Fiscalité et comptabilitéjuillet 15, 2022

La renonciation à la prescription dans le cadre d’une vérification

L’autrice résume et analyse une décision récente de la Cour du Québec concernant la renonciation à la prescription et ses impacts lors d’une vérification.

La renonciation à la prescription semble une option bien banale dans le cadre d’une vérification, mais il ne faut pas sous-estimer les impacts d’une telle option dans le cadre de la contestation d’une cotisation.

En effet, il est de pratique courante qu’un vérificateur fasse signer une renonciation lorsque la vérification s’étire et que les délais pour cotiser se rapprochent de la prescription visée par l’article 1010 de la Loi sur les impôts du Québec (LI).

La décision Chiara c. Agence du revenu du Québec, 2022 QCCQ 3323, rendue par le juge Lareau, traite de l’impact d’une renonciation faite avant et après les délais pour cotiser normalement. Dans cette affaire, l’Agence du revenu du Québec (ARQ) demandait le rejet de trois appels de cotisation déposés devant la Cour du Québec pour les années d’imposition 1998, 2000 et 2002 par Vincenzo Chiara. Le motif invoqué était que les avis de cotisation visés par ces appels avaient été émis suivant des renonciations faites après l’expiration de la période normale de trois ans prévue au sous-paragraphe 1010(2)a) LI.

À noter que M. Chiara a fait appel à l’égard de plusieurs cotisations pour les années 1998, 2000 à 2005 et 2007 sous plusieurs dossiers devant la Cour du Québec, mais seules les années 1998, 2000 et 2002 étaient visés dans le présent jugement.

Au total, la vérification de l’ARQ a donné lieu à 31 cotisations émises par l’ARQ à l’égard de M. Chiara. Afin de lui permettre de poursuivre ses discussions avec cette dernière, M. Chiara a signé des renonciations à la prescription pour les années 1998, 2000 et 2002.

L’année 2002

Le 7 décembre 2006, le contribuable signe le formulaire de renonciation par lequel il renonce à la prescription pour l’année d’imposition 2002 à l’égard de la détermination par l’ARQ des «Revenus, Dépenses, Dépenses de location refusées ou capitalisables» (Formulaire 2002-01).

Le lendemain, le contribuable signe un Avis de révocation d’une renonciation à la prescription par lequel il révoque la renonciation précédente, ayant pour effet de repousser le délai de cotisation au 13 juin 2007.

Ces deux formulaires sont reçus par l’ARQ le 13 décembre 2006, soit quelques jours avant que le délai de trois ans n’expire, soit le 22 décembre 2006.

Le 26 avril 2007, le contribuable signe une deuxième renonciation (Formulaire 2002-02). Il signe également un Avis de révocation, mais en référant au formulaire 2002-01.

Il semble également qu’une troisième renonciation ait été signée le 27 septembre 2007 et transmise en février 2008 (Formulaire 2002-03).

Le 16 juin 2008, une cotisation est émise pour l’année 2002 et M. Chiara dépose un avis d’opposition le 13 août 2008. Le 23 septembre 2016, une décision sur opposition est rendue et une nouvelle cotisation est émise le 30 mai 2017.

Le 25 août 2017, le contribuable dépose un appel devant la Cour du Québec.

L’année 2000

Le 27 septembre 2007, le contribuable transmet une renonciation pour l’année 2000. Cette renonciation n’est pas révoquée.

Le 23 juin 2008, une nouvelle cotisation est émise et, deux mois plus tard, le contribuable dépose un avis d’opposition. Le 23 septembre 2016, une décision est rendue par l’ARQ et une nouvelle cotisation est émise, le 30 mai 2017.

L’année 2000 a également fait l’objet d’un appel devant la Cour avec l’année 2002.

L’année 1998

Le 5 octobre 2007, M. Chiara transmet une renonciation pour l’année 1998, laquelle ne sera reçue qu’en février 2008. Aucune révocation n’a été transmise.

Le 23 juin 2008, une nouvelle cotisation est émise et le contribuable dépose un avis d’opposition en août 2008. Le 23 septembre 2016, une décision est rendue et la cotisation est maintenue.

