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Fiscalité et comptabilité Legal08 janvier, 2025

Intelligence artificielle et droit d’auteur : au carrefour entre idée, création et protection – discussion avec Dirk Visser

Qu’implique l’intelligence artificielle pour le droit d’auteur et le rôle de l’homme dans les processus créatifs ? Cette question m’interpelle de plus en plus souvent. L’intelligence artificielle continue à se développer à toute vitesse, avec un impact direct sur le droit d’auteur. Alors qu’à l’époque, internet a modifié la distribution du contenu, l’intelligence artificielle touche à son essence même : la création. J’ai discuté avec Dirk Visser, avocat et professeur en droits de propriété intellectuelle. Il a vécu de près l’émergence d’internet et la révolution de l’intelligence artificielle et nous explique, fort de sa longue expérience, ce que l’intelligence artificielle implique pour la créativité et sa protection. « Il s’agit d’une révolution dont nous ne mesurons pas encore totalement l’impact. L’intelligence artificielle nous force à réfléchir à la raison d’être du droit d’auteur. »

L’essence du droit d’auteur dévoilée

Commençons par une question clé : quel est l’objectif du droit d’auteur ? « Le droit d’auteur tourne autour de trois éléments », indique Dirk. « La reconnaissance, la rémunération et l’incitation à créer de nouvelles œuvres originales. Il encourage la création et offre un monopole temporaire qui permet le développement d’œuvres créatives. » Mais que se passe-t-il lorsqu’une intelligence artificielle crée du contenu, sans l’intervention du cerveau humain ? Dirk attire mon attention sur un problème fondamental : « Dans une création humaine, le processus créatif est visible, mais lorsque le contenu est produit par l’intelligence artificielle, la créativité est plus difficile à prouver, elle est insaisissable. » Il fait référence à une affaire tchèque concernant des photos générées par l’intelligence artificielle, dans laquelle le juge a statué que celui qui rédige le prompt ne peut pas être considéré comme l’auteur, parce que l’acte créatif est exécuté par l’intelligence artificielle. Il se pose la question suivante : « L’auteur est-il celui qui écrit le prompt ou l’intelligence artificielle elle-même ? »

Dirk compare la situation au travail d’un photographe. « Même si je donne des instructions à un photographe, il est l’auteur de la photo, pas moi. Si je demande de manière détaillée à une intelligence artificielle de générer une image représentant un bouquet d’hortensias, l’intelligence artificielle assume la fonction du photographe. Je suis à la base de l’idée, mais l’acte créatif est réalisé par l’intelligence artificielle. » Il en résulte une question cruciale : devons-nous protéger l’idée plutôt que son développement, comme le suggèrent certains juristes ? Dirk se montre critique : « Traditionnellement, nous sommes réticents à protéger l’idée, et c’est une bonne chose. »

Alors qu’à l’époque, internet a révolutionné la distribution, l’intelligence artificielle touche à la création même. Elle ne change pas seulement la manière dont nous créons du contenu, mais aussi notre façon de définir ce qu’est un auteur et la valeur créative.

Fiabilité sous pression : nécessité d’un contrôle de la qualité

En tant qu’avocat spécialisé en propriété intellectuelle, Dirk sait à quel point l’authenticité est importante dans le monde du divertissement et de l’art. Il cite l’exemple du chanteur néerlandais Boudewijn de Groot et me dit : « Imaginez qu’il demande à l’intelligence artificielle de créer une chanson dans son style. Le morceau sera alors toujours considéré comme étant de lui. Mais qu’en est-il si vous ou moi en faisons de même sans autorisation ? Il y a une énorme différence. » Il fait une comparaison avec le dessinateur néerlandais Dick Bruna : « Et si, chaque soir, une personne faisait réaliser par l’intelligence artificielle un livre dans le style de Miffy ? Même si ces ouvrages sont pour son usage privé, ils remplacent totalement l’œuvre de Dick Bruna – cette personne ne devra plus jamais acheter l’un de ses livres. La question est sensible, car même si le style n’est pas protégé, cela touche à l’essence même de l’originalité créative. »

