Le congé parental n’est pas inclus dans la notion d’ « état civil » prévue à la Charte québécoise selon la Cour d’appel
Résumé : La Cour d'appel réaffirme que l'état parental n'est pas inclus dans la notion d'« état civil » prévue à la Charte des droits et libertés de la personne. Elle conclut que le fait de considérer les congés de maternité, de paternité et parental comme des absences afin de déterminer si un salarié a droit au congé d'assiduité prévu à la convention collective n'est pas discriminatoire.
Dans l'arrêt Réseau de transport de Longueuil[1], la Cour d'appel a eu à examiner le caractère potentiellement discriminatoire d'une clause de convention collective prévoyant un congé d'assiduité pour les salariés n'atteignant pas le maximum d'absences permis durant la période de référence. Plus particulièrement, elle devait déterminer s'il était discriminatoire de considérer les congés de maternité, paternité et parental comme étant des absences pouvant affecter le droit des salariés à ce congé d'assiduité. Dans ce contexte, la Cour avait à déterminer si le congé parental était protégé par la notion d'« état civil » prévue à la Charte des droits et libertés de la personne[2] (ci-après « Charte »).
I. Faits
L'article 32.07 de la convention collective en vigueur entre les parties était au cœur du litige. Cette clause prévoyait la possibilité pour un salarié de bénéficier d'un congé d'assiduité d'une ou deux semaines puisées à même ses congés de maladie non utilisés ou ceux accumulés dans sa banque de temps supplémentaire. Cette clause visait à reconnaître la régularité de la prestation de travail.
Pour pouvoir bénéficier de ce congé, les salariés ne devaient pas avoir cumulé plus de trois occurrences d'absence et ne devaient pas s'être absentés du travail plus de 10 jours durant l'année de référence. La notion d'occurrence avait été définie à la convention collective comme étant tout type d'absence, à l'exclusion des congés sociaux, des congés personnels, des libérations syndicales, des formations dispensées par l'employeur, des comparutions en justice, d'une lésion professionnelle et des retards. Il s'agissait donc essentiellement de congés de courte durée, à l'exception de celui résultant d'une lésion professionnelle.
Une fois cette disposition entrée en vigueur, le syndicat et l'employeur divergeaient d'opinion quant à son application.
En effet, le Syndicat prétendait que le congé de maternité, le congé de paternité et le congé parental devaient faire partie des exceptions, au même titre que les congés sociaux. Il plaidait qu'une interprétation contraire serait une mesure discriminatoire au sens de l'article 10 de la Charte, fondée notamment sur l'état civil qui, selon lui, devait inclure la parentalité ou la situation familiale. Pour le congé de maternité, le Syndicat plaidait que l'exclusion de ce congé était une mesure discriminatoire fondée sur la grossesse et le sexe.
De son côté, l'employeur plaidait plutôt que l'exclusion de ces congés s'expliquait par leur durée et par l'objectif du congé d'assiduité. Pour l'employeur, leur exclusion n'avait rien à voir avec l'un des motifs de discrimination prévus à l'article 10 de la Charte.
L'arbitre et la Cour supérieure ont donné raison à l'employeur.
La Cour d'appel a formulé les deux questions auxquelles elle devait répondre de la façon suivante :
- Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que l'arbitre a rendu une décision raisonnable en déterminant que l'exclusion du congé de maternité, du congé de paternité et du congé parental des congés qui ne sont pas pris en compte aux fins de l'octroi du congé d'assiduité ne constitue pas une forme de discrimination fondée sur l'« état civil » au sens de l'article 10 de la Charte?
- Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que l'arbitre a rendu une décision raisonnable en déterminant que l'exclusion du congé de maternité des congés qui ne sont pas pris en compte aux fins de l'octroi du congé d'assiduité ne constitue pas une forme de discrimination fondée sur la « grossesse » ou le « sexe » au sens de l'article 10 de la Charte?
