«Orientations» publie dans son numéro de novembre 2020 un article intitulé «La preuve en droit du travail : évolutions et questions particulières».
La preuve en droit du travail : évolutions et questions particulières
Cet article sous la plume de Steve GILSON, France LAMBINET et Hélène PREUMONT comporte trois parties. La première vise l’incidence de la réforme du Code civil en droit social. La deuxième vise le régime juridique des attestations dans le contexte spécifique du droit social. La troisième vise l’évolution de la jurisprudence ANTIGONE ET MANON en droit social.
L’incidence de la réforme du Code civil en droit social
Dans la première partie consacrée à l’incidence de la réforme du Code civil en droit social, les auteurs rappellent que les règles de preuve en droit social se font sur les dispositions du Code civil à la notable exception de l’article 12 de loi du 3 juillet 1978 qui prévoit la possibilité de recourir à la preuve testimoniale dans toutes les hypothèses. Ils examinent ensuite les incidences de la modification du Code civil par le nouveau livre 8 sur la preuve qui a été inséré par la loi du 13 avril 2019 et qui est entré en vigueur le 1er novembre 2020. La nouvelle codification constitue plus une modernisation qu’une réforme de sorte que cela ne bouleversera pas la vie des praticiens du droit social. Un certain nombre de modifications proviennent de l’intégration de principes qui étaient bien connus comme le principe de contribution à l’administration de la preuve ou le fait que la charge de la preuve vise essentiellement à régler finalement le risque du défaut de preuve. Une nouveauté réside néanmoins dans l’article 8.4 alinéa 5 qui va permettre au juge de déterminer par un jugement spécialement motivé dans des circonstances exceptionnelles qui va devoir supporter la charge de la preuve lorsque des applications des règles ordinaires seraient manifestement déraisonnables. Cette possibilité encadrée strictement pourrait présenter un intérêt en droit social dès lors que le travailleur est souvent privé d’élément de preuve qui lui permette de faire valoir ses prétentions après son licenciement.
Les attestations en application de l’article 961/2 du Code judiciaire
Dans la deuxième partie, les auteurs se penchent sur les attestations en application de l’article 961/2 du Code judiciaire en examinant la jurisprudence qui a été prononcée en droit social depuis la loi du 16 juillet 2012 qui les a intégrées dans le Code judiciaire. Il en ressort que si une attestation comporte toutes les formes requises, le juge reste entièrement souverain dans son appréciation de la force probante. Si une attestation ne comporte pas les formes requises, l’écartement de celle-ci n’est pas obligatoire. Le juge l’appréciera évidemment avec une particulière circonspection mais il lui appartiendra tout autant d’apprécier souverainement si l’attestation présente ou non les garanties suffisantes pour pouvoir être prise en compte dans les débats. On peut donc en déduire de manière très pragmatique que, s’il vaut mieux qu’une attestation réponde aux conditions de l’article 961 parce qu’elle a dans l’absolu plus de chance d’être reçue, dans les faits, le juge fera ce qu’il voudra de l’attestation qu’elle soit ou non conforme à l’article précité. Les auteurs rappellent également que rien n’empêche des travailleurs dans un lien de subordination d’attester, même si les attestations qui seraient produites par la ligne hiérarchique en tant que telle doivent être prises avec encore plus de circonspection étant entendu par contre que des organes d’une personne morale ne peuvent pas témoigner pour elle.
La jurisprudence Antigone et Manon
Dans la troisième partie, les auteurs reviennent sur la jurisprudence ANTIGONE ET MANON et son évolution en droit social. Dans les deux arrêts précités, la Cour de cassation est amenée à abandonner le principe d’exclusion automatique de la preuve illicitement recueillie. Ils rappellent aussi que l’application de cette jurisprudence ANTIGONE ET MANON en droit social fait l’objet encore aujourd’hui de nombreuses controverses. Désormais, la preuve illicitement recueillie ne peut plus être écartée des débats que dans certaines hypothèses. Le relevé de la jurisprudence dressé démontre que ces discussions sont loin d’être éteintes dans la pratique dès lors qu’il y a tout d’abord une première question qui consiste à savoir s' il va falloir appliquer la jurisprudence ANTIGONE ET MANON en droit social (dès lors qu’elle trouve sa source initialement en droit pénal et ensuite si on estime l’appliquer encore faut-il réaliser ce fameux test ANTIGONE ET MANON pour vérifier notamment si le mode de collecte de la preuve n’a pas entaché sa fiabilité ou si la preuve n’a pas méconnu le droit à un procès équitable. On assiste donc aujourd’hui à un débat sur la production de cette preuve illicite. Il est à craindre que ce débat n’occulte parfois celui qui portait en amont sur le caractère illicite de la preuve. En d’autres mots, on peut craindre aujourd’hui qu’un certain nombre d’employeurs ne s’inquiète plus de la façon dont ils récoltent les preuves puisqu’ils savent que de toute façon ils pourront tenter de plaider qu’elles ne doivent pas être écartées... Cela peut constituer une réelle menace pour le droit au respect de la vie privée qui ne disposait bien souvent que d’une seule sanction efficace qui résidait dans l’écartement de la preuve recueillie illicitement.
France Lambinet est avocate au Barreau de Namur depuis 2012, au sein du cabinet Van de Laer, Gilson & Associés, où elle pratique quotidiennement le droit du travail et de la sécurité sociale. Elle est par ailleurs assistante à l’Université libre de Bruxelles, Maître-assistante à l’HENALLUX et collaboratrice scientifique à l’Université catholique de Louvain.
Steve GILSON est avocat au Barreau de Namur, licencié en droit de l’UCL et titulaire d’un DES en droit social de l’ULG. Il enseigne le droit de la sécurité sociale à l’UCLOUVAIN et le droit du travail à l’ICHEC. Il est par ailleurs Juge suppléant au Tribunal du travail de Liège, division de Namur.