Le 21 décembre 2016, le contribuable dépose un appel devant la Cour du Québec.

Ce n’est que le 23 septembre 2020 que l’ARQ décide de soulever l’irrecevabilité des appels visés pour les années 1998, 2000, 2002.

Plusieurs questions en litige sont alors adressées à la Cour:

  1. Le contribuable peut-il modifier sa demande introductive d’instance pour y ajouter les faits et les arguments relatifs à sa contestation des effets de la renonciation?
  2. Quelle est la nature du document de renonciation et quels sont ses effets sur le plan juridique?
  3. Doit-on distinguer une simple décision sur opposition d’une réponse provoquant l’émission d’une cotisation additionnelle?
  4. L’émission d’une cotisation confère-t-elle le droit de la contester?
  5. Combien d’avis de cotisation l’ARQ peut-elle émettre suivant une renonciation?

Principalement, l’ARQ est d’avis que le contribuable ne peut pas s’opposer à une cotisation émise conformément à une renonciation à la prescription lorsque cette renonciation est faite au-delà de la période au cours de laquelle le ministre a le pouvoir de faire une nouvelle cotisation.

De son côté, le contribuable fait valoir que l’ARQ ne peut émettre qu’une seule cotisation après une renonciation. Or, pour les années 2000 et 2002, l’ARQ a émis une cotisation après les renonciations, mais elle a également émis de nouvelles cotisations après les oppositions. Selon lui, aucune disposition de la Loi sur l’administration fiscale (LAF) n’empêche la contestation de ces avis (2000 et 2002).

En ce qui a trait aux modifications des requêtes introductives d’instance demandées par le contribuable, nous invitons le lecteur à lire la décision. Nous préférons insister sur les commentaires du juge Lareau à l’égard de la renonciation.

La nature du document de renonciation

Dans le cadre de son analyse, le juge constate que les renonciations produites portent toutes la signature de M. Chiara, elles identifient l’année d’imposition et incluent deux des clauses suivantes:  

Renonciation:

Pour la période ou l'année d'imposition mentionnée ci-dessus, je consens, par la présente, à ce que le ministre puisse déterminer ou déterminer de nouveau le montant des droits, remboursements, intérêts et pénalités en vertu d'une loi fiscale, et ce, malgré l'expiration du délai pendant lequel le Ministère peut procéder à l'établissement d'un avis de cotisation, à l'égard du ou des points suivants :

Revenus

Dépenses

Dépenses de location refusées ou capitalisables

Déclaration

Je reconnais que conformément aux articles 93.1.7 et 93.1.11 de la Loi sur le ministère du Revenu, la cotisation établie à la suite de la présente renonciation ne peut faire l'objet d'un avis d'opposition prévu par l'article 93.1.1 ni d'un appel prévu par l'article 93.1.10 de la Loi sur le ministère du Revenu, sauf si cette renonciation a été faite avant l'expiration du délai faisant l'objet de la renonciation.

Les articles 93.1.7 et 93.1.11 LAF énoncent que:

Art. 93.1.7. L’article 93.1.1 ne s’applique pas à l’égard de la nouvelle cotisation visée à l’article 93.1.6 ni à l’égard d’une cotisation émise conformément à une renonciation visée au paragraphe b du deuxième alinéa de l’un des articles 14.0.0.1 et 14.5 ou au paragraphe b de l’article 25.1, à une renonciation visée au sous-paragraphe b du paragraphe 1° de l’article 43 de la Loi sur l’impôt minier (chapitre I-0.4) ou à une renonciation visée au sous-paragraphe ii du sous-paragraphe b du paragraphe 2 de l’article 1010 de la Loi sur les impôts (chapitre I‑3), sauf si cette renonciation a été faite dans la période au cours de laquelle le ministre peut faire une cotisation ou une nouvelle cotisation en vertu du premier alinéa de l’un de ces articles 14.0.0.1 et 14.5 ou de l’article 25, du paragraphe 3° de l’article 43 de la Loi sur l’impôt minier ou de l’un des sous-paragraphes a à a.2 du paragraphe 2 de cet article 1010, selon le cas.

