Lauren Gielis, Vicky Sterkenset Koen Martens
Experts-comptables et conseillers fiscaux VGD
Source: taxTODAY sur monKEY- La banque de données spécialisée pour les professionnels de la fiscalité, de la finance et de la comptabilité.
Lauren Gielis, Vicky Sterkenset Koen Martens
Experts-comptables et conseillers fiscaux VGD
Source: taxTODAY sur monKEY- La banque de données spécialisée pour les professionnels de la fiscalité, de la finance et de la comptabilité.
Les plus-values réalisées lors de la vente d'actifs affectés à l'exercice de l'activité professionnelle constituent des revenus professionnels imposables. En fonction du type de comptabilité tenue par le contribuable, tous les actifs ne sont cependant pas considérés par la loi comme des actifs affectés à l'exercice de l'activité professionnelle. La question de savoir si la plus-value réalisée sur de tels actifs est imposable et, si oui, comment elle doit être imposée et, le cas échéant, s'il peut être question d'une violation du principe d'égalité est controversée depuis des années. Une question sur laquelle la Cour de cassation s'est à nouveau prononcée l'année dernière. Cette jurisprudence a des conséquences surprenantes…
La question de la (non-)imposabilité des plus-values sur les actifs affectés à l'exercice de l'activité professionnelle alimente la controverse depuis de nombreuses années et trouve son fondement légal dans les articles 24, alinéa 1er, 2°, 27, alinéa 2, 3°, 28 et 41 CIR 92.
La controverse ne concerne pas tant les entreprises qui tiennent une comptabilité dite double, mais bien les entreprises qui ne le font pas et qui sont autorisées à se limiter à une comptabilité simplifiée (article III.85 CDE).
L'exemple type est celui de l'indépendant-personne physique qui a un terrain sur lequel se trouve un bâtiment qu'il affecte à l'exercice de son activité professionnelle et qui tient une comptabilité simplifiée [Il est à noter que la possibilité de tenir une comptabilité simplifiée est également offerte aux sociétés en nom collectif (SNC) et aux sociétés en commandite (SComm). Aussi longtemps que le chiffre d'affaires du dernier exercice comptable reste inférieur à 500 000 euros.]. Le bâtiment est amorti, mais aucune réduction de valeur n'est comptabilisée sur le terrain. L'ensemble est vendu avec une plus-value.
Si nous reprenons notre exemple et la question posée ci-dessus, une interprétation stricte de l'article 41 a pour effet que la partie de la plus-value qui se rapporte au bâtiment est imposable au titre de revenu professionnel, mais pas la partie qui se rapporte au terrain.
Cette conclusion semble toutefois incompatible avec le commentaire administratif (Com. IR 92 n° 41/7). Dans ce commentaire, il est en effet explicitement exposé qu'il n'existe aucun fondement juridique permettant de ventiler la partie bâtie et la partie non-bâtie d'un ensemble mobilier. Le simple fait que la partie du prix d'acquisition ou du coût de revient qui représente la valeur du terrain ne puisse pas faire l'objet d'amortissements, mais que seule la valeur résiduelle le puisse, n'empêche pas que l'ensemble soit considéré comme l'actif sur lequel des amortissements sont admis. En d'autres termes, même la partie de la plus-value qui se rapporte au terrain sera imposable si des amortissements ont été comptabilisés sur le bâtiment.
Dans son arrêt du 21 juin 2018, la Cour de cassation s'est prononcée sur une affaire similaire. La Cour a été formelle sur ce point : « Lorsqu'un contribuable tient une comptabilité simplifiée, dans le cadre de laquelle il n'applique que des amortissements et ne procède à aucune réduction de valeur, il y a lieu de considérer que le terrain, qui peut faire l'objet d'une réduction de valeur, mais non d'un amortissement, n'est pas un élément d'actif affecté à l'exercice de l'activité professionnelle ». Selon la Cour, la plus-value imposable ne peut dès lors être déterminée qu'en ventilant le prix de vente entre le terrain et le bâtiment.
Bien que claires et cohérentes, cette interprétation et cette application de l'article 41 CIR 92 ont pour effet de faire naître une différence de traitement entre les contribuables qui tiennent une comptabilité simplifiée qui peuvent choisir de comptabiliser ou non des réductions de valeur sur les terrains, et les contribuables qui tiennent une comptabilité double qui sont obligés de comptabiliser les terrains comme éléments d'actif. On peut dès lors s'interroger sur la licéité de cette distinction.
La Cour constitutionnelle et la Cour de cassation sont donc en phase en ce qui concerne l'interprétation de l'article 41 du CIR 92. La Cour constitutionnelle a même estimé que, s'il fallait considérer, au départ de l'hypothèse suivant laquelle un bâtiment et le terrain sur lequel ce bâtiment est érigé constituent un ensemble, que la plus-value portant cet ensemble est imposable dès lors que le contribuable a appliqué des amortissements sur le bâtiment sans appliquer de réductions de valeur sur le terrain, l'article 41, 2° du CIR 92 ferait naître une différence de traitement injustifiée entre les contribuables qui tiennent une comptabilité simplifiée, selon qu'ils réalisent une plus-value sur un bien immobilier non bâti ou sur un bien immobilier bâti. En effet, la plus-value réalisée sur le terrain serait imposable lorsqu'il s'agit d'un bien immobilier bâti, alors qu'elle ne le serait pas lorsqu'il s'agit d'un bien immobilier non bâti.
