Auteurs: Emma Kranendonk, Nick Strous
Source: monKEY
Charges financières compensées par une éventuelle collaboration avec des concurrents potentiels
En 2019, la Commission européenne s’est engagée à réaliser les objectifs fixés dans le pacte vert. Cet engagement a résulté en une profusion de législations vertes dont la fin n’est pas encore en vue. Pour les entreprises, le respect des obligations en matière de durabilité qui découlent de la législation du pacte vert entraîne des charges opérationnelles et financières considérables. Pour soutenir les entreprises dans la réalisation de ces objectifs en matière de durabilité, la Commission européenne a entrepris des démarches pour faciliter la collaboration entre concurrents (potentiels) en matière d’objectifs de durabilité.
Voir Les lignes directrices de la Commission européenne
Exemples de coopérations approuvées en matière de durabilité
Différentes entreprises ont entre-temps fait usage du cadre décrit et demandé l’approbation pour leurs accords de durabilité auprès des autorités de concurrence nationales. Diverses autorités de concurrence ont évalué ces accords (de manière informelle) pour définir s’il y a des problèmes de concurrence à l’égard d’accords ou d’initiatives de durabilité spécifiques.Quelques exemples de telles appréciations sont commentés ci-dessous. Nous commentons à cet égard des décisions tant de la Belgique que de pays voisins, étant donné que les autorités belges de la concurrence pourraient se laisser inspirer par ces dernières décisions lors d’appréciations de cas similaires.
Belgique
L’Autorité belge de la concurrence (ABC) a estimé en août 2024 ne pas avoir d’objections contre une initiative de durabilité visant à promouvoir des salaires décents dans la filière bananière, qui a été initiée par IDH-Transforming Markets en collaboration avec certaines grandes chaînes de distribution.Pour éviter les incidences négatives sur la concurrence, l’ABC a fixé d’autres conditions, dont la transparence du processus de sélection, la participation volontaire, l’absence d’échange d’informations commerciales sensibles et l’absence d’augmentations de prix. IDH-Transforming Markets ne peut par ailleurs pas donner de directives pour la répercussion de changements de coûts ni communiquer de prix minimum au sein de la chaîne. La mise en œuvre du projet sera contrôlée chaque année à l’aide d’indicateurs clés de performance et vérifiée par une tierce partie indépendante, pour mesurer les progrès accomplis et l’impact dans les pays d’origine.
Pays-Bas
L’Autorité néerlandaise de la concurrence (Autoriteit, Consument & Markt, ACM) semble se positionner comme un pionnier en matière d’accords de durabilité en Europe. Cela ressort de la règle politique qu’elle a publiée et le fait qu’elle a déjà évalué entre-temps sept accords de durabilité.L’une de ces évaluations concerne la demande de l’association néerlandaise des banques (Nederlandse Vereniging van Banken - NVB), de laisser les banques néerlandaises coopérer en matière de rapports de durabilité, plus spécifiquement en ce qui concerne la CSRD. La coopération vise à améliorer la comparabilité des rapports et comprend un projet de données commun en vue de clarifier les exigences en matière de durabilité (exigences ESG). L’ACM a conclu que cette coopération n’entraînait pas de risques de concurrence, comme des hausses de prix ou une perte de qualité. Chaque banque conserve en effet la liberté de déterminer elle-même quels critères ESG elle rapporte et peut s’écarter des directives communes. Cette approche commune évite que des banques n’interprètent individuellement les exigences de durabilité complexes, ce qui entraînerait des rapports incohérents.
Allemagne
L’autorité allemande de la concurrence (Bundeskartellamt - Bka) s’est également penchée sur des accords de durabilité. Ainsi, elle a estimé en juin 2023 ne pas voir de raison d’effectuer un examen approfondi de l’initiative allemande pour du Cacao durable (Kakaoforum) – un effort conjoint d’organismes publics, d’entreprises de l’industrie du cacao et du chocolat, de chaînes de supermarchés et d’ONG.L’un des principaux objectifs de cette initiative est d’aider les producteurs de cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire à gagner un salaire décent en stimulant les membres à s’engager volontairement pour des prix minimums, des quotas et des systèmes de primes individuels pour ainsi réaliser de meilleurs prix à la ferme pour les producteurs. La nature volontaire de l’obligation (sans mécanisme de sanction) était particulièrement importante pour le Bka. Par ailleurs, le Bka a tenu compte du fait que les engagements des membres étaient publiés de manière anonyme et que l’influence des producteurs ne constituait qu’un petit pourcentage de la détermination du prix dans la chaîne de valeur.
France
En France, aucune initiative de durabilité n’a jusqu’ici été évaluée par l’Autorité française de la concurrence (AFC). L’AFC a toutefois ouvert grand les portes à de telles évaluations par la rédaction et la publication d’orientations informelles en matière de développement durable. Dans les orientations, l’AFC esquisse le cadre dans lequel elle peut répondre de manière informelle aux demandes d’entreprises à propos de la compatibilité de leurs projets poursuivant des objectifs de développement durable avec le droit de la concurrence.Perspective internationale
Un regard plus large sur le contexte international révèle que les autorités nationales de la concurrence de par le monde utilisent des approches très diverses pour l’appréciation d’accords de durabilité.Ce manque d’harmonisation entraîne des différences considérables dans la manière dont de telles initiatives sont évaluées et réglementées. En raison de l’ampleur de cette contribution, nous nous intéressons brièvement au cadre de contrôle du Royaume-Uni et des États-Unis. Au Royaume-Uni, la Competition and Markets Authority (CMA) a expliqué dans sa Green Agreements Guidance comment l’interdiction des ententes doit être gérée dans le cadre d’accords de durabilité. À cet égard, la CMA suit en grande partie l’appréciation d’accords de durabilité de la Commission européenne, avec comme principale différence : la portée de la notion d’accord de durabilité. Les Orientations de la CMA comprennent exclusivement les accords de durabilité liés à l’environnement, alors que d’autres objectifs de durabilité ne sont pas pris en considération.
Par ailleurs, la CMA applique une approche plus conciliante dans l’évaluation du critère des avantages pour les consommateurs. Dans son analyse, la CMA tient compte des effets positifs du changement climatique pour tous les consommateurs britanniques, et pas seulement pour les consommateurs sur le marché direct que vise l’accord.
De l’autre côté de l’Océan Atlantique, les accords de durabilité sont abordés avec prudence. Le droit de la concurrence américain (aussi appelé antitrust) n’offre pour le moment pas d’exceptions spécifiques pour les coopérations en matière de durabilité entre concurrents. De tels accords sont actuellement en principe vus comme contraires à l’interdiction des ententes américaine, ce qui peut entraîner la qualification « d’ententes climatiques ».
Accords de durabilité : conclusion
Les accords de durabilité offrent aux entreprises un instrument précieux pour réaliser leurs objectifs de durabilité de manière (plus) rentable. La création d’exceptions à l’interdiction d’entente pour les accords de durabilité est dès lors une évolution bienvenue et pertinente.
Le véritable défi se situe cependant dans l’application de ces cadres dans une économie globalisée, où les effets climatiques dépassent souvent les frontières nationales et où différents cadres juridiques dans différentes juridictions créent la complexité.
Pour les experts-comptables et autres conseillers financiers de PME : soyez conscients des risques, mais surtout aussi des possibilités dans le domaine des accords de durabilité pour les clients.
Voir Les lignes directrices de la Commission européenne
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