Au cours de notre discussion, Dirk insiste sur l’importance de la fiabilité des informations spécialisées, une caractéristique importante pour Wolters Kluwer. « En ce qui concerne les informations spécialisées, la fiabilité est fondamentale. L’intelligence artificielle peut certainement jouer un rôle de soutien, mais un contrôle par des experts reste essentiel. » Je partage son avis et constate qu’il rejoint les enseignements du rapport 2024 Avocats et juristes face au futur, récemment publié. Les professionnels du droit ont de plus en plus souvent recours à l’intelligence artificielle générative et à ses applications majeures dans les domaines de la recherche juridique, de l’analyse et de l’automatisation des documents pour améliorer leur efficacité et répondre à la demande croissante des clients.

Mais le rapport souligne que ces développements s’accompagnent aussi de défis. Ceux-ci peuvent être classés dans trois catégories clés : difficultés avec l’intégration de l’intelligence artificielle générative, manque de fiabilité de certains résultats, et questions éthiques autour de l’intelligence artificielle et de la protection des données. La confiance est un sujet particulièrement sensible : ainsi, 41 % des cabinets d’avocats et 37 % des départements juridiques doutent de la qualité de l’intelligence artificielle générative. Il en va de même pour les préoccupations éthiques autour de la protection des données. Cela souligne pour moi encore une fois la nécessité d’un solide contrôle de la qualité, un élément sur lequel Wolters Kluwer continue irrémédiablement à miser. Notre rédaction spécialisée entraîne ainsi exclusivement l’intelligence artificielle avec du contenu validé et délimité, et contrôle soigneusement les résultats obtenus.

Équilibre entre technologie, personnalisation et transparence

Plus tard au cours de notre discussion sur les possibilités de l’intelligence artificielle générative, je suis particulièrement frappé par le pouvoir de la personnalisation. Dirk Visser l’explique de manière percutante : « Pensez à un roman dont vous êtes le héros. Son intérêt ne réside pas dans son contenu général, mais dans sa pertinence personnelle. » Cela montre que l’intelligence artificielle peut non seulement renforcer l’efficacité, mais aussi créer du contenu qui répond directement à des besoins personnels. Chez Wolters Kluwer, nous travaillons dans cet esprit à des solutions telles que la recherche conversationnelle, qui permet de répondre à des questions juridiques uniques avec du contenu spécifiquement adapté à la situation de l’utilisateur.

Parallèlement, je prends conscience que les principales questions tourneront à l’avenir autour de la clarté et de l’intégrité. La législation sur l’intelligence artificielle, qui est entrée en vigueur le 1er août 2024, impose des obligations de transparence strictes : les utilisateurs doivent savoir quand du contenu est généré par l’intelligence artificielle et si un contrôle humain a eu lieu. Comme je l’ai récemment lu dans l’article de Dirk Visser et Jasper Klopper dans Bedrijfsjuridische Berichten : « Les obligations de transparence qu’implique l’intelligence artificielle sont essentielles pour garantir la confiance des utilisateurs. » Elles sont indispensables, en particulier dans les secteurs où l’intégrité occupe une place centrale, comme la pratique juridique.

Wolters Kluwer investit justement dans cet équilibre. En combinant technologie et expertise humaine, nous veillons à ce que nos solutions soient non seulement efficaces et pertinentes, mais aussi à ce qu’elles soient fiables. C’est cette combinaison qui rend l’intelligence artificielle générative réellement précieuse : une innovation solidement ancrée dans la confiance. Nous travaillons ainsi avec nos clients et nos auteurs à une pratique juridique parée pour l’avenir, tout en restant précise et intègre.

Peter Immink
Peter Immink a accumulé plus de 15 ans d'expertise dans divers aspects du processus d'édition, y compris l'édition, la stratégie et la transformation numérique, et aime donc se plonger dans les nouvelles technologies qui transforment l'industrie de l'édition. Il se passionne également pour la découverte d'auteurs talentueux et suit leur développement afin de mettre en place des collaborations fructueuses. Dans son rôle actuel de VP Content, Peter est responsable de tout ce qui concerne les auteurs et le portefeuille de contenu Legal & Regulatory au Benelux.
Peter Immink
VP Publishing & Operations | Wolters Kluwer Benelux
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