Bien que cette jurisprudence soit claire, on peut se demander si le fisc ne risque pas de trouver d'autres angles d'attaque pour imposer malgré tout la plus-value sur le terrain. Nous pouvons renvoyer à cet égard à l'arrêt de la Cour de cassation du 29 janvier 2021 qui était dirigé contre l'arrêt de la Cour d'appel de Gand du 9 octobre 2018.
Les faits étaient quelque peu différents. Il s'agissait in casu d'un contribuable qui était propriétaire d'une quarantaine d'appartements achetés à titre privé en 2001 pour plus d'un million d'euros. L'achat avait été financé par un emprunt hypothécaire. Les appartements avaient été mis en location. Pour la location, le contribuable avait fait appel à une SCRL dont il était l'actionnaire majoritaire et l'administrateur délégué. La SCRL s'occupait de la mise en location, encaissait les loyers et supportait les charges relatives aux appartements (entre autres les frais des réparations et installations d'utilité publique, les charges communes et les frais de personnel). Le solde revenait au contribuable qui déclarait ces revenus au titre de revenus immobiliers. Les appartements ont ensuite été apportés dans une société patrimoniale et une plus-value a été réalisée à cette occasion.
Eu égard aux faits dans cette affaire, le fisc n'était pas d'accord avec la qualification des revenus locatifs au titre de revenus immobiliers. Il estimait qu'il s'agissait de revenus professionnels. Le fisc a en outre considéré que la plus-value qui avait été réalisée lors de l'apport était imposable au titre de revenu divers (article 90, 1° CIR 92). Autrement dit, le fisc a considéré qu'un même actif pouvait générer à la fois des revenus professionnels (loyers) et un revenu divers (la plus-value réalisée lors de l'apport).
L'affaire a été portée devant le tribunal de première instance, puis devant la Cour d'appel de Gand. Cette Cour a donné raison au fisc : si les loyers nets devaient être imposés au titre de revenus professionnels, la plus-value devait bel et bien être imposée au titre de revenu divers. Mais la Cour a également confirmé l'imposition de la plus-value au titre de revenu divers. Pour arriver à cette dernière conclusion, la Cour utilise l'article 41 du CIR 92. Elle considère que, vu que les appartements n'ont pas été comptabilisés et qu'aucun amortissement n'a été admis sur ces appartements, ils doivent être considérés comme faisant partie du patrimoine privé du contribuable.
La Cour juge que l'apport des appartements dans la société est sans rapport avec la qualification des revenus locatifs au titre de revenus professionnels vu que les appartements ne sont pas des actifs professionnels. La Cour fait usage de la définition proposée à l'article 41 du CIR 92 dans le contexte de l'application de l'article 90, 1° du CIR 92 : vu que les conditions de l'article 41 du CIR 92 ne sont pas remplies, la plus-value sur l'apport des appartements peut être considérée comme réalisée en dehors de l'exercice d'une activité professionnelle au sens de l'article 90, alinéa 1er, 1° du CIR 92.
L'affaire atterrit finalement devant la Cour de cassation. Dans son arrêt du 29 janvier 2021, la Cour applique l'article 41 du CIR 92 de façon stricte et précise que cet article n'a d'utilité que dans le cadre de l'application de l'article 24, alinéa 1er, 2° du CIR 92 (F.19.0033.N). Il ne peut donc pas être appliqué dans le contexte de l'article 90, 1° du CIR 92. Ce point de vue est logique dans le sens où l'article 41 du CIR 92 détermine dans quels cas des actifs doivent être considérés comme affectés à l'exercice de l'activité professionnelle, et pas dans quels cas ils doivent être considérés comme utilisés « en dehors de l'exercice d'une activité professionnelle ».
Ce jugement de la Cour de cassation implique que, lorsque les loyers relatifs à certains biens immobiliers sont considérés comme des revenus professionnels, ces biens immobiliers sont par définition des actifs professionnels. Les plus-values doivent par conséquent aussi être considérées comme un revenu professionnel. Mais s'il s'avère que les conditions de l'article 41 du CIR 92 ne sont pas remplies, la plus-value est selon nous exonérée (même si la Cour n'en parle plus). La théorie de la « contrainte » exclut en effet une qualification au titre de revenu divers dans ce scénario. Nous restons en effet dans la réglementation applicable aux revenus professionnels (et le fait que celle-ci implique dans certains cas une exonération n'est pas une raison permettant de basculer vers l'application d'une réglementation applicable à une autre catégorie de revenus).
Ce raisonnement conduit à la conclusion suivante : si un contribuable utilise les biens immobiliers à titre purement privé, la plus-value éventuelle peut (effectivement) être imposable au titre de revenu divers. Notamment en application de l'article 90, 1° du CIR 92 (en cas de spéculation ou d'acte de gestion anormale du patrimoine privé), ou par application de l'article 90, 8° ou 10° du CIR 92 (dans le cas d'une vente « rapide »). Par contre, si un contribuable affecte les actifs à l'exercice de son activité professionnelle, sa plus-value sera exonérée si les conditions de l'article 41 du CIR 92 ne sont pas rencontrées. Ce dernier contribuable semble ainsi bénéficier d'un avantage fiscal par rapport au premier.