II. Décision
La Cour d'appel précise que la norme d'intervention applicable au jugement de la Cour supérieure est celle de la décision raisonnable. Elle rappelle que l'exercice est balisé par la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct des décideurs spécialisés.
La Cour rappelle le fardeau de preuve qui incombe à la personne qui allègue avoir été victime de discrimination. Elle cite les juges majoritaires dans l'arrêt Ward[3], qui réfère notamment à l'arrêt Bombardier Aéronautique[4] :
[36] Le demandeur qui sollicite la protection de l'art. 10 doit satisfaire à un fardeau de preuve qui comprend trois éléments. Premièrement, il doit prouver qu'il a fait l'objet d'une « distinction, exclusion ou préférence » (Charte québécoise, art. 10), c'est-à-dire d'une « décision, mesure ou conduite [qui] le "touche [...] d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer" » (…). Deuxièmement, il doit établir qu'une des caractéristiques expressément protégées à l'art. 10 a été un facteur dans la différence de traitement dont il se plaint (…). Troisièmement, il doit démontrer que cette différence de traitement compromet l'exercice ou la reconnaissance en pleine égalité d'une liberté ou d'un droit garanti par la Charte québécoise (…).
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
Quant au premier élément de la discrimination, soit la « distinction, exclusion ou préférence », la Cour d'appel rappelle l'importance du « groupe de comparaison ». Comme elle l'a mentionné dans l'arrêt Association des juristes de l'État[5], la question de déterminer si une distinction est fondée sur un motif prohibé nécessite de comparer la situation de la personne qui se prétend victime avec celle d'un groupe d'individus aux caractéristiques identiques. Autrement dit, le plaignant doit établir qu'il s'est vu refuser un avantage accordé à d'autres en raison d'une caractéristique personnelle correspondant à un motif prohibé.
Après ce rappel des principes applicables en matière de discrimination, la Cour examine les deux questions en litige.
1. Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que l'arbitre a rendu une décision raisonnable en déterminant que l'exclusion du congé de maternité, du congé de paternité et du congé parental des congés qui ne sont pas pris en compte aux fins de l'octroi du congé d'assiduité ne constitue pas une forme de discrimination fondée sur l'« état civil » au sens de l'article 10 de la Charte?
À cette première question, la Cour d'appel répond par la négative. Elle rappelle les enseignements de l'arrêt Centre de santé et de services sociaux de la Basse-Côte-Nord[6], dans lequel la Cour d'appel avait conclu que l'état parental n'est pas un motif de discrimination inclus dans la notion d'« état civil ». De plus, elle rappelle que l'énumération des motifs de discrimination à l'article 10 de la Charte est exhaustive, contrairement à ceux énoncés à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[7].
La Cour d'appel qualifie d'erroné l'argument syndical suivant lequel la question en litige fait l'objet d'une jurisprudence contradictoire en raison de décisions du Tribunal des droits de la personne ayant conclu que l'état parental était inclus dans la notion d'état civil énoncé à la Charte. Compte tenu notamment du principe du stare decisis vertical et de l'ordonnancement judiciaire québécois, les arrêts de la Cour d'appel font autorité par rapport aux décisions du Tribunal des droits de la personne.
La Cour rappelle également qu'en 2018, lors des consultations publiques concernant le projet de loi 176, Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d'autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a proposé au législateur québécois d'ajouter la « situation de famille » aux motifs de discrimination prohibée par l'article 10 de la Charte. Or, cette proposition n'a pas eu de suite. La Cour signale que le fait que la législature n'ait pas modifié le libellé de la disposition législative concernée est révélateur de son intention de ne pas inclure l'état parental dans la notion d'« état civil ».
2. Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que l'arbitre a rendu une décision raisonnable en déterminant que l'exclusion du congé de maternité des congés qui ne sont pas pris en compte aux fins de l'octroi du congé d'assiduité ne constitue pas une forme de discrimination fondée sur la « grossesse » ou le « sexe » au sens de l'article 10 de la Charte?
