogène de routeurs Cisco 5500;
- la valeur du matériel Cisco en place à l’heure actuelle est d’environ 685 000,00 $;
- la gestion et le soutien du réseau gravitent autour du système de gestion Ciscoworks (Ciscoworks 2000);
- le MDN dispose d’un effectif limité pour gérer le système;
- la mise en oeuvre de matériel qui n’est pas pleinement compatible avec l’infrastructure en place exigerait des ressources supplémentaires pour la gestion du réseau, des ressources supplémentaires pour la formation, et introduirait le risque de conflits dans le réseau à cause des méthodes de gestion de réseau incompatibles;
- les gestionnaires auraient besoin de personnel ou de formation supplémentaire ou des deux pour gérer le système, ce qui est inacceptable au MDN.(8)
Ainsi, les motifs liés aux conséquences opérationnelles découlant de la reconnaissance de l’équivalence pourraient être considérés. Cette conclusion se pose avec encore plus d’acuité lorsque l’on tient compte de l’impossibilité pour les organismes municipaux de tenir compte des coûts totaux d’acquisition dans la détermination du plus bas prix soumis, contrairement aux organismes publics qui disposent de cet outil.
En fait, le processus d’évaluation de la conformité aux caractéristiques établies, lesquelles doivent être objectives et précises, doit être transparent et équitable entre les concurrents qualifiés.(9) L’ouverture du marché suppose une analyse souple, de préférence en identifiant les exigences obligatoires versus celles auxquelles l’organisme municipal pourrait accepter de déroger.
Il s’agit évidemment d’un exercice discrétionnaire qui méritera déférence des tribunaux, comme le souligne la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans cette affaire :
The intervenor submitted that there was a duty to evaluate alternative products fairly or reasonably. I think it is the prerogative of an owner to make its own judgment on which alternative it chooses. The intervenor appears to disagree with this and says that D.S.S. had a duty to properly choose between the alternates "once the tendering process was underway". Such a submission would only warrant consideration if the documents in the tendering process imposed such a duty. To accept the intervenor's proposition would run the risk of rendering every engineering choice by an owner subject to judicial review, every disappointed bidder looking for ways to challenge an award of a tender in the courts. The argument of the intervenor confuses the right of choice of an owner with improper practices of calling for tenders with hidden preferences.(10)
Dans l'affaire Cardinal Industrial Electronics Ltd.,(11) l’entreprise alléguait que la solution technologique qu’elle avait proposée était « substantiellement » équivalente au produit retenu par le gouvernement fédéral et au surplus la moins chère. Retenant la plainte logée par Cardinal, le TCCE indiquait :
[...] [S]i on exigeait que chaque produit offert comme «équivalent» comporte toutes les caractéristiques du produit utilisé comme norme dans la spécification, on retirerait à celle-ci son applicabilité générale, on enlèverait tout sens à l'expression «ou équivalent» et on transformerait l'adjudication en un achat pour lequel «aucun produit de remplacement» ne peut être accepté.
C’est le concept même d’équivalence prévu par l’article 573.1.0.14 LCV qui commande une telle souplesse, une équivalence n’étant pas, par définition, identique en regard des caractéristiques descriptives utilisées.
De plus, dans l’affaire Sweeprite Mfg. Inc.,(12) le tribunal devait analyser la conformité d’un devis technique aux accords applicables. Le devis reprenait plusieurs caractéristiques du produit de préférence. Le tribunal souligne la nécessité d’établir la manière de traiter les exigences obligatoires du devis en regard du processus d’équivalence :
Le second point a trait à l'énonciation, à l'avance, de critères d'évaluation précis des offres qui seront faites par les fournisseurs potentiels. Dans les deux cas présents, quoique les appels d'offres prévoient que des «succédanés équivalents» puissent être offerts, ils ne précisent pas officiellement la référence commerciale spécifique dont il est question dans la clause citée antérieurement et pour laquelle des «succédanés équivalents» seraient acceptés. De même, on ne voit pas clairement lesquelles des quelques 149 caractéristiques techniques distinctes contenues dans les spécifications sont obligatoires, et lesquelles sont facultatives. Si elles sont toutes obligatoires, alors les spécifications sont une description du produit, et la procédure de considération des «succédanés équivalents» serait nulle et non avenue. [Nos soulignements]
Ainsi, un organisme pourrait adopter les approches suivantes :
- Prévoir qu’une soumission qui ne satisfait pas « substantiellement » les caractéristiques descriptives ne sera pas reconnue comme équivalente;
- Déterminer un seuil en précisant qu’une soumission doit satisfaire 80% des caractéristiques ou encore déterminer à l’avance les caractéristiques essentielles et minimales qu’une demande d’équivalence doit satisfaire;
- Déterminer les critères objectifs à appliquer.