Art. 93.1.11. L’article 93.1.10 ne s’applique pas à l’égard d’une cotisation émise conformément à une renonciation visée au paragraphe b du deuxième alinéa de l’un des articles 14.0.0.1 et 14.5 ou au paragraphe b de l’article 25.1, à une renonciation visée au sous-paragraphe b du paragraphe 1° de l’article 43 de la Loi sur l’impôt minier (chapitre I-0.4) ou à une renonciation visée au sous-paragraphe ii du sous-paragraphe b du paragraphe 2 de l’article 1010 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3), sauf si cette renonciation a été faite dans la période au cours de laquelle le ministre peut faire une cotisation ou une nouvelle cotisation en vertu du premier alinéa de l’un de ces articles 14.0.0.1 et 14.5 ou de l’article 25, du paragraphe 3° de l’article 43 de la Loi sur l’impôt minier ou de l’un des sous-paragraphes a à a.2 du paragraphe 2 de cet article 1010, selon le cas.

Tout d’abord, la Cour nous rappelle que la renonciation à la prescription permet à l’ARQ de rouvrir une année prescrite et de cotiser au-delà de la période normale de cotisation prévue au sous-paragraphe 1010(2)a) LI.

«Si le contribuable accepte que l’ARQ le cotise au-delà de la période de prescription, il y a probablement un certain avantage pour lui qui lui permettent d’avoir plus de temps pour trouver des documents et informations qui permettent de revoir à la baisse son impôt payable pour une année donnée. L’ARQ exige alors qu’il renonce à la prescription, mais également qu’il renonce à attaquer la nouvelle cotisation sur une autre base. De fait, le contribuable se fait informer par l’ARQ d’un projet de nouvelle cotisation, qu’il accepte avant de signer le formulaire de renonciation. Il y a en quelque sorte une transaction qui intervient entre l’ARQ et le contribuable en vertu de laquelle les parties s’entendent sur une nouvelle cotisation en contrepartie de laquelle le contribuable permet à l’ARQ de cotiser au-delà de la période permise par la loi, sans droit pour ce dernier de la contester.»

En l’espèce, la Cour mentionne qu’il n’y a jamais eu d’entente avec l’ARQ sur le montant de l’impôt payable pour les années pour lesquelles M. Chiara a renoncé à la prescription. Il s’agissait simplement de discussions entre l’ARQ et M. Chiara et ce dernier souhaitait éviter l’émission d’une cotisation.

Il est important de noter qu’une renonciation signée à l’intérieur du délai de prescription de trois ans pour l’émission d’une nouvelle cotisation ne fait pas perdre au contribuable son droit de contester la cotisation qui suivra.

Une renonciation inscrite avant l’échéance du délai de prescription, et par la suite révoquée par le contribuable, prolonge le délai de prescription de six mois à compter de la renonciation suivant l’article 25.3 LAF.

Si le contribuable renonce à nouveau à la prescription à l’intérieur du délai de six mois (tel qu’applicable), l’ARQ considère que cette renonciation s’inscrit à l’intérieur du délai de prescription. Par conséquent, elle n’a pas pour effet de retirer au contribuable son droit de contester la cotisation qui en résulte. 

Ainsi, la Cour précise ce qu’il en est pour chacune des années.

Précisions de la Cour: année 2002

Pour cette année d’imposition, la date limite pour cotiser de nouveau était le 22 décembre 2006.

Ainsi, la première renonciation en date du 7 décembre 2006 était avant le délai visé et M. Chiara a donc conservé son droit de contester. La première révocation avait repoussé le délai au 13 juin 2007 et, par conséquent, la renonciation du 26 avril 2007 est à l’intérieur du délai permettant à l’ARQ d’émettre une nouvelle cotisation. Le contribuable ne perd donc pas son droit de contester.