La Cour d'appel répond aussi par la négative à la deuxième question. À ce titre, le groupe de comparaison retenu par l'arbitre était constitué des salariés qui s'absentent du travail plus de 10 jours durant une année de référence pour une raison autre que les types d'absence spécifiquement exclus de la disposition prévoyant le congé d'assiduité. Ainsi, dans ce groupe de comparaison se trouvaient les salariés en congé de maternité, en congé de paternité, en congé parental, en congé à traitement différé et ceux en congé de maladie long terme.
La Cour précise que la comparaison de la salariée en congé de maternité, avec les salariés en congé de paternité ou en congé parental, dont l'exclusion n'est pas fondée sur un motif prohibé, mène à la conclusion que la première n'a pas été exclue en raison de sa grossesse, mais bien en raison de la durée de ce congé et de l'objectif du congé d'assiduité. Il y a donc absence de traitement discriminatoire. Le même raisonnement s'applique aux congés à traitement différé (qui est d'une durée minimale de trois mois).
Bien que le raisonnement qui précède suffit à sceller le sort de la deuxième question en litige, la Cour d'appel aborde le troisième élément constitutif de discrimination, soit l'analyse contextuelle pour déceler la présence d'un préjudice réel. La Cour affirme qu'une analyse contextuelle ne met pas en évidence que la salariée qui s'absente pour un congé de maternité subit un tel préjudice. Notamment, l'analyse de la convention collective permet de constater que les parties contractantes ont convenu d'avantages et d'indemnités qui équivalent ou surpassent ceux prévus dans la Loi sur les normes du travail[8] et le RQAP, d'une part, et ceux dont bénéficie le salarié qui se prévaut d'un congé sans solde, d'un congé de paternité ou parental ou d'un congé à traitement différé, d'autre part.
La Cour en conclut qu'une analyse contextuelle prenant notamment en compte les dispositions de la convention collective relatives aux « indemnisations et autres avantages » prévues dans le cadre du congé de maternité permet de conclure que la non-inclusion de ce congé parmi ceux qui ne sont pas pris en compte aux fins d'octroi du congé d'assiduité n'entraîne pas un préjudice réel et ne constitue donc pas une mesure discriminatoire fondée sur la grossesse.
III. Conclusion
La Cour d'appel réaffirme dans cet arrêt que l'état de parentalité ou plus précisément, le congé parental, n'est pas protégé par la Charte. En effet, contrairement à la Loi canadienne sur les droits de la personne[9], qui inclut comme motif de discrimination la « situation de famille », la Charte ne comprend pas ce motif et la notion d'« état civil » ne peut être interprétée comme l'incluant, selon la Cour d'appel. La Cour précise que ses arrêts priment sur des décisions du Tribunal des droits de la personne qui auraient pu conclure à l'effet contraire.
Il est également intéressant de noter le groupe de comparaison qui est retenu par la Cour pour déterminer s'il y a réellement discrimination. Résumé à sa plus simple expression, on comprend que le groupe retenu ici (tous les employés en congé pour plus de 10 jours) permet de conclure que le congé de maternité est exclu non pas en raison du motif de « grossesse » protégé par la Charte, mais parce qu'il s'agit d'un congé de plus de 10 jours.
Enfin, on retient qu'il est pertinent dans l'analyse contextuelle de tenir compte de l'ensemble des avantages octroyés par la convention collective durant un congé de maternité afin de déterminer s'il y a traitement discriminatoire.
- Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3333 c. Réseau de transport de Longueuil, 2024 QCCA 204.
- RLRQ, c. C-12.
- Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43.
- Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39.
- Procureur général du Québec c. Association des juristes de l'État, 2018 QCCA 1763.
- Syndicat des intervenantes et intervenants de la santé Nord-Est québécois (SIISNEQ) (CSQ) c. Centre de santé des services sociaux de la Basse-Côte-Nord, 2010 QCCA 497.
- Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11.
- RLRQ, c. n-1.1.
- L.R.C. (1985), ch. H-6.