Ces approches respectent, selon nous, l’article 573.1.0.14 LCV ou les dispositions des accords.
En tout état de cause, il sera impératif de bien documenter l’approche et la décision en identifiant les critères d’équivalence ou caractéristiques descriptives non satisfaits et en appuyant ceux-ci sur des notes internes, des analyses ou rapports colligés à même le dossier contractuel.
Conclusion
Les échéances imposées aux processus d’appel d’offres obligent à un changement d’approche dans le contexte de l’application d’une procédure d’équivalence.
Il est parfois irréaliste de penser, par exemple, qu’un processus d’équivalence pourra se dérouler aussi rapidement que l’imposent les besoins de l’organisme. Dès lors, une réflexion et une analyse en amont, lors d’un processus d’homologation ou de qualification, pourraient s’avérer une stratégie appropriée. Une telle approche pourrait permettre d’évaluer la performance ou l’équivalence des biens ou services en amont et restreindre l’accès aux appels d’offres subséquents aux seuls biens homologués ou prestataires qualifiés. Ces procédures d’homologation ou de qualification pourraient même impliquer plusieurs organismes qui choisiront de jumeler leurs efforts ou expertises.
Alternativement, l’organisme peut choisir de procéder à une évaluation de la qualité des soumissions présentées et ainsi introduire des éléments subjectifs au processus d’adjudication. La Cour d’appel du Québec a d’ailleurs reconnu qu’un critère de sélection pouvait légitimement évaluer la facilité d’utilisation et d’entretien de biens, notamment en fonction de leurs similitudes par rapport à ceux déjà utilisés par l’organisme.(13)
- EBC inc. c. Ville de Montréal, 2017 QCCS 5480 (appel rejeté dans 2019 QCCA 1731); Orthofab inc. c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2012 QCCS 1876.
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Voir la discussion à ce sujet dans Soprema inc. c. Commission scolaire du Chemin-du-Roy, 2009 QCCS 3018. Décision ordonnant au Centre hospitalier universitaire de Montréal de modifier l’appel d’offres public 1412091, No décision : 2020-08, 16 décembre 2020.
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https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/Balise_construction.pdf.
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https://www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/faire_affaire_avec_etat/Balise_construction.pdf.
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Rapport de recommandations sur la gestion contractuelle des appels d’offres de groupes électrogènes à l’Office municipal d’habitation de Montréal, 21 septembre 2020, p. 21.
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Hervé Pomerleau inc. c. Société de transport de Montréal 2011 QCCS 1579; Entreprises de réfrigération LS inc. c. Hôpital général juif inc., 2018 QCCA 413, paragr. 12; Distribution Jean Blanchard inc. c. Régie de gestion des matières résiduelles de Manicouagan, 2016 QCCS 4417 (appel rejeté, 2018 QCCA 557).
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Accord Canada-Europe, Section 19.1.
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Re plainte portée par Foundry Networks dans le cadre d’un appel d’offres de TPSGC, (23 mai 2001), PR-2000-060, TCCE.
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Décision ordonnant au Centre hospitalier universitaire de Montréal de modifier l’appel d’offres public 1412091, No décision : 2020-08, 16 décembre 2020.
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Arrow Construction Products Ltd. v. Nova Scotia (Attorney General), 1996 NSCA 88 (CanLII).
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Cardinal Industrial Electronics Ltd. c. Canada (Approvisionnements et Services), 1990 CanLII 3974 (CA TCCE).
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Sweeprite Mfg. Inc. c. Canada (Approvisionnements et Services), 1992 CanLII 4455 (CA TCCE).
- Camions Carl Thibault inc. c. Ville de Lévis, 2020 QCCA 1264.