En ce qui a trait à la deuxième révocation, celle-ci n’a pas eu pour effet de révoquer la deuxième renonciation en raison du fait qu’elle référait à la première. Selon la Cour, il n’y a aucune autre interprétation à donner à ce document qui lui semble clair. Il s’agit d’un acte sous seing privé qui fait preuve, à l’égard de ceux contre qui il est prouvé, de l’acte juridique qu’il constate.

Ainsi, pour cette année, la conséquence de ne pas avoir révoqué valablement la deuxième renonciation fait en sorte que celle-ci conserve ses effets. Elle a aussi l’effet de rendre inutile la troisième renonciation.

M. Chiara n’a donc pas perdu le droit de s’opposer et ensuite de loger un appel. La demande en rejet de l’ARQ pour cette année n’est donc pas fondée.

Précisions de la Cour: année 2000

Pour l’année 2000, il n’y a qu’une seule renonciation signée le 27 septembre 2007. Comme elle fait suite à une première cotisation datée du 11 février 2002, elle est clairement postérieure au délai de trois ans permettant à l’ARQ d’émettre un nouvel avis de cotisation, cette date étant le 11 février 2005.

En application de l’article 93.1.7 LAF, l’article 93.1.1 LAF ne s’applique pas à une cotisation émise conformément à une renonciation visée au sous-paragraphe 1010(2)b)ii) LI. Cette nouvelle cotisation ne pouvait pas faire l’objet d’une opposition. Cependant, un avis d’opposition a été logé et il a été traité pour finalement voir l’émission d’une nouvelle cotisation réduisant l’impôt payable.

L’ARQ a reconnu qu’elle n’aurait pas dû traiter l’avis d’opposition et son argument était basé sur le fait que le ministre aurait donc agi «conformément à une renonciation implicite» formulée à même l’avis d’opposition du 13 août 2008. L’ARQ était également d’avis que le contribuable ne pouvait plus attaquer les ajustements effectués en 2008.

L’émission d’une nouvelle cotisation qui fixe l’impôt global annuel d’un contribuable remplace la cotisation antérieure et entraîne sa nullité.

À noter que la Cour mentionne que la LAF ne reconnaît pas le principe de renonciation implicite. La renonciation est expressément prévue à la LAF et doit être transmise sur le formulaire prescrit.

La renonciation à la prescription permet au ministre de n’émettre qu’un seul avis de cotisation après les délais prévus au sous-paragraphe 1010(2)a) LI. L’ARQ ne peut invoquer elle-même la nullité de sa cotisation. Cela équivaudrait à lui permettre de contester son propre avis de cotisation.

Par conséquent, la Cour conclut que M. Chiara pouvait déposer un appel devant la Cour à l’égard de la nouvelle cotisation émise suivant la décision sur opposition. La demande de rejet pour cette année n’est donc pas fondée.

Précisions de la Cour: année 1998

Finalement pour cette année d’imposition, on se souvient que M. Chiara a renoncé à la prescription le 5 octobre 2007, soit plus de trois ans après le délai dans lequel le ministre peut émettre un nouvel avis de cotisation.

L’ARQ a émis une cotisation le 23 juin 2008 et après avoir logé l’opposition, aucune nouvelle cotisation n’a été émise.

La renonciation ayant été logée après le délai de prescription, M. Chiara ne pouvait contester la cotisation du 23 juin 2008 en application de l’article 93.1.7 LAF. La demande de rejet de l’ARQ pour l’année 1998 est donc fondée.

Cette décision nous rappelle qu’il ne faut pas signer à la légère une renonciation présentée au moment de la vérification.

Au surplus, le contribuable doit être bien au fait des nouvelles règles sur la prescription pendant la pandémie en vertu de la Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 10 mars 2020, L.Q. 2021, c. 15, qui prévoit la suspension des délais de prescription en matière fiscale (cotisation, détermination, recouvrement) du 13 mars 2020 au 31 août 2021. Ainsi avant de signer une renonciation, le contribuable doit s’assurer qu’il comprend bien les délais qui s’appliquent à son dossier et que ses droits de contestation soient conservés.

Me Julie Gaudreault-Martel
Avocate, Associée BCF
Avocate, Associée chez BCF s.e.n.c.r.l.
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